“Les femmes sont interpellées à tous les niveaux dans le contexte actuel du pays”
Dans le cadre de la Journée internationale des droits de la femme, Mme Traoré Oumou Traoré, promotrice de l’école restaurant “La Vieille Marmite” et transformatrice alimentaire, également la présidente de l’Association des femmes professionnelles des métiers de la restauration (Afpromer) nous a accordé une interview exclusive, dans laquelle elle donne ses impressions sur le 8 mars, les violences basées sur le genre, la Loi n° 2015-052 du 18 décembre 2015 et le rôle de l’art culinaire dans le développement d’un pays.
Aujourd’hui-Mali : Quel sens donnez-vous à la Journée internationale des droits de la femme ?
Mme Traoré Oumou Traoré : Pour moi, la Journée internationale des droits de la femme est une journée où les femmes sont reconnues pour leurs réalisations, sans égard aux divisions, qu’elles soient nationales, ethniques, linguistiques, culturelles, économiques ou politiques. C’est également une occasion de faire le point sur les luttes et les réalisations passées et surtout de préparer l’avenir et les opportunités qui attendent les futures générations de femmes.
“Je suis de la génération égalité : levez-vous pour les droits des femmes”, est le thème international de l’édition 2020. Qu’en pensez-vous ?
Vous savez, le thème international de l’édition 2020 de la Journée internationale de droits des femmes coïncide avec la nouvelle campagne pluri générationnelle de l’Organisation des Nations-Unies, c’est-à-dire Génération Egalité, qui marque le 25ème anniversaire de la Déclaration et du programme d’action de Beijing.
Adopté en 1995 lors de la quatrième Conférence mondiale sur les femmes tenue à Beijing, en Chine, le Programme d’action de Beijing est considéré comme la feuille de route la plus progressiste en matière d’autonomisation des femmes et des filles, partout dans le monde. 2020 est une année charnière dans la promotion de l’égalité des sexes dans le monde, puisque la communauté internationale marquera plusieurs autres temps forts du mouvement pour l’égalité des sexes, notamment un cap quinquennal dans la réalisation des Objectifs de développement durable (ODD), le 20ème anniversaire de la résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations-Unies sur les femmes, la paix et la sécurité ; le 10ème anniversaire de la création d’Onu-Femmes.
Cette journée de 8 mars 2020 m’autorise à inviter les décideurs nationaux, les organisations féminines et les partenaires techniques et financiers du secteur de la promotion de la femme à aller dans les schémas le plus pragmatique. Il s’agit, pour nous, de nous intéresser à la femme d’en bas et monter les marches de l’échelle. Je pense à la vendeuse de beignets qui se lève chaque matin et qui voit les élèves défiler chez elle sur le chemin de l’école, la vendeuse de fruits qui change le contenu de son étal selon les saisons, la vendeuse de sandwiches et de brochettes, les gargotières, etc. Chacune joue un rôle important. Ces femmes sont loin de la portée de nos différentes politiques de promotion de la femme. Elles méritent l’attention de tout le monde. Et pourtant, une petite attention à leur endroit leur procurerait un brin d’épanouissement pour elles et leur commerce.
Pourtant, les journées dédiées aux droits de la femme se succèdent, mais elles continuent d’être des victimes de violences basées sur le genre. Quelle appréciation en faites-vous ?
Effectivement, malgré les efforts des plus hautes autorités, les femmes continuent d’être des victimes de violences basées sur le genre. Au Mali, vous ne pouvez pas passer une journée sans entendre un cas de violences basées sur le genre. Je pense que la lutte contre ce phénomène doit être continuelle, c’est-à-dire qu’il faut beaucoup de sensibilisation et de communication autour de ce problème.
Aujourd’hui, il est important de souligner que les hommes ne peuvent aller sans les femmes et les femmes ne peuvent aller sans les hommes. Donc, à mon avis, les femmes doivent continuer à se donner les mains et de comprendre ce partenariat qui existe entre elles et les hommes.
Avez-vous une fois été victime de violence basée sur le genre ?
Avant d’être une femme, on est d’abord jeune fille et pendant cette période on subit beaucoup de violences basées sur le genre. Souvent les personnes qui nous font subir ces violences ne savent même pas ce qu’ils ont en train de nous poser comme problèmes. Sur ce phénomène, il y a énormément de contraintes qui pèsent sur les femmes, comme le poids de la religion et celui de la culture. Par exemple, un jour, une de mes cousines Dogono a été battue par son mari et les autres cousines ont trouvé cela normal parce que, pour elles, c’est une façon pour son époux d’exprimer son amour. Comme toutes ces femmes, j’ai été aussi victime de la violence basée sur le genre.
A côté du thème international, il y a aussi le thème national de l’édition 2020 de la Journée internationale de la femme, qui est “Soutien aux FAMa”. Qu’en dites-vous ?
Le Mali est un pays où tout le monde se connait. Les gens sont liés souvent par le mariage, par l’amitié ou par le cousinage. Donc, compte tenu de cette homogénéité, c’est le pays entier qui est touché par cette guerre au sahel (guerre contre les terroristes). Je valide bien ce thème national et je me retrouve dedans, en tant qu’une mère, surtout quand je pense à nos filles qui sont devenues veuves à leur jeune âge et nos petits enfants qui sont devenus des orphelins. Donc, nos forces armées et de sécurité méritent d’être soutenues. En plus de cela, les femmes sont interpellées à tous les niveaux dans le contexte actuel du pays. Que ce soit dans le domaine de la santé, de l’éducation, de paix et sécurité, entre autres, nous devons être au rendez-vous, pour que ce rôle qui nous est attribué ne soit pas une vaine parole. Récemment, avec la plateforme des femmes leaders du Mali, nous avons fait une contribution à l’endroit de nos forces de défense et de sécurité.
Il y a peu de femmes qui occupent des postes de responsabilité dans notre pays. Selon vous, qu’est-ce qu’il faut pour changer la donne ?
Dans ce domaine, je pense que les autorités maliennes ont fait quelque chose, parce que suite à l’initiative du président de la République, Son Excellence Ibrahim Boubacar Kéïta, l’Assemblée nationale a voté la Loi n° 2015-052 du 18 décembre 2015 qui donne un quota de 30% de postes de responsabilités aux femmes. Avec l’application de cette loi, je vois que les choses commencent à bouger. Pour les élections législatives du 29 mars prochain, nous avons constaté une augmentation du taux de participation des femmes en tant que candidates à ces élections, par rapport aux scrutins précédents. Malgré cela, il reste beaucoup à faire. Vous savez, il est reconnu partout dans le monde que les femmes gèrent mieux que les hommes. Je profite donc de cette interview pour encourager les femmes du Mali à aller de l’avant.
Votre domaine d’activité, c’est l’Art culinaire. Qu’est-ce que cela signifie concrètement ?
L’Art culinaire, c’est tout ce qui est en relation avec la cuisine et la nourriture. Pour cuisiner, il faut chercher des condiments qui viennent des champs. Donc, pour parler du culinaire, c’est tout une chaine qui va du champ à l’assiette. Il est important de souligner que j’ai emprunté ce chemin du culinaire, inspirée par ma grand-mère et ma mère.
Après mes études, j’ai choisi de m’installer autrement que dans le culinaire. C’est en 2006 seulement que je me suis installée dans la restauration et cela avec un concept de la promotion et la valorisation de nos modes et traditions culinaire. C’est dans ce cadre que le restaurant “La Vieille Marmite” fut créé à Bamako.
Dès lors, j’ai continué mes recherches dans ce secteur afin de développer le culinaire malien, à travers la promotion et la valorisation de nos produits locaux.
Après la création de “La Veille Marmite”, j’ai initié, avec mes consœurs qui évoluent dans le domaine, la création d’une association dénommée Association des femmes professionnelles des métiers de la restauration (Afpromer) dont la devise est : le culinaire genre et développement. Je profite de cette occasion pour dire que l’art culinaire est incontournable pour le développement du tourisme local d’un pays.
Les autorités publiques du Mali, reconnaissent-elles vos efforts et initiatives en matière de démarche-qualité ?
Oui, les autorités maliennes reconnaissent nos efforts en matière de démarche-qualité. Elles l’ont reconnu même si l’effet d’accompagnement reste à désirer. Si le Mali ne m’avait pas reconnue, je n’aurais pas eu des distinctions au niveau sous-régional. En 2012, les autorités maliennes m’ont envoyé représenter le Mali à une compétition de l’Uemoa dénommée “Prix Uemoa de la qualité” à Ouagadougou. A l’issue de cette compétition, j’ai reçu le Prix Uemoa de la qualité et cela est une fierté pour le Mali.
Sur le plan international, j’ai hissé plus haut les couleurs nationales à travers plusieurs compétitions culinaires. En 2014, mon entreprise, “La Veille Marmite” a été primée à Paris par BID Group au “Trophée Award International” où le trophée a été dédié à la Première dame du Mali, Mme Kéïta Aminata Maïga. Au mois de septembre dernier, j’ai été sélectionnée pour participer à un programme américain sur le développement du culinaire.
En tant qu’entrepreneure et leader féminin depuis plusieurs années, avez-vous un message à l’endroit de vos sœurs et filles ?
Le message que j’ai à l’endroit de mes sœurs et filles, c’est de les inviter de croire en elles-mêmes.
Je les invite également à entreprendre quelque chose, tout en se fixant des objectifs. Aujourd’hui, nos filles doivent être fières de leurs conditions liées au genre.
Réalisé par Mahamadou TRAORE