Plusieurs fois ministres de la République, Mme Sy Kadiatou Sow n’en demeure pas moins une figure emblématique du mouvement démocratique. Elle fait partie de ces rares personnes qui ont véritablement risqué leur vie en combattant à visage découvert le régime dictatorial du général Moussa Traoré. Sans une once de démagogie et d’hypocrisie, comme à l’accoutumée, Mme Sy défend les prises de position de l’association Adema qui est membre de la Coordination des organisations du mouvement démocratique (Comode) et du Collectif ‘’Ne touche pas à ma Constitution’’. Le Challenger a rencontré cette dame connue par son courage et son engagement. Entretien
Le Challenger : Mme la présidente, comment se porte l’Association Adema ?
Mme Sy Kadiatou Sow : Je pense qu’elle se porte bien. Depuis février 2009, (date de la relance de ses activités), l’association a un programme d’activités qu’elle essaie de mettre en œuvre. On organise des conférences-débats et d’autres évènements avec des associations du mouvement démocratique. Chaque année, on organise l’anniversaire des évènements de mars 1991 en collaboration avec d’autres structures membres de la Comode (Coordination des organisations du mouvement démocratique). Nous arrivons à réaliser ce que nous nous sommes fixé comme objectif.
Une certaine opinion a du mal à faire la différence entre le Parti Adema et l’Association Adema. Est-ce vraiment la même chose ?
Le parti Adema s’appelle Parti africain pour la solidarité et la justice. Notre association qui est antérieure au parti s’appelle Alliance pour démocratie au Mali. C’est une grande différence, même si l’on se retrouve avec le même nom.
C’est de la décision de laisser les Maliens créer les partis de leur choix, à la suite de la conférence nationale, qu’est né le parti africain pour la solidarité et la justice. D’autres organisations qui ont participé à la création de l’Alliance ont préféré se retirer pour créer leur parti. Ils n’ont pas voulu se retrouver dans ce cadre politique qu’est le PASJ. C’est ainsi que l’Union soudanaise RDA a décidé de recréer son parti. Vous connaissez l’histoire de l’association. A l’origine, ce sont les membres des partis clandestins et certains syndicalistes qui se sont mis ensemble pour créer l’association. Nous sommes totalement indépendants. Nous avons des liens avec tous ces démocrates, tous les partis du mouvement démocratique et d’autres. Mais, nous avons notre liberté de parole, de pensée. Nous n’avons pas de lien direct avec le Parti africain pour la solidarité et la justice en dehors du fait que certains de nos membres sont membres de ce parti. Comme d’autres sont de l’URD, du RPM et de bien d’autres partis.
Depuis la relance de ces activités, l’association fait des déclarations. Elle a eu à prendre position sur les réformes initiées par le Président de la République dont le clou sera le référendum ? Qu’est ce qui justifié votre prise de position ?
Je vais faire un petit rappel. Depuis 2010, à l’occasion de la commémoration de notre 20ème anniversaire, nous avons organisé une grande conférence-débat au cours de laquelle d’éminents juristes experts sont venus nous expliquer de quoi il s’agissait. Il y avait les premiers documents produits par la Commission Dabo Diawara.
En tant qu’une association soucieuse du renforcement de la démocratie et de la sauvegarde des idéaux du 26 mars, nous ne pouvons pas rester en marge des débats sur cette importante réforme. Il fallait que nous nous retrouvions pour essayer de comprendre avant de nous prononcer. A la suite de la conférence qui a eu lieu en octobre 2010, nous avons pris position. Nous avons estimé que le président de la République en tant qu’institution, a le droit de proposer une réforme de la Constitution. Mais nous nous posons une série de questions. Pourquoi maintenant ? Quand ? Comment, ça va se faire ?
A l’alliance, nous pensons que cette réforme n’est pas opportune. La façon de faire n’est pas la bonne, si réellement le souci est d’améliorer le processus démocratique. Il y a d’autres priorités. C’était une promesse du candidat Amadou Toumani Touré. Il a fait son 1er mandat. Il a entamé le 2ème mandat. Et, c’est à la fin de ce mandat que ce problème se pose. Nous disons que ce n’est pas l’affaire d’une seule personne.
Chaque fois que nous discutons, certains nous demandent : « Mais que voulez-vous ? Il ne fait pas cette proposition pour lui-même, parce qu’il n’est pas concerné… » C’est une question trop importante, car il s’agit de la Constitution. C’est la loi fondamentale, donc le présent et l’avenir d’un peuple. Cela dépasse la petite personne, même si cette personne est institution du pays, c’est-à-dire le président de la République.
Pour nous, ce n’est pas la personne, l’individu Amadou Toumani, qui nous pose problème. Mais dans cette Constitution réformée, il va y avoir des changements par rapport à la Constitution qui nous gère aujourd’hui. Sur ces changements, les Maliens n’ont pas été largement consultés. Ce n’est pas la même chose qu’une simple loi qui va à l’Assemblée nationale pour être votée. La façon de faire et la manière d’amener les Maliens à dire oui ou non, sont très importantes. De larges concertations ne veulent pas dire recevoir des grandes personnalités (anciens premiers ministres, présidents d’institutions, anciens ministres, députés, ou des ateliers avec la société civile, les confessions religieuses…).
Ce n’est pourtant pas de cela qu’il s’agit. Des concertations comme celles de 1998 ou 1999, mobilisent au niveau régional et local toutes les couches socioprofessionnelles de notre pays. Grâce à ces larges consultations, les Maliens auront l’occasion de dire qu’ils sont d’accord ou pas. Les gens l’occultent ou font semblant de l’occulter. Un référendum est très simple. C’est oui ou non. En tant que citoyenne, si je dois dire oui et non, il faut que ce soit en connaissance de cause. Au niveau de l’association, nous persistons à dire que les Maliens ne sont pas informés dans leur grande majorité du contenu de ces réformes. Donc, très peu se sentiront concernés. On ne peut pas dire que l’on améliore le processus démocratique ou que l’on renforce la démocratie sans tenir compte du droit des Maliens à être informés d’une réforme aussi importante.
Estimeriez-vous donc que les réformes proposées n’améliorent pas le processus démocratique ?
De notre analyse, il ressort que ces propositions créent un déséquilibre au niveau des pouvoirs entre les institutions. Déjà, dans la pratique, au Mali ou ailleurs en Afrique, le président de la République a trop de pouvoir même si la Constitution essaie de lui trouver des limites. Dans les faits, le Président est le seul à décider. Tout part de lui et tout revient à lui. Rien ne se tranche ou ne se gère sans lui. C’est déjà une pratique qu’une démocratie qui s’adapte en son temps doit essayer de corriger. Au lieu de corriger, on renforce plutôt le pouvoir du président de la République au détriment des autres institutions. A l’Alliance, nous pensons qu’il n’est pas normal que les chefs des institutions les plus impliqués dans l’organisation des élections soient nommés par le président de la République. Je fais allusion à l’Agence générale aux élections qui organise matériellement les élections, la Cour constitutionnelle, gendarme du scrutin, la Haute autorité de l’audiovisuel chargée de relayer les sentiments des Maliens. Ces institutions doivent avoir une certaine impartialité, une certaine autonomie. Mais dès lors que ces chefs sont nommés par le président de la République, que reste-t-il, en termes d’impartialité.
La Cour a-t-elle un pouvoir réellement indépendant si son président et le 1/3 de ses membres sont nommés par le président de la République ? Or, dans une République qui se dit démocratique, le principe est la vraie séparation des pouvoirs. Je n’ai pas encore eu le texte tel que voté par l’Assemblée nationale. Cependant, si j’ai bonne mémoire, la question de l’intérim en cas de vacances du pouvoir pose problème. Le poste est occupé dans la Constitution actuelle par le président de l’Assemblée nationale. Ce qui est normal. Mais, c’est le président du Sénat. Si ce dernier est empêché, c’est alors le gouvernement. Que faire du choix des Maliens à travers la représentation nationale ?
Pour nous, ces questions doivent faire l’objet de débats réels dans le pays profond en langues nationales, pour permettre aux gens de comprendre.
Nous respectons ceux qui pensent que cette réforme est bonne pour le pays. Toutefois, nous nous ne voyons pas ce que cette réforme apporte à notre système démocratique. Au contraire, nous pensons que c’est un affaiblissement de la démocratie. On va aller vers une institution du président de la République qui va avoir des superpouvoirs par rapport aux autres institutions. Il y a donc rupture d’équilibre.
Peut-on dire que la démocratie est menacée avec une remise en cause des acquis du 26 mars ?
On est dans une logique où normalement on devrait améliorer les choses. C’est ce que le président ATT avait dit. Nous avons abouti à la conclusion que c’est plutôt le contraire. En réalité, le système politique actuel, le consensus, les arrangements entre le président de la République et les partis politiques, font qu’il y a une concentration du pouvoir entre les mains du président. Ce n’est pas cela la démocratie telle que nous la concevons. Nous pensons qu’il y a une remise en cause des acquis du 26 mars. C’est vrai, la démocratie est un processus. Au regard de ce qu’on avait en mars 1991, on doit avancer, avoir plus. On a tâtonné. Et pour nous, il y a régression.
Selon vous, les réformes constituent-elles une priorité ?
Nous pensons que ce n’est pas la priorité. Aujourd’hui il y a plusieurs choses à gérer. Notre pays qui est largement dépendante de l’aide extérieure ne devrait pas s’engager dans des dépenses pour financer des institutions ne servent absolument à rien. Nous ne voyons pas en quoi la création du Sénat peut améliorer la démocratie. Ça va rallonger comme certains ont eu à le dire la procédure parlementaire. Ensuite, cela va satisfaire certains. Si le président voulait plaire ou renvoyer l’ascenseur à quelqu’un ou l’aider être au Sénat ? Il y a déjà des gens qui sont en campagne parce qu’ils pensent être président du Sénat. Je ne vois pas ce que cela apporte aux Maliens ou encore ce que cela permet de résoudre comme problème.
Et quel argent pour le Sénat ? On est en train de dire qu’il n’y aura pas de rallonge budgétaire (le budget du Haut Conseil des collectivités va être transféré au Sénat). L’argent destinée au Sénat peut servir à renforcer les capacités de l’Assemblée Nationale. Avant moi, d’autres ont fait remarquer que l’examen des projets de lois, c’est-à-dire les textes proposés par le gouvernement et qui arrivent sur la table de l’Assemblée, pose problème. La raison est simple. Les députés en grande partie n’ont pas une réelle capacité de faire le travail technique. Dans des pays mieux organisés avec beaucoup plus de moyens, ce sont des commissions parlementaires dotées de techniciens de différents profils qui viennent les aider à comprendre la teneur du texte et à faire des propositions. Il faut voir le nombre de propositions de lois au niveau de notre Assemblée pour comprendre la faible capacité de nos parlementaires.
Pourquoi dilapider les ressources publiques en créant d’autres structures alors qu’on peut renforcer l’Assemblée nationale ? Si on renforce l’Assemblée nationale, on n’a pas besoin d’autres structures.
C’est trop important pour que les gens résument cela à l’équation suivante : ATT a promis, il faut qu’il le fasse. Et puisqu’il s’en va, il ne demandera pas un troisième mandat, aidez-le à réaliser son objectif qui est de faire ses réformes. Et s’il n’y a aucun intérêt qu’il le fasse ? Il y a tellement de priorités ! Quand je vois tout ce qu’on a sur la tête : insécurité, problème de l’école, sans perdre de vue l’insécurité alimentaire qui se profile de plus en plus à l’horizon.
Malgré les grandes déclarations tapageuses au début, les pouvoirs publics ont été obligés d’atténuer leurs discours ces temps-ci. L’hivernage n’a pas été bon. En brousse, c’est vraiment la désolation. Les gens sont très inquiets. Nous avons à gérer tous ceux-là. Nous avons surtout pour mission d’assurer la paix et stabilité dans le pays, d’organier de bonnes élections transparentes qui ne soient pas contestables. Voilà ce qui constitue pour moi, les grands dossiers, les priorités. C’est bien qu’il y ait pensé. C’est bien qu’il ait mis une équipe à réfléchir là-dessus. Mais si réellement son intention est d’améliorer le processus démocratique, il n’a qu’à respecter les textes de la démocratie qui veulent que les gens partagent largement l’information et qu’ils décident en connaissance de cause. Et qu’ils participent largement à la prise de décision. C’est ce que nous souhaitons au niveau de l’Alliance pour la démocratie. Et il pourrait bien laisser ce dossier et le mettre dans ses dossiers de passation pour celui qui va le remplacer en juin 2012. Pour nous, ce n’est pas compliqué.
Et les associations qui naissent pour défendre les réformes ?
En termes de gaspillage de ressources publiques, nous notons la naissance des associations. Nous respectons la liberté opinion de chacun. Mais tout le monde a constaté que de façon spontanée des centaines d’associations notamment des jeunes ont été crées pour défendre la réforme. C’est bien ridicule. Tout le monde sait comment ces associations sont financées. Ce n’est pas cela le problème. Une chose est sûre : elles sont financées sur les ressources publiques. Ce qui n’est pas normal. Donc, il y a des efforts à faire vraiment au niveau des pouvoirs publics pour que cette loi fondamentale soit partagée largement.
Que pensez-vous du couplage du 1er tour de l’élection présidentielle au référendum ?
Comme on le dit ‘’le margouillat boit de l’eau à côté de la poule’’. En réalité, l’élection présidentielle va porter sur son dos le référendum. On va dire qu’il y a eu un taux de participation très important. Mais ce taux de participation va être celui de la présidentielle. Comme on le dit, c’est se tromper soi-même pour dire que tout le monde a adhéré parce qu’on a eu un taux de participation élevé. A l’Alliance, nous attendons et nous espérons qu’il y aura une forte participation à cette élection présidentielle.
Mais l’astuce qui consiste à coupler les deux cache quelque chose. On n’a pas besoin d’être sorcier pour le savoir. On comprend vite que ce n’est pas pour économiser. C’est plus pour ne pas courir le risque d’avoir un taux de participation ridicule.
Entretien réalisé par Modibo Fofana et Chiaka Doumbia