Modibo Dagnon, président du Haut Conseil des Maliens de Tunisie : «Dans les pourparlers on ne doit négocier qu’avec des Maliens… »

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Sarmoye Boussanga, Secrétaire à la Communication ASMA-CFP : « Nos députés ont bel et bien voté contre la motion de censure »Par la force des choses, la Tunisie, un Etat ami historique du Mali est devenue un véritable pôle de concentration des milliers de nos compatriotes. Dans un entretien à bâtons rompus, le président du haut conseil des Maliens de Tunisie, Modibo Dagnon, nous a évoqué la situation des maliens de Tunisie, la vie de leur institution (HCMT) et sa vision personnelle sur la conduite des pourparlers engagés avec les groupes rebelles. Lisez plutôt.

 

Le Tjikan : en quelques mots présentez-vous à nos lecteurs, ainsi que les grandes lignes des actions du HCMT que vous présidez?

Modibo Dagnon : Je suis un diplômé de l’Université tunisienne, docteur en critique littéraire, résidant en Tunisie depuis plus d’une quinzaine d’années. Et actuellement président du Haut Conseil des Maliens de Tunisie. Auparavant, j’ai été en 2008 président des étudiants et stagiaires maliens en Tunisie et en 2009, président des étudiants et stagiaires africains en Tunisie.  Aussi, avant d’être président du HCMT à l’issue de l’élection du 15 Juin dernier, je signale que j’ai été secrétaire général de la même structure avant d’assumer l’intérim de sa présidence après la nomination du titulaire de ce poste comme chargé de mission ( au ministère de l’Artisanat, puis à la présidence).

En considération des problématiques posées à la communauté des Maliens de Tunis et pour éviter leur reproduction, nous avons jugé nécessaire de doter notre bureau d’un plan d’actions. Cela à travers un manuel de deux phases. La phase de structuration et celle des activités. Toute organisation pour qu’elle fonctionne bien, il faut qu’elle soit bien structurée, c’est pourquoi nous avons commencé notre travail par un processus de restructuration complète du HCMT. Ainsi, en plus du bureau central lui-même, nous avons créé d’autres organes ad-hoc avec des missions spécifiques.

Au-delà, nous avons un projet de création de centre culturel malien à Tunis. Ce qui sera un espace pour la vente, sinon l’exposition des facettes de cette culture riche et variée de notre pays dans le monde arabe. Cela se fera en deux étapes. D’abord, une étape immatérielle, virtuelle, qui durera trois ans. Et à la quatrième année nous mettrons en place un cadre pour servir de siège au centre.

Quelles sont vos relations avec l’ambassade du Mali et le ministère des Maliens de l’extérieur ?

M.D : En réalité, je peux dire qu’on s’entend bien avec l’ambassade. Surtout avec sa nouvelle équipe dirigeante, juvénile et dynamique. Les démarches entamées ensemble prouvent cela. En outre, nous sommes obligés d’être ouverts envers l’ambassade afin que les Maliens de Tunis se sentent bien.

Pouvez-vous nous exposer quelques difficultés auxquelles les Maliens de Tunisie sont confrontés ?

MD : difficultés… en un sens restreint. Etant donné que la majorité de cette diaspora malienne en Tunisie est intellectuelle. Il y’a peu d’analphabètes. Avec une telle communauté, la communication, la sensibilisation sont très faciles. Pour preuve, lorsqu’on est en action, on ne sait même pas qui est étudiant et qui est stagiaire (professionnel).  Bref, on n’a pas assez de problèmes. Au demeurant, nous restons toujours aptes à les résoudre. Il faut reconnaître, approximativement nous sommes quatre mille maliens, vivant à Tunis et dans les autres régions du pays. Au-delà, il y a d’autres qui viennent mais qui ne s’enregistrent pas, ce qui fait qu’ils ne sont pas pris en considération par le HCMT. Mais à chaque fois nous actualisons nos données.

A cet effet, ce qu’il faut dire est que la Tunisie n’était pas une grande destination des Maliens, la majeure partie de ceux qui venaient, continuaient sur la Libye ou cherchaient à atteindre l’Europe. Les premiers migrants maliens ici sont essentiellement des étudiants et  des professionnels, qui venaient dans le cadre du travail. Parmi ces derniers, nombreux sont dans des centres de recherche ou grandes institutions, ce qui peut être profitable au Mali un jour.

De nos jours, force est de reconnaître que certaines régions de la Tunisie dont Zarzis constituent une porte de sortie pour des immigrants clandestins, le récent drame dans les eaux de cette zone sont dans tous les esprits, le HCMT s’imprègne-t-il de la situation de nos compatriotes présents dans cette zone ?

MD : effectivement, on suit de près l’évolution de ce phénomène. Pour preuve, par rapport à ce qui vient de se passer récemment dans cette zone, les victimes étaient en majorité des Syriens. Pour dire qu’il n’y avait aucun malien dans ce lot. Même par rapport à la situation en Libye, les quelques Maliens qui se sont réfugiés en Tunisie ont été rapatriés grâce au concours de l’ONG ’’Immigration Internationale’’. Mais avec la dégradation récente de cette situation, nous n’avons pas accueilli de Maliens venant de la Libye. Sur le sujet, pas plus tard que la semaine dernière, nous avons tenu une réunion avec l’Ambassade. Il s’agira de rester sur le qui-vive afin de soutenir tout malien qui se réfugiera en Tunisie.  On a même constaté que les Maliens qui sont en Libye préfèrent rester là-bas et d’autres sont passés par la frontière nigérienne.

 La plupart des Maliens qui viennent en Tunisie, sont là pour des raisons de santé (qualité de la médecine tunisienne), avez-vous eu échos de certaines difficultés rencontrées par ces compatriotes ?

MD : ça reste relatif, vous avez parlé du cas de la santé, il y a aussi le secteur des études. Nous constatons la ruée de nos compatriotes vers ces secteurs. Au point que nous nous sommes posé la question de savoir ce qui ne va pas au Mali. Notre pays n’est-il pas à la hauteur, ou les  disciplines de ces secteurs sont vieilles, il n’y a pas eu un rajeunissement? Quel est le problème au Mali, afin qu’on n’ait pas des structures de tel standing et des médecins bien formés  sur place ?

Il y’a des cas où des médecins tunisiens reprennent entièrement les analyses et autres traitements donnés aux patients par les médecins maliens. Qui pour eux, ne sont rien à voir avec la maladie du patient. Donc là, la question de compétence se pose. Chacun cherche son intérêt, mais est-ce qu’au Mali on a pas de niveau jusqu’à ce point ? La question reste posée.

Ce qu’il faut savoir est que ce phénomène apporte beaucoup d’argent à la Tunisie. Auparavant, les cliniques privées tunisiennes n’étaient fréquentées que par les libyens et quelques aisés Algériens ainsi qu’une petite portion des tunisiens. Mais de nos jours, on constate la présence fréquente des ressortissants des pays de l’Afrique sub-saharienne. Et les Maliens sont les plus nombreux. Il faut se faire une idée sur combien cela apporte à la Tunisie en termes de devises.

Mais en contrepartie, est-ce que les patients sont satisfaits ? C’est la question qu’on se pose. On peut dire que la plupart des patients se disent satisfaits de la qualité des traitements reçus. Mais parmi  les réseaux qui accompagnent les malades, certains sont mafieux. Cela se comprend, car dans tout système où il y’a de l’argent la mafia s’y installe. Du coup, la présence d’intervenants à plusieurs niveaux fait que les malades sont souvent victimes d’arnaque. On amène les cliniques à doubler la note de la facture, afin que chaque intervenant puisse avoir sa part. Partant, le malheur des uns est entrain de servir autrement au bonheur d’autres. Cette situation nous dérange aujourd’hui.

C’est pourquoi au niveau du haut conseil, nous sommes en train de voir comment mettre en place un système sérieux au profit des patients maliens, afin qu’ils puissent passer leur séjour sanitaire en Tunisie à travers un canal sérieux. Qui partira de leur lieu de départ, à la prise en compte de leurs conditions de séjour et de retour au pays. Car, il est inadmissible pour que des ressortissants d’un pays pauvre comme le Mali, viennent gaspiller de l’argent ici pour raison de santé. Ce n’est pas raisonnable. On fera en sortes qu’ils bénéficient de tout ce qui est essentiel, après ils retourneront au pays avec le reste de leurs sous. Il s’agit d’aider à la construction du pays.

En outre, il est temps pour nos autorités à faire face à cette réalité. Aujourd’hui on parle de l’économie du savoir. L’école n’est pas seulement une institution culturelle, elle est aussi une institution économique. Qu’on mise donc sur l’école malienne, pour que ce qu’on investit ailleurs soit fait chez nous. En un mois, ce que les Maliens investissent en Tunisie, suffit pour construire un grand hôpital au Mali. En Tunisie, la santé est devenue un secteur économique. Pourquoi nos opérateurs économiques n’investissent pas dans ce cadre-là. Ce qu’il faut savoir est que la plupart des cliniques huppées ici en Tunisie sont des SARL (société à responsabilité limitée), ou SA (société anonyme). Certains actionnaires de ces cliniques n’ont aucune notion en matière de médecine. Au Mali on peut faire autant. La population doit avoir adéquatement sur place de quoi se soigner. C’est pourquoi l’Etat doit s’investir afin qu’il y est toutes les compétences sur place. On peut développer des stratégies dans ce sens, avec une vision futuriste.

Actualité oblige, actuellement la phase deux des pourparlers entre le gouvernement et les groupes rebelles sont en cours en Algérie. En tant que résidant d’un pays confronté à la même situation, quelle lecture faites-vous de la gestion de la crise du nord malien ?

MD : la situation au Mali est un peu complexe par rapport à celle de la Tunisie. Effectivement en Tunisie, le phénomène du terrorisme affecte même son économie. Car les touristes sont en train de bouder la destination Tunisie pour aller dans d’autres pays du Maghreb. Au Mali, c’est avec amertume que nous voyons ce même phénomène continuer. Ce qu’il faut savoir est qu’un malien ne peut pas prendre des armes pour tuer un autre malien. Il s’agit pour la plupart des gens venus d’ailleurs. Celui qui a une appartenance outre que malien n’hésitera pas de tuer un malien.

Donc aujourd’hui, s’il y a des pourparlers, ça doit se faire sur cette base-là. Qui est malien et qui ne l’est pas ?

On parle de dialogue, c’est souhaitable, car une société sans dialogue c’est une société qui ne fonctionne pas. Mais dialoguer aujourd’hui et dénoncer demain aux décisions prises, ça ne va aboutir à rien.

Vous avez parlé de la Tunisie, ici c’est clair, la Tunisie a dit qu’elle ne dialoguera pas avec des terroristes. On les combat avec tous les moyens, l’arme, la culture et la religion qui leur est tous commune. Dialoguer avec les terroristes, la Tunisie a fait bloc à  cela. Pour preuve, on est en train de traquer et condamner des gens qui ont recruté des jeunes pour aller faire le djihad en Syrie.

Au Mali, on doit faire la différence entre ceux qui sont maliens  qui  étaient mécontents contre l’Etat, et ceux qui avaient renoncé même à l’appartenance à la nation malienne pour virer dans le djihadisme.

 

On constate que la Tunisie fait profil bas dans la résolution de la crise malienne, contrairement à l’Algérie et d’autres pays du Maghreb, allez-vous faire un lobbying auprès des autorités tunisiennes dans ce sens ?

MD : Bien sûre on le fait et on l’a fait d’ailleurs. Pour preuve, ici lorsque certains imams ont appelé au Jihad au Mali, nous avons saisi le ministère de la Religion de la Tunisie sur cette situation. Qui a permis de mettre fin à cette propagande jihadiste contre un Etat souverain. Aussi, lors de la crise on a fait plusieurs interventions radiophoniques et télévisées pour expliquer aux Tunisiens la situation réelle au Mali. Qui pensaient que ce sont les mécréants qui tuaient les musulmans. Nous avons toujours défendu la cause du Mali, sur les médias et lors de nombreux séminaires auxquels nous avons été invités. Plus, on a même organisé spécialement un séminaire sur la crise malienne ce qui a fait que beaucoup ont compris et ont changé de position. Ce n’est pas par ce que la crise est terminée maintenant que nous devons baisser les bras. C’est un processus qui continue.

Aussi, par rapport à la relation bilatérale entre les deux pays, ce qu’il faut savoir est qu’elle ne date pas d’aujourd’hui. La Tunisie fut l’un des premiers pays a ratifié l’accession du Mali à l’indépendance. Il reste évident que les investisseurs tunisiens doivent s’intéresser au Mali, afin d’explorer des potentialités énormes de notre pays. Ils en sont conscients, il reste aux autorités des deux pays de faciliter l’émergence de cette coopération bilatérale. Ainsi, après la visite du président Marzouki au Mali, couronnée par la signature de dix accords de coopération. Nous attendons de voir le contenu de ces accords afin d’organiser un séminaire, prévu pour mi-décembre sur la coopération tuniso-malienne. Au cours duquel nous allons créer le contact entre les opérateurs économiques et les hommes de culture des deux pays.

Propos recueillis par Moustapha Diawara, depuis Tunis  

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