Immigration, Nord Mali, nouvelle politique africaine de l’Hexagone…l’ambassadeur de France au Mali, Michel Reveyrand-de Menthon se prononce sans détours sur les grands thèmes d’actualité. Pour ce diplômé de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, qui entame sa carrière de diplomate dans notre pays, le Nord Mali est une zone
stratégique complexe qui ne doit souffrir des rivalités entre puissances occidentales.
Le Républicain : Les Maliens suivent attentivement les débats sur la nouvelle politique d’immigration : le regroupement familial, le test ADN. Est-ce que c’est la France raciste et xénophobe qui prend le dessus sur la France terre d’asile et
humaniste?
Michel Reveyrand-de Menthon : C’est une question polémique… Ecoutez, je crois que le gouveement français a annoncé depuis longtemps déjà ses orientations en matière de politique d’immigration. Il y a aujourd’hui un débat parlementaire qui est en cours avec un certain nombre de propositions qui sont faites par les parlementaires dans différents domaines. Ce n’est pas le rôle de l’ambassadeur de France de commenter des débats qui sont en cours. Au sein du Parlement français, ce serait évidemment mal venu de ma part que de m’engager dans cet exercice-là. Je crois qu’il faut bien comprendre que la question migratoire donne toujours lieu à des images, à des polémiques un peu grandiloquentes. Je crois qu’il y a deux versants.
Le premier volet, c’est que la priorité c’est le développement du Mali. Et que de temps en temps des jeunes maliens, en particulier, ont la conviction que c’est mieux d’aller ailleurs. Ils rêvent à d’autres endroits, des paradis européens, etc. C’est bien naturel, les jeunes ont envie d’aller à l’aventure, les jeunes rêvent. Mais la priorité, c’est le développement du Mali. Et moi, je suis au Mali en tant qu’ambassadeur de France, notamment pour contribuer à ce développement du Mali à travers la politique d’aide au développement.
Le deuxième versant de cette politique, c’est que la France a décidé d’aller vers une politique d’immigration choisie, une politique de migration volontaire, c’est-à-dire de faire en sorte que les mouvements migratoires qui ont lieu sur la planète et qui augmente évidemment avec la mondialisation soient de mieux en mieux aménagés dans l’intérêt de tout le monde. Ces mouvements migratoires, cette aspiration à l’aventure, cette aspiration au rêve débouche souvent sur des drames humains, sur des conditions de vie absolument catastrophiques. Et c’est aussi notre responsabilité de faire en sorte que ce drame s’arrête.
On sait que l’Espagne a régularisé des centaines de milliers de « sans papiers » après l’arrivée des socialistes au pouvoir. Le nouveau gouveement italien est en train de faire de même. Le gouveement de Sarkozy va t-il régulariser des « sans papiers » ? Si oui, combien ?
La position du gouveement français est bien connue. Le gouveement français est opposé à une politique de régularisation massive, pour reprendre votre expression. Considérant que dans le passé, des opérations régularisations massives qui avaient eu lieu avaient finalement donné des résultats mauvais. Des résultats dangereux, parce que c’est souvent interprété comme un signal et que le gouveement français ne souhaite pas – précisément au nom de cette politique d’immigration choisie, d’immigration contrôlée, d’immigration volontaires – aller dans cette direction qui est finalement une prime au trafic, une prime aux migrations illégales et qui ne donne à l’arrivée aucun bon résultat. La France ne veut pas aller vers une sorte de mouvement de régularisation aveugle qui finalement ne sert à personne et alimente plutôt des mouvements totalement incontrôlés. La politique française est d’arriver à une organisation, à une gestion rationnelle, volontaire du phénomène sans subir, sans laisser les choses arriver bien souvent dans les pires conditions.
Le discours de Nicolas Sarkozy à Dakar a fait froid dans le dos de plusieurs Africains. Est-ce la trame de la nouvelle politique africaine promise par le candidat lors des campagnes électorales ?
D’abord, je crois qu’il faut bien redire que l’essentiel aujourd’hui est de marquer la continuité de la politique africaine de la France. Le président Sarkozy devant les Nations Unies a indiqué une formule très claire : «l’Afrique restera une priorité essentielle de notre politique étrangère et un axe central de la politique de coopération de l’Union Européenne ». C’est simple, c’est une façon de rappeler cette orientation qui n’a jamais fait le moindre doute.
Le président Sarkozy depuis longtemps a exprimé sa volonté de modeiser les relations entre l’Afrique et l’Europe, entre la France et l’Europe. Le président Sarkozy, quand il était ministre de l’intérieur, a prononcé des discours importants à Bamako et à Cotonou indiquant sa volonté de modeisation autour de l’idée d’un nouveau partenariat, d’un dialogue renouvelé, de la recherche d’une efficacité croissante dans les relations entre l’Europe et l’Afrique, la France et l’Afrique. C’est une orientation déjà ancienne, mais la France depuis longtemps pense qu’il faut intéresser, ouvrir l’ensemble du continent européen, l’ensemble de l’Union Européenne vers le continent africain parce que c’est à cette échelle que les choses se passent.
Le discours de Dakar fait polémique de temps en temps. Moi, je pense qu’il était très mal lu. Il y a beaucoup de choses dans ce discours. C‘est un discours qui est long, c’est un discours qui est très riche, c’est un discours lyrique, donc qui a un style particulier. C’est un discours qui a été placé sous l’égide d’un prolongement du lyrisme qu’avait le président Senghor. Donc le président s’est attaché à faire un discours très culturel, prenant beaucoup de distance. Il y a des choses qui sont bien comprises, des choses qui sont mal comprises, des choses qui sont bien interprétées, des choses qui sont mal interprétées. Ce n’est pas le rôle d’un ambassadeur de polémiquer, surtout avec des personnalités importantes.
A mon avis, cela n’apporterait rien. Je pense que si on veut s’intéresser au discours de Dakar il faut essayer de s’y intéresser dans tous ses aspects. C’es
t un appel aux jeunes, une manière de se touer vers les forces vives, les forces dynamiques du continent africain. C’est un rappel dans toute sa dimension historique, pas seulement la France, mais l’Europe et l’Afrique également avec la question de la colonisation qui est une question complexe, multiple, la question des échanges culturels. C’est un discours qui rappelle très fermement la dette du continent européen à l’égard du continent africain, en particulier en matière culturelle.
L’Afrique a apporté beaucoup de choses à l’Europe et le discours est une reconnaissance de tout ça, y compris dans son style qui fait allusion au style du président Senghor qui est dans l’opinion européenne en particulier bien sûr un personnage très emblématique de la place de l’Afrique dans le monde, de la capacité de l’Afrique à avoir des porte-parole dans beaucoup de domaines, notamment dans le domaine de la poésie. Je crois qu’il faut comprendre ce discours de cette manière-là. Je crois au contraire que c’est un discours qui marque cette volonté d’appeler les Africains à prendre en main leur destinée, leur avenir, à chercher leurs propres références, à faire leur propre choix en matière de politique économique, en matière d’organisation sociale.
En fait, ce qui est inquiétant dans ce discours, c’est que certains aspects prouvent une profonde méconnaissance du président français des réalités de l’Afrique. Ce qui a étonné beaucoup d’intellectuels ici ?
Ce n’est pas un discours sociologique ou économique sur la situation de l’Afrique. C’est un discours, on dirait d’abord culturel, dont la signification profonde que le président veut donner aux relations entre l’Europe et l’Afrique au cours des années qui viennent.
Le président Sarkozy avait promis la rupture avec le pré carré la Françafrique. Mais, on a été étonné de constater que sa première visite sur le continent, a été vraiment réservée aux ténors du pré carré : Oumar Bongo, Abdoulaye Wade et autres ?
Il s’est trouvé que le président Sarkozy avait décidé de faire rapidement un voyage sur le continent africain après son élection. Le Mali était encore dans son processus électoral.. Donc, le président français ne pouvait pas venir notamment au Mali ou dans n’importe quel autre pays pendant des élections. Le Sénégal, bien sûr, c’est un pays comme le Mali d’ailleurs qui a des relations extrêmement fortes avec la France. Donc, le choix du Sénégal, à mon avis, n’est pas un choix discutable. Le Gabon, vous savez très bien que le président Bongo est l’aîné, le doyen des chefs d’Etats africains francophones. Et que respecter la tradition est de faire une certaine place, de marquer une importance particulière au doyen des chefs d’Etats francophones. C’est une tradition africaine, je pense que c’est au nom de cette tradition africaine que le président Sarkozy a parfaitement reconnue et respectée qu’une visite a été rendue au président Bongo.
Quels commentaires faites-vous des propos tenus par le président de la Cour constitutionnelle déclarant que les élections 2007 ont été marquées par « une fraude électorale généralisée installée à demeure », alors même que de nombreux observateurs prétendaient sa bonne tenue ?
Je n’avais pas entendu cette déclaration du président de la Cour constitutionnelle que je trouve un peu étonnante. Mais la communauté inteationale présente au Mali, présente à Bamako, s’est efforcée à travers les divers scrutins d’observer le moins mal possible le déroulement de ces élections. Bien sûr, on a entendu parler d’un certain nombre de difficultés, il y en a partout des difficultés dans tous les pays.
Nous n’avons jamais eu l’impression de fraudes massives ou d’un non respect des règles électorales. Sur les quatre scrutins qui ont eu lieu, je crois que nous avons eu avec l’ensemble de la communauté inteationale l’impression et la conviction d’un processus politique qui s’est au total remarquablement bien passé et qui a permis à l’opinion malienne, à la population malienne, de faire des choix politiques forts, très significatifs.
Actuellement la Commission européenne enquête sur l’ancien directeur du CDE, Ahmed Sow, nommé le 3 octobre dans le gouveement de Modibo Sidibé. Cette affaire peut-elle avoir un impact sur les relations Mali-Union Européenne ?
J’ai lu votre article de ce matin. Je n’ai aucun élément d’information. Il faut en demander à l’intéressé ou à la Commission européenne peut-être.
La question du Nord préoccupe tout le monde. On a vu quelques communiqués du gouveement français. Mais quelle est la position de la France par rapport à cette énième rébellion dirigée par Bahanga?
Depuis le début d’une nouvelle période de troubles dans la région nord du Mali il y a presque un an et demi maintenant, la France a exprimé un soutien sans failles aux décisions prises par les autorités maliennes, le Président Amadou Toumani Touré en particulier, en faveur d’un règlement pacifique. C’est uniquement dans ce sens là qu’on pourra aller vers une paix durable, vers une pacification durable de cette région. C’est pourquoi la France, à plusieurs reprises, a marqué son soutien pour les démarches qui ont été engagées. Et après le mouvement de M. Bahanga a fait l’objet d’analyses diverses.
Ce qui semble en résulter, c’est d’être un mouvement très minoritaire, très particulier dont la dimension politique paraît aujour-d’hui très incertaine, voire à peu près nulle. Je crois qu’il faut que l’ensemble des parties prenantes comprennent que l’intérêt du Mali, l’intérêt de chacune des parties, c’est le dialogue, c’est de pacificier l’ensemble de cette zone. C’est la seule possibilité pour avoir un développement dans cette région là. L’instabilité joue surtout à l’encontre, en défaveur des zones qui sont conceées.
Le gouveement a organisé le forum de Kidal, il y a quelques mois et dont résulte la relance du développement économique dans cette région et qui suppose la paix. La communauté inteationale ne peut agi
r, ne peut apporter son soutien au développement de cette région que si la paix est définitivement assurée de manière durable. Ce qui est vrai, c’est que les régions nord du Mali, mais pas seulement le Mali, sont une zone stratégique, compliquée, de migrations illégales, des trafics de drogues, de pièces détachées. Ce sont des populations qui quelques fois bougent d’un pays à un autre.
C’est une zone complexe sur le plan inteational. Et la France ne peut souhaiter qu’une chose : c’est que petit à petit les gouveements de la région, bien sûr le Précisent ATT avec l’aide de la communauté inteationale qui est bien disposée, parviennent à stabiliser durablement cette région au bénéfice des populations.
Effectivement le nord-Mali est une zone stratégique et complexe. Que pensez-vous des activités de l’armée américaine dans cette région ?
D’après ce que je sais, les opérations militaires des Etats-Unis et du Mali, notamment dans les régions nord, entre dans le cadre de la coopération militaire entre les deux pays. Je crois que le gouveement malien a profité de la présence
des moyens logistiques américains dans le cadre de l’exercice à dimension régionale auquel participait d’ailleurs la France. Le gouveement malien a profité de cette occasion pour demander un service aux Etats-Unis. Ce qui est bien logique et les Etats-Unis ont répondu favorablement.
Le même service pouvait être demandé à la France ?
Il se trouve qu’il y avait des moyens américains sur place. Nous n’étions pas en train d’organiser un exercice militaire sur place au Mali.
Si les Etats-Unis s’installent à Tessalit, ancienne base militaire française, la France le verrait-elle d’un bon œil ?
Vous savez les relations entre les Etats Unis et la France sont excellentes. Je ne vois pas pourquoi considérer qu’il y ait une rivalité entre les Etats Unis et la France au Mali, dans le Nord du Mali, en Afrique en général. La situation du continent africain, le développement du continent africain, bref les questions sécuritaires en Afrique sont des questions compliquées. Il n’ya pas de solutions miracles. Beaucoup de gens essayent de trouver des solutions les plus adaptées. Nous avons aujourd’hui tous intérêt à la meilleure coopération entre les pays du Nord, les pays qui souhaitent participer au développement et à la sécurité du continent africain. Il n’y a absolument aucune rivalité entre les États-Unis et la France dans ce domaine.
Les Maliens ne comprennent pas pourquoi la France est si discrète. Vous ne prenez aucune initiative, vous n’aidez pas l’armée malienne…
La France n’a pas spécialement envie de se mettre en avant dans différents domaines. Vous savez que le Mali est un très grand pays. La France essaye d’avoir une coopération dans beaucoup de régions du Mali et on n’a pas les moyens de nous concentrer sur une région particulière. Pour autant, il y a une coopération française significative au bénéfice des régions du Nord Mali. Il y a beaucoup d’actions qui sont conduites en relation avec la Commis-sion européenne dans cette région.
L’année deière, la France a ouvert un crédit spécifique d’un million et demi d’euros vers cette région de Kidal. Nous avons une coopération militaire ancienne à travers les unités méharistes dans cette région. Je pense que la France essaye d’être plus actif dans cette zone du Mali.
Encore une fois, le Mali est un grand pays et nous essayons d’équilibrer le plus possible nos orientations, nos objectifs, nos priorités dans la politique de développement du gouveement malien.
Comment qualifiez-vous le tandem Bahanga-Fagaga : des touristes ? des trafiquants de drogues ? des combattants de la liberté ? ou des rebelles dont la cause est indéfendable ?
C’est une question de spécialistes que vous me posez là. Bref, des touristes, je n’ai pas l’impression. En tout cas, les agences de voyage n’ont pas l’air d’en tirer un grand bénéfice. Des trafiquants de drogues, je n’ai pas d’informations
particulières. Beaucoup le disent. Si c’est vrai, c’est regrettable parce que s’ils sont aussi attachés aux intérêts de la communauté tamasheq. On ne comprend pas pourquoi ils s’engagent dans des activités qui ne peuvent que les déconsidérer, que nuire à l’ensemble de la population, donc au pays. Si c’est le cas, c’est totalement condamnable, parce que le trafic de drogues, c’est un des grands fléaux aujourd’hui, c’est un des grands dangers planétaires.
Beaucoup de gens finissent par en souffrir, par en pâtir. Sont-ils défenseurs d’une cause politique, je ne sais pas. Je ne
comprendrais pas très bien comment on défend une cause politique en organisant des mouvements si incontrôlés, minoritaires. Il semble qu’au sein de la communauté tamasheq peu de gens les soutiennent véritablement. Prendre des otages, poser des mines aveugles, je ne vois pas très bien comment cela peut véritablement servir une cause politique ou des intérêts d’une communauté humaine.
Propos receuillis par Fousséni Traoré et Birama Fall
11 octobre 2007