Maye Niaré, experte à la mission d’appui à la refondation du Mali : “Refonder le Mali c’est renforcer le rôle de la femme à tout moment et en tout lieu. Et le rôle de la femme doit être au cœur de ce processus”

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“Malgré quelques avancées, la Loi 052 n’est pas totalement appliquée et plusieurs nominations se font en totale ignorance de cette loi”

Dans le cadre de la Journée internationale des femmes, célébrée le 8 mars 2022 à travers le monde, la directrice générale de YES, non moins Experte à la Mission d’appui à la refondation du Mali, Mme Maye Niaré, nous a accordé une interview exclusive. Une occasion pour elle de donner son point de vue sur le thème de cette journée, le bilan sur l’application de la Loi 052 et parler de son engagement dans la lutte des droits de la femme…Suivez l’interview !  

ujourd’hui-Mali : Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Maye Niaré : Je m’appelle Maye Niaré, je suis Experte à la Mission d’appui à la refondation du Mali (MARE), vice-présidente de Rifel’s Mali (Réseau international des femmes leaders), présidente de la Fédération des Soninkés (Feso-Mali) et directrice générale de YES.

Quel sens donnez-vous à la Journée internationale des droits de la femme ?

Le fondement de toute société humaine est bien évidemment la famille et la femme constitue le pilier central de toute famille. Une journée internationale consacrée aux droits de la femme est une très bonne opportunité pour faire le bilan de la lutte des femmes. Depuis plusieurs années, cette journée est fêtée au Mali.

La journée du 8 mars, au-delà de son aspect festif mis en avant au Mali, aurait dû servir de tremplin aux femmes pour prendre leur destinée en main afin de dégager une vraie vision face à notre rôle, nos défis, nos éventuels freins. L’opportunité serait bonne pour définir une stratégie dans la perspective d’atteinte de nos objectifs.

Si, nous les femmes, aspirons à une société plus juste, plus égalitaire, nous devons nous remettre en cause et accepter le changement qui fera naitre “une nouvelle version de nous-mêmes” au niveau de la famille, de la communauté, du quartier, de la commune et de tout le pays.

“Rôle et place de la femme dans la refondation du Mali” est le thème national de l’Édition 2022, quel est votre point de vue sur ce thème ?

Dans notre culture et notre histoire, les femmes ont toujours joué un rôle d’apaisement, de cohésion sociale, dans le maintien d’une paix durable. Refonder le Mali, c’est renforcer le rôle de la femme à tout moment et en tout lieu. En cette période de Refondation de notre pays, le rôle de la femme doit être au cœur de ce processus. Refonder une nation, voudra dire qu’elle s’est quelque part effondrée. Une nation qui s’effondre, est une nation qui est en perte de repères, de valeurs, de tout ce qui représentait ses fondements. Reconstruire une nation solide, passe d’abord par la solidité du soubassement. Le rôle de la femme est donc le moteur de toute refondation parce qu’elle est au centre du processus de la transmission, l’éducation, l’acquisition, la structuration, l’implémentation, la compréhension et la solidité de la continuité de toutes les actions. Il est donc impératif de bâtir les stratégies de refondation autour de la famille de façon générale et de la femme de façon spécifique.

De nos jours, les femmes sont en pleine crise : perte de repères, absence de modèle, manque de patriotisme, incivisme, crise de l’éducation. Une vraie crise qui doit en appeler à une réelle conscience collective. Aux femmes, pilier de toute société, nous disons, arrêtons-nous un moment et réfléchissons aux voies et moyens pour aider notre pays. Aux personnes qui ont de l’argent, investissons notre argent dans le développement et non pour acheter un nom comme dit la griotte qui ne nous apporte finalement pas grand-chose. Si nous voulons refonder véritablement notre pays, il s’agira de mettre en avant et en exergue d’autres types de valeurs dont le travail, le sérieux, le patriotisme, la véritable solidarité, la culture de l’excellence.

Quel bilan faites-vous de l’application de la Loi 052 ?

La Loi N° 2015-052, adoptée par l’Assemblée nationale le 18 décembre 2015, marque la volonté de notre pays de renforcer la présence des femmes dans les sphères de décision. Cette loi, qui a quatre (4) articles, accorde désormais 30% des postes nominatifs et électifs aux femmes dans le but de leur permettre de participer activement à la vie publique et à la construction de la démocratie dans notre pays. Plus spécifiquement, les Maliennes vont désormais bénéficier de 30% au moins pour les nominations dans les institutions de la République ou dans les différentes catégories de services publics par décret, arrêté ou décision. La Loi 052 détermine également les catégories électives, y compris les conditions dans lesquelles la recevabilité d’une liste de candidatures est soumise à la proportion maximale de 70% de femmes ou d’hommes.

Le premier article exige qu’à l’occasion de l’élection des députés à l’Assemblée nationale, des membres du Haut conseil des collectivités ou des collectivités territoriales, aucune liste d’au moins trois personnes, présentées par un parti politique, groupe de partis politiques ou groupe de candidats indépendants, ne soit recevable si elle présente plus de 70% d’hommes.

Le second article précise que la présente loi ne s’applique pas aux élections au niveau des chefferies traditionnelles des conseillers de villages et de fractions, des associations religieuses, de culte ou à caractère confessionnel ou encore tout autre regroupement disposant de statuts et règlements qui leur sont propres. Le troisième article de la Loi indique que les listes de candidatures aux élections locales doivent respecter l’alternance des sexes de la manière suivante : si deux candidatures du même sexe sont inscrites, la troisième doit être de l’autre sexe. Le dernier et le quatrième article précise que les modalités d’application de la Loi seront définies par décret pris en conseil de ministres. Signalons que cette loi ne favorise pas seulement les femmes, mais fait tout simplement la promotion du genre dans toutes les instances nominatives et électives. Il s’agit donc de voir dans quelle mesure les hommes et les femmes peuvent, de façon équitable, participer à la gestion de l’Etat.

De 1997 à 2002, seulement 18 femmes étaient à l’Hémicycle sur 147 députés.

De 2002 à 2007, on comptait 15 femmes sur 147 députés. Pire, seulement 13 femmes étaient à l’Hémicycle pour la législature 2014-2019. Au niveau du Conseil national de transition mis en place le 04 décembre 2020, sur 121 personnes, nous n’avions compté que moins d’une trentaine sur presque une quarantaine prévue par la Loi 052. Par ailleurs, sur 703 communes, on compte seulement 8 femmes maires. Et sur les 10 774 conseillers communaux, nous avons 927 femmes soit moins de 10%. Ainsi, parmi les 73 conseillers nationaux, les femmes ne représentent que 6. Ces chiffrent représentent sans doute l’une des motivations du Département à initier cette loi.

Cette loi visait à réduire les inégalités de représentations. Un point qui facilitera la tâche aux femmes politiques quand on sait, qu’au Mali, les femmes constituent 50,4% de la population. Elles sont très actives dans la vie socioéconomique, politique et sociale du pays. Cependant, la représentation des femmes au niveau des postes électifs est accablante.

Et pour cause ! Il convient aujourd’hui de noter que malgré quelques avancées, cette loi n’est pas totalement appliquée et plusieurs nominations se font en total ignorance de la Loi 052. Force est de constater qu’il reste véritablement beaucoup de choses à faire encore pour une pleine application.

Pouvez-vous nous parler de votre engagement dans la lutte pour le respect des droits de la femme ?

Je me considère comme une personne naturellement engagée. Je n’attends pas qu’on m’invite à prendre part aux causes auxquelles je crois. La lutte de la femme malienne ou africaine fait partie des choses qui m’interpellent tout naturellement. Je crois fermement que le changement de la condition féminine contribuera à améliorer les conditions de vie de façon générale sur le continent. Tous les pays à travers le monde qui ont pu se développer rapidement et améliorer de façon exponentielle la qualité de vie de leurs citoyens, n’ont pu le faire qu’à travers l’amélioration substantielle de la condition de vie des femmes. Une femme heureuse, ce sont les enfants heureux, c’est une famille heureuse, c’est également un quartier heureux, une commune heureuse et tout un pays stable ou il fait bon vivre. La femme se trouve au début et à la fin de la chaine de transformation de la qualité de vie humaine des populations. Il va donc de soi que nous réfléchissions quotidiennement à la condition de vie des femmes et à comment nous devrons l’améliorer grandement pour leur plein épanouissement.

En tant que femme, pour les 365 jours de l’année, je m’impose comme règle de réfléchir à la condition féminine, à l’orientation de notre combat, aux éventuels freins, aux différentes solutions que nous devrons mettre en place pour la femme malienne et pour toutes les femmes africaines. Ce jour de 8 mars, spécifiquement, comme durant tous mes temps libres, j’anime des conférences dans les écoles et les universités, je participe aux débats pour faire le bilan de la lutte des femmes, je donne des interviews spécifiquement sur quel est le sens de cette journée et comment les femmes devront participer à la refondation du pays afin d’occuper pleinement leurs places. Parallèlement, j’engage des discussions avec tous les jeunes qui sont autour de moi afin de m’assurer qu’ils ont compris le combat et que le Mali attend de chacun d’eux.

En tant que leader féminin, avez-vous un message à l’endroit de vos sœurs et filles ?

Trois (3) changements de comportement me semblent indispensables pour un aboutissement clair de la lutte des femmes. En premier lieu, il me semble très important que les femmes s’occupent personnellement de l’éducation de leurs enfants, garçons et filles. Qu’elles sachent qu’elles ne peuvent absolument pas déléguer cette tâche à une tierce personne. En second lieu, il me semble primordial que les femmes du Mali acceptent de se mettre au service de la cause féminine et non se servir elles-mêmes. Pour celles qui ont eu un peu plus de chance que les autres, qu’elles acceptent d’aider les autres et se sentent libres de rentrer en action. Elles devront privilégier la défense des intérêts collectifs au détriment des intérêts individuels et égoïstes. En troisième lieu, il me semble indispensable que nous puissions revendiquer d’autres types de valeurs : intégrité, excellence, culture de la solidarité féminine, méritocratie, etc.

J’invite toutes mes sœurs à se poser les bonnes questions durant cette journée et même au-delà.

Soyons des femmes d’impact en devenant nous-mêmes le changement que nous voulons pour notre pays. J’exhorte mes sœurs à aller au-delà des émotions et à s’engager sincèrement vers une vision commune d’entraide et de solidarité face aux multiples défis.

Pour notre combat commun, il s’agira de se battre pour avoir de la valeur et non pour être mise en valeur ! Vive toutes ces femmes maliennes qui essaient de faire la différence en s’engageant véritablement pour nos droits. Très bon mois de la Femme et de Réflexion sur les droits des femmes.

 Réalisé par El Hadj A.B. HAIDARA

 

 

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