Modibo M. Makalou, à propos de l’aide au développement : «Le Mali doit être très vigilant par rapport à la gestion de l’aide»

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Aujourd’hui, de nombreux enjeux entourent l’aide au développement. Pour en savoir plus, nous avons approché  Modibo Mao Makalou, économiste de formation,  membre du groupe de travail sur l’efficacité de l’aide, du comité d’aide au développement, de l’Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE), basé à Paris. Dans cette interview, il parle non seulement des enjeux de l’aide au développement, mais aussi de ce qu’il faut faire pour décaisser les fonds.

 

 

Le Prétoire : Voulez-vous vous vous présenter à nos lecteurs ?          

Modibo Mao Makalou : Je m’appelle  Modibo Mao Makalou, économiste de formation. Je suis  membre du groupe de travail sur l’efficacité de l’aide, du Comité d’aide au développement, de l’Organisation pour la coopération et le développement économique (Ocde) depuis 2004. Je suis aussi co-président de la commission chargée d’améliorer l’environnement de la société civile  dans le cadre de l’efficacité du développement du Comité d’aide au développement de l’OCDE depuis 2009.

 

Quels sont les objectifs de l’aide au développement ?

L’aide au développement est une assistance extérieure  publique ou privée fournie par  ce que certains appellent les donateurs,  donneurs, ou les partenaires techniques et financiers pour désigner ceux qui fournissent l’aide au développement. Elle permet à un pays d’atteindre ses objectifs de développement à travers  différentes modalités d’assistance. Il s’agit de trois modalités principales. En l’occurrence : l’aide-projet, l’aide sectorielle et l’aide programme.

 

De plus en plus les gens parlent de l’efficacité de l’aide au développement, que faut-il en retenir?

Dans le jargon économique, on doit débarrasser l’aide des coûts non productifs. C’est-à-dire qu’il faut retrancher les coûts non nécessaires à l’utilisation de l’aide. En d’autres termes, le maximum d’’aide doit être utilisé par le pays bénéficiaire. Au lieu qu’il y ait des coûts superflus  associés à la  gestion de cette aide. Dans cette logique, il y a eu de nombreuses études sur le terrain  pour déterminer si l’aide était efficace. Les grands principes concernant l’efficacité de l’aide auxquels j’ai eu l’honneur de représenter le Mali dans le cadre de leurs élaborations ont été définis lors du Forum de haut niveau  de Paris en 2005, communément  appelés la Déclaration de Paris, le Forum de haut niveau  (programme d’action d’agenda) d’Accra en 2008 et récemment en 2011, le forum de haut niveau sur l’efficacité de l’aide à Busan, en Corée du sud.

 

Vous venez d’évoquer le forum de haut niveau de Busan, quels étaient les enjeux de cette rencontre ?

Le forum de haut niveau de Busan était un événement politique de coopération pour le développement qui a réuni plus de 3000 participants, plus de 160 gouvernements  et organisations internationales, de la société civile, du secteur privé…. Cela afin de déterminer si les engagements et les objectifs fixés pour l’année 2010 de la déclaration de Paris en 2005 et du programme d’action d’Accra de 2008 ont été réalisés. Cet évènement recherchait une nouvelle vision et de stratégie de développement plus efficace pour répondre aux nouveaux défis de développement pour l’atteinte des objectifs du millénaire d’ici à 2015.

 

Peut-on savoir les résultats de cette rencontre de  Busan ?

J’ai été Sherpa (Conseiller d’un Chef d’Etat, d’une personnalité, chargé de la préparation d’un sommet) des 54 pays de l’Union africaine et du Nepad lors du Sommet de Busan. J’ai été mandaté pour négocier le document final de cet évènement sur l’efficacité de l’aide. Cela nous a permis d’élaborer des indicateurs de progrès dans le cadre de la mise en place de nouveau partenariat mondial pour l’efficacité du développement. Car nous nous sommes rendus compte, suite aux différentes enquêtes et études menées sur le terrain, que l’aide était un appoint important, certes, mais que  l’aide seule ne suffisait pas pour développer un pays. En plus de l’aide, il y a d’autres actions qui peuvent être entreprises, notamment en partenariat avec le secteur privé, la société civile et les fondations publiques et privées ainsi que d’autres entités telles que les parlementaires.

 

Comment fait-on pour avoir une stratégie de mise en œuvre cohérente des activités de coopération pour le développement ?

Pour l’aide au développement, cela peut comprendre non seulement les actions dans l’humanitaire mais aussi la sécurité et le développement. Les Etats-Unis ont ce qu’ils appellent les « 3D », à savoir la Défense, la Diplomatie et le Développement. Ils estiment que ces trois éléments sont intrinsèquement liés. Il s’agit surtout d’employer simultanément  des instruments d’aide de différents pays pour soutenir un acheminement rapide et souple de l’aide vers le pays bénéficiaire. Comme vous le savez, si vous avez beaucoup de partenaires et que chacun vient avec ses instruments et ses conditionnalités,  cela réduit la capacité du pays bénéficiaire à faire face à ses objectifs et priorités de développement. Il y a lieu de demander, étant donné que le Mali a coordonné l’architecture de l’aide dans notre pays, que les partenaires harmonisent  leurs procédures par des programmations conjointes et la coopération déléguée. Cela avait été le cas dans le passé à travers la stratégie commune assistance pays (SCAP). Mais dans l’exécution, on verra ce que cela va donner.

 

Tout récemment, il y a eu la conférence des donateurs à Bruxelles, en quoi cette rencontre peut-elle contribuer à la reconstruction du Mali ?

Je pense que c’est une conférence historique tant au niveau politique, économique, sécuritaire, militaire que  diplomatique. Car il y a eu une mobilisation générale de la communauté internationale autour de notre pays. Toutefois, il y a lieu d’être très vigilant par rapport à la gestion de l’aide annoncée à Bruxelles par nos partenaires au développement. Car l’aide, on la prépare, on l’achemine, on l’utilise et on la comptabilise. Pour le moment, nous ne sommes qu’à la première étape c’est-à-dire l’annonce de la quantité qui n’augure en rien de la qualité de l’aide. Donc, il faut pouvoir répondre efficacement aux questions suivantes : comment cette aide sera acheminée au Mali ? Par quelle modalité ? Comment est-ce qu’elle sera utilisée et comptabilisée ? Car en tant que membres du groupe de travail sur l’efficacité de l’aide, nous avons vu un certain nombre de pratiques, notamment au Sud-Soudan, concernant  le fonds d’affectation spéciale de multi-donateurs pour le Sud-Soudan, où il y a eu beaucoup de critiques dans la lenteur des décaissements et des insuffisances au niveau des résultats. Nous devons tirer des enseignements au niveau de cela et de ce qui est considéré comme les bonnes pratiques dans des situations similaires.  Il faudra mettre beaucoup l’accent sur le suivi de l’exécution des activités du développement. Cela fait partie  du cycle des projets et programmes de développement. Et ceci, quel que soit le mode d’aide. Car il permet de faire non seulement le bilan des progrès accomplis, mais aussi de proposer des actions correctives qui permettent d’atteindre les objectifs.  Cela doit être accompagné d’indicateurs qualitatifs et quantitatifs et de moyens de vérification pertinents.  Il faudra surtout mettre l’accent sur la mesure des résultats et l’impact des activités et déterminer jusqu’à quel point les résultats en question peuvent être imputés à des activités données. C’est ce qu’on appelle la gestion axée sur le résultat où la gestion des performances.

 

Comment faire un bon suivi-évaluation afin de faciliter le décaissement des fonds accordés à  notre pays lors de la conférence des donateurs, à Bruxelles ?

Le Mali a défini son cadre stratégique de réduction de la pauvreté pour 2012-2017. Je crois que les instruments ont été définis et, en principe, c’est l’unique cadre de référence pour les politiques et stratégies de développement. L’utilisation de ce cadre nous permettra d’éviter beaucoup d’écueils.

 

Que peut attendre le Mali de la Ticad IV, au Japon ?  

Le budget du Mali contient une portion importante d’aide au développement. Au moins 30% du budget d’Etat est constitué d’aide au développement sous diverses formes et 70% des investissements publics au Mali sont financés par l’aide au développement. Et le Japon est un acteur important dans ce cadre surtout dans le financement des infrastructures et du secteur privé.

 

Les 3,2 milliards d’Euro qui nous ont été accordés à Bruxelles sont-ils remboursables ou c’est vraiment un don ? Que va-t-il se passer réellement ?

Ecoutez, ce serait présomptueux de ma part de parler de ce qui va se passer après la conférence de Bruxelles. Mais ce dont je peux vous  parler c’est le Millénium challenge account sur lequel j’ai beaucoup travaillé qui était un don. Mais un don assorti de conditionnalités. Soulignons qu’on était convenus, lors du Forum de haut niveau  de Paris en 2005, communément appelé la Déclaration de Paris, le Programme d’action d’agenda d’Accra en 2008, le forum de haut niveau sur l’efficacité de l’aide à Busan, en Corée du sud en 2011, de réduire les conditionnalités pour permettre aux pays récipiendaires de bénéficier pleinement de ces assistances extérieures. Pour cela, il faut aider  absolument à renforcer les procédures et système nationaux, de même que les capacités nationales. C’est aux pays bénéficiaires d’être proactifs et d’indiquer la voie aux partenaires qui veulent nous assister. Car il était convenu, lors du sommet de Rome, que non seulement les pays bénéficiaires allaient coordonner le schéma institutionnel de l’aide, mais que les partenaires aussi allaient harmoniser leurs procédures.

 

En tant que spécialiste, peut-on dire que le Mali est en mesure de décaisser les fonds qui lui sont alloués sans difficultés ?

Les institutions nationales ne sont pas faibles au Mali. Il y a eu des évaluations régulières (PEFA, EPIN, CEPIA) basées sur des standards et normes internationaux. Moi-même j’ai eu à coordonner une étude en 2003 de partenariat stratégique pour l’Afrique de la Banque mondiale et de l’Ocde. C’était une étude conduite dans 15 pays dans le monde dont le Mali pour voir l’alignement des partenaires au développement au niveau de l’appui budgétaire sur les stratégies et programmes de réduction de la pauvreté. J’ai aussi coordonné les enquêtes de suivi sur la mise en œuvre de la Déclaration de Paris au Mali en 2006 et 2008. Et il y a eu beaucoup de progrès au Mali. Nous avons fait beaucoup de réformes et surtout nous avons réussi à coordonner notre aide. Le cadre de concertation est bien défini, le dialogue est maintenu entre le Mali et les partenaires. À travers cela, tout peut se résoudre assez rapidement grâce à la bonne volonté des intervenants. Mais il y a trois choses pour réussir les décaissements. A savoir ce que nous devons faire par nous-mêmes, c’est-à-dire déterminer les priorités nationales et demander aux partenaires de s’aligner sur nos procédures et systèmes nationaux comme prévu par les engagements internationaux précités plus haut. Ensuite, ce que les partenaires vont faire individuellement et entre eux. Et enfin, ce que les partenaires vont faire en partenariat avec nous. Le plus important pour nous c’est de montrer le leadership quant à nos priorités et objectifs de développement, car ce n’est jamais aisé de gérer une multitude de partenaires concomitamment surtout lors qu’ils n’ont pas les mêmes objectifs.

Propos recueillis par

Oumar KONATE  

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