MIKADO FM : Entretien avec le Chef de la MINUSMA M. Annadif

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Le Représentant spécial du Secrétaire général M. Annadif a accordé ce matin un long entretien à MIKADO FM, la radio des Nations unies. Il s’exprime sur les priorités actuelles de la MINUSMA, ainsi que sur le processus de paix. L’interview est à retrouver sur MIKADO FM (Bamako 106.6, Gao, Ménaka et Kidal 94.0, Tombouctou 92.8 et Mopti 91.6)

MIKADO FM – Le Chef des Opérations de maintien de la paix des Nations unies a annoncé l’arrivée prochaine d’un bataillon appelé « logistique de convois » en quoi consiste-il ?

Représentant spécial du Secrétaire général et Chef de la MINUSMA, Monsieur Mahamat Saleh Annadif

D’abord, je voudrais vous remercier pour tous les efforts que vous faites pour informer les uns et les autres sur les missions que mène la MINUSMA ici. Deuxièmement, saluer toutes vos auditrices et tous vos auditeurs et leur dire que c’est avec plaisir que je suis aujourd’hui dans ce studio ; vous l’avez dit, c’est la première fois et c’est vraiment pour moi un honneur et un plaisir d’y être.

Aujourd’hui, la MINUSMA est l’une des missions qui a connu le plus grand nombre de victimes en termes de morts ou de blessés. Le constat est que la majorité de ces vies humaines que nous perdons, et je m’incline devant leur mémoire, est dû principalement à la pose de mines et autres EID que l’on rencontre souvent lors de nos opérations. Le bataillon de logistique de convois aura à répondre à deux préoccupations majeures.

Comme vous le savez, la région du nord est une région très vaste, les routes sont difficiles, nous sommes obligés de nous ravitailler souvent par des convois assez lourds ; et souvent, ce sont les gens, les voitures qui accompagnent ces convois qui tombent sur des mines ou des EID ; qui nous coûtent en termes de matériel, de véhicules, quelquefois des blindés et souvent des non blindés…et qui nous coûtent aussi en vies humaines. En plus, du fait que cela nous coûte, cela nous mobilise une grande partie de nos forces qui devraient être déployées ailleurs. Nous sommes obligés d’affecter une bonne partie de nos militaires pour faire ce travail logistique qui n’est pas le leur.

Le bataillon d’escorte de convois est lui spécialisé, il est outillé et les gens sont formés pour cela. Cela va nous permettre de libérer ces militaires que nous chargeons pour ces missions actuellement. Cela va surtout nous permettre de ne pas perdre autant de vies humaines comme nous le connaissons maintenant. C’est un outil extrêmement important, cela n’existe pas dans tous les pays, cela n’existe pas dans toutes les missions de l’ONU ; il a fallu beaucoup de négociations, beaucoup de persuasion de part et d’autre pour que l’on ait finalement ce bataillon de logistique de convoyage, qui sera opérationnel d’ici le mois de juillet. Pour nous, ce sera un grand changement dans l’accomplissement de notre mission.

Donc il s’agit d’un ajout d’hommes et de moyens matériel supplémentaires pour la MINUSMA ?

Exact ! Moyens d’hommes, ajout de moyens également, mais surtout une spécialisation. Des spécialistes dans un domaine de pointe assez précis, tels que les mines, les EID et autres. Ce sont des professionnels en la matière. Ce n’est pas le nombre, ce n’est pas la quantité mais c’est la qualité qui est importante dans ce que l’on va faire.

Votre réaction par rapport aux derniers évènements à Kidal, et notamment les incidents graves qui se sont produits à l’aérodrome ?

Votre question au sujet de ce qui s’est passé à Kidal en avril me donne l’occasion de lancer trois messages :

Le premier, c’est à l’endroit des parties signataires à savoir le Gouvernement, la Plateforme et la CMA. Pour leur dire qu’il est temps d’agir et, comme je ne cesse de le répéter depuis que je suis là, tout retard renforce le camp de ceux qui veulent faire échouer l’Accord de paix. Je le dis et je le répète, à l’heure actuelle il n’y a que deux camps : celui de la paix, qui est constitué par le Gouvernement et ses partenaires qui ont signé ; et il y a le camp des terroristes, qui lui a juré de faire échouer cet Accord. Donc, faisons tout pour aller vers une mise en œuvre effective et rapide de toutes les closes des accords.

Le deuxième point, c’est par rapport aux populations du nord de façon générale, et à celles de Kidal en particulier. En leur disant que ce qui s’est passé à Kidal le 18 avril n’est pas acceptable et n’est pas tolérable. Cela démontre quoi ? Cela démontre que, de plus en plus, ils sont réceptifs plutôt aux ennemis de la paix qu’à ceux qui sont pour une paix durable dans les régions du nord. Et donc mon message pour ces populations du nord de façon générale et celle de Kidal en particulier, c’est de leur dire de croire en cet Accord. J’ai vu tous les anciens accords qui ont eu lieu, j’estime que cet accord qui a été signé le 15 mai et le 20 juin 2015 apporte tout un arsenal de mesures qui feront en sorte que les plus grands bénéficiaires de cet Accord seront les populations du nord. C’est une erreur pour certains d’être plutôt du côté du camp de ceux qui veulent faire échouer cet Accord. Il faut qu’ils le comprennent, il faut qu’ils essaient de s’approprier cet Accord, qui est d’abord pour eux, pour la paix, pour la stabilité et surtout qu’ils essaient d’avoir toutes les dividendes de la paix qui, jusque-là leur manquent tant, et qui en fait ont été toujours à la base des différentes crises successives que nous avons connues dans le nord.

Mon troisième message, c’est par rapport à la communauté internationale. C’est de ne pas se décourager et de ne pas dire que ça fait un an que l’Accord n’a pas connu de progrès significatifs et de se lasser. Non. Il faut continuer d’être aux côtés du Mali, aux côtés des populations maliennes parce que j’estime que cet édifice que doit constituer la Paix, pour qu’il soit solide, pour qu’il soit durable, a besoin d’un socle assez fort. J’estime que cette année, que beaucoup considère comme une année de perdue, je ne la trouve pas perdue. Elle nous a permis aujourd’hui de poser les bases de cet édifice, un socle fort sur lequel nous devrons maintenant bâtir le reste pour qu’il y ait suffisamment de chambres pour que les uns et les autres puissent y habiter.

C’est un message qui va être entendu dans toutes les régions parce qu’il sera répercuté dans les principales langues nationales sur nos antennes plus tard. Est-ce que vous comprenez les motivations des marcheurs, les initiateurs de cette marche de Kidal ?

De toute les façons, rien ne peut justifier une marche de ce genre contre des casques de maintien de la paix et surtout, rien ne peut justifier qu’on utilise des enfants comme boucliers pour accomplir des tâches qui sont contre des gens qui sont venus aider, accompagner, faire la paix. Je détiens des images qui montrent que des enfants ont été enlevés de leurs écoles, on les a mis dans des voitures pour les amener aux lieux des manifestations ; c’est intolérable. Je détiens des images que des gens sont venus avec des cocktails Molotov ; c’est inadmissible. Ça veut dire qu’il y a une volonté de brûler, une volonté de détruire. Dans tous les cas, je dis qu’il y a eu quand même des morts et je ne peux pas oublier les morts. Toute mort est pour moi une tragédie et je dis tout simplement que de toutes les façons, nous avons déjà fait une enquête préliminaire. Nous sommes en train de faire une enquête plus approfondie qui va déterminer les causes de cet incident et qui va déterminer qui a causé la mort de ces deux pauvres innocents. Et la MINUSMA va mener cette enquête en toute transparence et prendra sa part de responsabilité, en toute responsabilité, le moment venu.

Alors parlons du cantonnement, les premiers camps sont en train d’être construits et attendent toujours d’accueillir les premiers ex-combattants ; or les listes n’ont toujours pas été fournies par les groupes armés. Est-ce qu’il faut croire en la sincérité de ces groupes d’aller sans calcul au cantonnement ?

Vous savez, en politique c’est difficile de dire qu’on ne fait pas de calcul. Mais, j’ose croire tout simplement que la bonne foi, la sincérité qui a poussé les uns et les autres à signer les Accords, à apposer leurs signatures, à continuer à discuter, demeurent. J’essaie plutôt de croire en cette bonne foi, en cette sincérité. Nous regrettons douloureusement qu’il y ait eu tout ce retard. Comme vous l’avez si bien dit, bientôt, au courant de cette semaine ou de la semaine prochaine, les trois premiers camps seront déjà disponibles. Un camp contient 750 ex-combattants. Une tente est prévue pour six combattants, ce qui fait qu’on aura au moins 125 tentes pour les 750 ex-combattants dans ce camp, qui contient aussi une infirmerie, qui contient une salle dans laquelle on va faire le tri, parce qu’il y aura un enregistrement biométrique ; il y aura un grand magasin pour stocker les armements et autres, une partie qui sera pour les toilettes. Donc, ces trois camps seront disponibles d’ici une semaine et nous osons croire qu’une fois la loi sur les autorités intérimaires promulguée, le processus va s’enclencher, les patrouilles mixtes, l’opérationnalisation du MOC, le cantonnement et ainsi de suite. C’est pour cela que j’adresse une fois encore un message aux différentes parties à l’Accord pour dire que nous avons tous aujourd’hui devant nous posé comme obstacle la mise en place des autorités intérimaires. J’espère que d’ici très peu de temps, la loi soit promulguée, que les parties seront prêtes à donner le nom de ceux qui vont les représenter au niveau des exécutifs locaux et que tout le processus va s’enclencher. Donc, je demeure optimiste quant à ce qu’il y ait des listes, quant à ce qu’il n’y ait pas seulement des listes mais des présences effectives dans ces camps que nous avons prévus pour accueillir des gens pendant trois mois.

Vous avez adressé un message à la communauté internationale ; est-ce que vous sentez de l’impatience face à la lenteur du processus au Mali ? On sait que les crises se multiplient dans le monde et la patience de la communauté internationale n’est pas éternelle…

Vous avez parfaitement raison de le dire. Jusque-là, autant je constate des interrogations, peut-être un début d’impatience, il ne faut pas le nier ; mais, je suis toujours encouragé par cette attention toute particulière sur le Mali. Comme l’a dit l’un de vos confrères hier, jusque-là, les regards sont énormément tournés vers le Mali. Je le constate à travers les différentes visites ; je ne passe pas une semaine sans qu’il n’y ait quelqu’un de la communauté internationale qui ne vienne ici au Mali, qui nous interroge sur la mise en œuvre de l’Accord, qui nous interroge sur l’avenir de ce qui doit se faire, même sur comment ils peuvent être utiles, en quoi ils peuvent contribuer. La visite du Conseil de sécurité, la dernière visite hier de deux ministres des Affaires étrangère de l’Allemagne et de la France et jusqu’à ce point, de tous les dossiers qui passent au niveau du Conseil de sécurité, j’ai la certitude que le dossier malien est le seul sur lequel il y a un consensus global. Mais je dis, il ne faut pas non plus croire que c’est éternel. Les crises se multiplient, aujourd’hui on a la Syrie, demain la Libye, demain c’est d’autres priorités. Donc, c’est pour cela qu’une fois de plus, je réitère mon appel, pas tant à la communauté internationale, elle va accompagner le Mali, mais aux acteurs maliens pour dire que ce regard, cette attention, ce soutien n’est pas éternel et que nous devrons tout faire pour qu’on aille vers la mise en œuvre effective de l’Accord de Paix.

Monsieur le Représentant spécial, selon vous le Gouvernement malien en a-t-il fait assez en matière de réformes institutionnelle, est-ce que le Gouvernement peut faire plus ?

On dira toujours que le Gouvernement peut faire plus, comme je dirais que même les mouvements armés doivent aussi faire plus. Un élément sur lequel, par exemple, je dis que le Gouvernement doit faire plus, c’est le texte instituant le Comité de Réforme du Secteur de Sécurité. Autant je sais que tous les textes législatifs et autres décrets ou décisions sur la Commission Nationale du DDR, réinsertion, mise en place du Comité National du suivi de l’Accord ont été pris, il y a encore de la lenteur sur le texte mettant en place le Comité National de la Réforme du Secteur de Sécurité. Et comme vous le savez, c’est un élément fort, c’est un élément fondamental. La MINUSMA appui cet aspect, nous avons des techniciens qui continuent à travailler mais, nous attendons toujours, malheureusement ce texte qui n’est pas encore sorti.

On parle de mesures de confiance, on parle notamment de patrouilles mixtes depuis plusieurs mois qui ont du mal à se concrétiser ; c’est quand même une attente minimum des populations qui profiteraient de la sécurité que ces patrouilles leurs confèreraient. Comment vous expliquez cette lenteur ?

Je la regrette, je la déplore, mais je crois que les patrouilles mixtes, c’est l’une des mesures de confiance phares, parce que, au-delà de la symbolique des patrouilles mixtes, c’est quoi ? C’est quand-même de mettre ensemble des maliens qui se sont affrontés pendant longtemps, les uns aux noms des mouvements, les autres au nom des FAMa et qu’ils apprennent à cohabiter, qu’ils apprennent à se frotter, qu’ils apprennent à travailler ensemble. C’est en cela que c’est important! Jusque-là, ça s’est vu une fois, en novembre ou décembre pour escorter des aides qui venaient de l’Algérie ; ça s’est depuis stoppé mais j’émets l’espoir que ça puisse vraiment se pérenniser parce que c’est vraiment un élément fort.

Est-ce que vous vous attendiez, à votre arrivée à la MINUSMA en janvier dernier, à ce que ce processus de paix bouge aussi lentement, de l’avis de nombreux observateurs qui pensent que ça ne va pas assez vite ?

Ça fait quatre mois que je suis en poste, j’aurais aimé que ça aille vite mais, comme je l’ai dit, j’ai discuté avec quelqu’un et je préfère reprendre sa phrase et qui disait textuellement ceci : « Il est vrai que nous n’avançons pas vite mais, il y a quelques temps, nous craignions que nous n’avancions même pas ». C’est-à-dire que quand on voit d’où l’on vient, comment le Mali était en 2012 – 2013 lors de l’intervention de Serval, par la suite l’arrivée de la MINUSMA, on peut dire aujourd’hui que le fait que les Mouvements ne se tirent pas avec le Gouvernement, que le cessez-le-feu est respecté, que les Mouvements entre eux sont en train d’arranger leurs petits différends, et Dieu seul sait qu’ils sont nombreux, et qu’ils sont un handicap majeur pour la mise en œuvre de l’Accord, qu’ils arrivent à s’entendre, il y a eu la rencontre d’Anéfis, il y a eu dernièrement la rencontre de Kidal, d’autres qui ne sont pas souvent diffusées au niveau de la presse qui se déroulent… Je crois que ce sont des signaux positifs. Je déplore qu’on n’ait pas autant avancé sur des choses si fondamentales, mais comme je l’ai dit et je répète toujours ma phrase : « Nous avons maintenant des fondations assez solides, j’émets l’espoir que le reste de l’édifice va prendre corps ».

Monsieur le Représentant spécial, comment porte-t-on sur ses épaules la charge de l’une des Missions les plus difficiles au monde au niveau humain ?

Ça, vous me le faites dire. C’est vrai que le poids est lourd. Le poids est lourd, les attentes sont nombreuses mais, c’est quand même un défi qui mérite d’être relevé, une expérience qui mérite d’être vécue et j’avoue que je suis à l’aise. J’avoue que je me passionne pour ce que je fais, j’avoue que j’y mets mon cœur et mon énergie, évidemment avec tous les staffs qu’ils soient militaires, civils ou police, vous autres hommes de médias qui nous accompagnez. Je crois que c’est le lieu de louer les sacrifices de tout ce monde qui se sacrifie, qui se consacre et qui se passionne pour ce qu’il fait. Je ne suis qu’un élément de ceux-là, je ne fais qu’animer. A mon arrivé, je leur ai dit la chose suivante : « Je sais que si on échoue, ça sera ma responsabilité, mais si on réussit, ça sera la responsabilité de l’ensemble ; faisons en sorte que l’on réussisse ensemble ! »

 

Le RSSG avec l’équipe de MIKADO FM après l’entretien

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