Mamadou L. Sylla, spécialiste en intelligence économique : “Nos importations sont à majorité les produits énergétiques”

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Mamadou Lamine Sylla, économiste spécialisé en Intelligence économique, évolue depuis une quinzaine d’années dans le secteur bancaire. Il est l’auteur du livre : “Vision prospective du financement des économies de la zone Uémoa à travers l’Intelligence économique”, qui lui a valu le prix du Meilleur livre dans la catégorie “Banque et finance” du Salon international des livres d’économie et de management de la zone Uémoa en janvier 2022 et celui du Meilleur livre international d’intelligence économique, décerné par le Maroc en décembre 2022. Il est consultant sur des questions de mobilisation des ressources en faveur des entreprises, des collectivités territoriales et des Etats. Mamadou Lamine Sylla est actuellement responsable des risques au sein de la Bank of Africa Niger. Il nous parle de secteur des hydrocarbures dans l’économie malienne. Entretien !

 Mali-Tribune : Quelle est l’importance relative des hydrocarbures dans l’économie nationale du Mali ?

M L. S. : L’industrie des hydrocarbures a une importante contribution au regard de la structure de nos différentes économies (économie en développement). Qui parle d’économie en développement, parle forcément des besoins induits sur le plan énergétique afin d’alimenter la production d’électricité indispensable pour faire fonctionner le tissu économique (les entreprises, les PME/PMI de plus en plus nombreuses, et les ménages). Plus le pays est ambitieux dans son développement à travers la conception des programmes d’infrastructures, plus la consommation en produits énergétiques se révèle importante.

A titre illustratif, en dehors des entreprises où l’évidence des besoins croissants en hydrocarbures crève les yeux, les ménages (populations) consomment de plus en plus de biens à base d’énergie : les moyens de transport (voitures, bateaux, avions, mobylette). Aussi, l’amélioration du cadre de vie à travers l’utilisation des électro-ménagers (réfrigérateur, congélateur, micro-onde, fer à repasser, machines à laver, etc.) et l’augmentation du niveau de vie induisent nécessairement des besoins supplémentaires en produits des industries des hydrocarbures.

Le Mali ne fait pas exception à ce principe. De plus, le changement climatique, surtout dans nos pays présentant des caractéristiques climatiques souvent extrêmes avec des fortes périodes de chaleur, entraîne une hausse des besoins en produits hydrocarbures pendant lesquelles périodes la consommation d’aliments rafraichissants est en hausse.

Concernant les données chiffrées, la balance des paiements du Mali à travers le Compte des transactions courantes, enregistre les échanges commerciaux (exportations et importations). Les importations du pays portent en partie sur les produits hydrocarbures en plus des biens de consommation courante. Selon les dernières statistiques, les importations des produits énergétiques ont représenté presqu’un tiers soit 27,9 % des importations du pays, et ce chiffre suit un trend croissant sur les trois dernières années.

Mali-Tribune : Comment les revenus issus des hydrocarbures sont-ils utilisés ou réinvestis dans l’économie nationale ?

M L. S. : Au niveau de l’économie nationale, il faut toujours raisonner conformément au principe d’”unicité du compte national”. En finance publique, ce principe est complété par celui que les spécialistes appellent “le principe de non affectation de certaines ressources à certaines dépenses”. En d’autres termes, l’ensemble des revenus de l’Etat est centralisé dans un compte unique du Trésor pour exécuter l’ensemble des dépenses. Bien évidemment qu’il y a une exception à certains types de revenus dont l’affectation peut se faire de manière souveraine décidée par l’Etat pour engager certains budgets spéciaux notamment “le budget spécial d’investissement”. De ce fait, les revenus (à travers la fiscalité directe ou indirecte) issues des hydrocarbures au Mali sont centralisés dans le budget de l’Etat pour exécuter les dépenses.

 Mali-Tribune : Quels sont les principaux impacts positifs et négatifs de l’industrie des hydrocarbures sur l’économie du Mali ?

M L. S. : Il convient de rappeler l’importance des revenus issus des hydrocarbures dans le budget national au Mali. Ces revenus ont deux composantes : les taxes sur les importations des produits pétroliers, les taxes sur les produits pétroliers.

Selon les statistiques officielles (budget de l’Etat 2020-2023), les taxes sur les importations des produits pétroliers ont été estimées à 206 milliards F CFA en 2022 et 241 milliards F CFA en 2023. Etant donné que presque 1/3 (soit 27,9 %) des importations portent sur les produits énergétiques, par déduction, les taxes sur les importations des hydrocarbures se situeraient ainsi à 68 milliards en 2022 et 80 milliards en 2023. En ce qui concerne la deuxième composante (taxes sur les produits pétroliers), elle a atteint 49 milliards en 2022 et 63 milliards en 2023.

Ces montants ne sont donc pas négligeables sur les recettes de l’Etat car permettent de combler et compléter bien de chapitres budgétaires s’ils sont gérés de manière efficiente.

Mali-Tribune : Comment les fluctuations des prix du pétrole et du gaz naturel affectent l’économie et les consommateurs au Mali ?

M L. S. : Permettez-moi de faire un rappel sur le processus, les enjeux et les défis du commerce international avant de répondre à cette question de valeur.

La mondialisation économique (qu’on nous a enseigné à l’Université) a débuté en 1980. Elle s’était caractérisée par ce qui est communément appelée les 3D de la mondialisation, c’est à dire : la Dérèglementation, le Décloisonnement et la Désintermédiation. Concrètement, elle a été marquée par l’ouverture à outrance des frontières économiques des pays pour assurer la libre circulation des biens et des services (surtout pour les pays en développement car les pays soi-disant développés ont maintenu des barrières à leurs marchés prétextant les normes sanitaires afin de protéger leurs entreprises domestiques).

En revanche, la libre circulation des personnes est toujours réglementée, il faut juste suivre la situation déshumanisante des migrants africains entassés aux portes de l’Europe (Lampedusa, Melilla). Ce qui amène à se poser la question suivante : Est-ce la libre circulation des biens et services est plus importante que celle des êtres humains ? L’avenir nous en dira.

Pour revenir à cette mondialisation, il est important de le rappeler qu’elle est à sens unique car ne concerne que les économies africaines auprès desquelles on impose l’ouverture de leurs frontières afin que leurs pauvres entreprises (encore artisanales et fragiles) puissent compétir avec les entreprises occidentales et asiatiques qui ont bénéficié d’appui de leurs Etats et un environnement équilibré depuis presque trois quart (3/4) de siècle.

Cette mondialisation a vraisemblablement modifié la logistique internationale et l’approvisionnement des pays. De ce fait, les fluctuations des prix du pétrole/gaz sont fortement corrélées (positivement et négativement) aux prix des produits transportés et par conséquent au panier du consommateur. Si le prix du Brent augmente, le prix de transport subira un surcoût qui sera répercuté sur le prix des marchandises transportées. C’est en cela que l’inflation se fait sentir au niveau des économies africaines. Ce phénomène est connu sous le nom d’”inflation importée”.

Les pays ayant une forte importation surtout des biens de consommation courante et en produits énergétiques s’exposent plus à cela. L’illustration par excellence remonte au 1er et deuxième choc pétrolier en 1973 et 1979 ou nous avons assisté à une augmentation soudaine du prix du Brent, qui s’est répercuté sur l’ensemble de l’économie mondiale. Nos pays devraient aller vers une maîtrise de leur consommation en produits hydrocarbures à travers le développement d’énergie alternative domestique à moindre coût afin d’enclencher un développement endogène.

 

Mali-Tribune : Quels sont les principaux secteurs économiques du Mali qui sont directement influencés par le marché des hydrocarbures ?

M L. S. : Naturellement, le secteur de transport en premier (de marchandises et de personnes) c’est ce secteur qui constitue la “courroie de transmission” avec le reste de l’économie. Il pourrait être suivi par celui de la chaîne de froid, de conditionnement (des produits alimentaires et pharmaceutiques).

 Mali-Tribune : Quel est l’effet des importations d’hydrocarbures sur la balance commerciale du Mali ?

M L. S. : Comme la plupart des économies en développement, elles présentent une balance commerciale structurellement déficitaire, causée par le poids important des importations (de biens de consommation courante et de produits énergétiques). Les exportations sont encore “epsilon” du fait qu’elles portent sur des produits primaires bruts faiblement valorisés, donc transformés. Et ce déficit ne fait que se creuser davantage du fait de la détérioration des termes de l’échange.

Si nous voulons renverser cette tendance déficitaire, nos importations devraient être orientées stratégiquement sur les biens d’équipements afin de doter nos entreprises des capacités pour produire des biens de consommation (que nous importons) car nous avons un énorme marché domestique. Cela devrait être accompagné par une politique énergétique en phase avec notre réalité économique en vue d’entamer une transformation structurelle de nos économies africaines pour un développement équilibré et harmonieux.

Si les changements nécessaires tardent à venir, on risque de favoriser le développement du “cercle vicieux des importations” qui pourrait avoir de lourdes conséquences pour nos pays. Ceci constitue d’ailleurs une arme de guerre, “guerre économique”, souvent utilisée par les puissances étrangères pour imposer leur diktat aux pays africains. L’actualité sous-régionale ou internationale est l’illustration parfaite de ce phénomène de dépendance vis-à-vis des importations de produits énergétiques.

 

Mali-Tribune : Dans quelle mesure le Mali est-il dépendant des importations d’hydrocarbures pour ses besoins énergétiques ?

M L. S. : Cette dépendance de notre pays aux importations d’hydrocarbure (si elle se renforce dans le temps) risquerait de fragiliser davantage notre économie industrielle. Le Mali devrait aller vite et très vite vers une politique volontariste de transformation structurelle de notre source d’approvisionnement en énergie. Ces politiques devraient porter sur le renforcement du savoir et du savoir-faire de nos PME/PMI, créatrices d’emploi et de valeur ajoutée à investir dans les énergies propres et à moindres coûts.

L’illustration par excellence demeure encore la faible transformation des produits primaires que nous exportons bruts à cause d’un manque de savoir-faire industriel et de la disponibilité compétitive de l’énergie… C’est le cas du coton.

Imaginer le kilo du coton a été vendu péniblement à 300 F CFA pendant la dernière campagne, soit moins de 50 centimes d’euro. Or le poids d’une chemise homme de qualité (en coton) est estimé à 200 grammes et est vendue entre 10 000 F CFA et 20 000 F CFA. Donc, 1 kg de coton acheté à 300 F CFA aux cotonculteurs est transformé pour confectionner 5 chemises, vendues aux mêmes enfants de ces paysans (qui cultivent et exportent le coton). Ce qui rapporte aux industriels occidentaux et asiatiques des textiles entre 50 000 F CFA et 100 000 F CFA alors que le pauvre paysan des pays de la C4 n’encaisse que 300 F CFA. Ceci constitue un crime économique et industriel auxquels nos pays devraient s’investir davantage pour trouver des solutions à cette exploitation de l’homme par l’homme.

Cela nécessite des sacrifices en termes de réflexion, de conception d’une politique nationale d’investissement dans les secteurs où nous détenons des avantages afin de créer des PME/PMI transformatrices, les protéger contre la concurrence internationale et les accompagner pour prendre des parts de marché sur les autres marchés.

Nous devrons aller à la recherche des financements surtout les financements innovants et créer des fonds d’investissements et des fonds de capitaux risques pour aider nos entreprises à faire face à cette compétition internationale où tous les coups sont permis car il s’agit d’une guerre, guerre économique et commerciale.

Mali-Tribune : Quels sont les risques associés à une forte dépendance aux hydrocarbures pour l’économie et la stabilité du Mali ?

ML. S. : Le risque associé à cette forte dépendance aux hydrocarbures porte tout simplement sur l’enrichissement de l’extérieur. Nous travaillons pour enrichir les économies étrangères et ceci se traduit par un appauvrissement du pays. A termes, cette situation entrainera la transformation de nos économies en marché pour les puissances économiques.

Mali-Tribune : Quelles stratégies de diversification énergétique pourraient être mises en place pour réduire la dépendance du Mali aux hydrocarbures ?

M L. S. : Pour éviter ce devenir sombre, nous devrons anticiper les changements de demain, avoir une vision prospective pour se positionner sur des secteurs d’avenir… L’intelligence artificielle en est une parfaite illustration. Le gouvernement malien a d’ailleurs posé la première pierre, l’année dernière pour la construction d’un Centre d’intelligence artificielle et de Robotique. Ce qui est à saluer.

Les métiers vont être révolutionnés car beaucoup de métiers/formations aujourd’hui ne seraient plus demandés sur le marché de l’emploi de demain. Donc, il faut anticiper, former nos jeunes à des métiers du futur afin de produire les biens et services que nous consommeront demain. Il s’agit d’investir aussi dans les énergies renouvelables à moindres coûts et dans l’économie de la connaissance pour fabriquer des biens intelligents, gage d’un développement harmonieux.

Mali-Tribune : Quels sont les principaux défis économiques auxquels le Mali est confronté en raison de sa dépendance aux hydrocarbures ?

M L. S. : Comme évoqué tantôt, les défis demeurent la dépendance structurelle aux sources énergétiques coûteuses, consommatrices de ressources et dévastatrices de notre écosystème. Imaginer aujourd’hui, ce sont les pays qui ont le niveau d’ensoleillement les moins élevés dans le monde (Norvège, Chine…, etc.) qui fabriquent des objets capables de produire l’énergie à partir du soleil. Comment est-ce possible encore dans nos pays d’investir dans des énergies coûteuses et délaisser le solaire !!!!!!! Nos universités, nos centres de formations professionnelles, nos instituts de recherches devraient s’orienter davantage pour offrir des programmes de formation intelligents en phase avec nos réalités économiques et environnementales. Le Mali a engagé récemment de vastes reformes volontaristes pour la construction des centrales solaires. C’est une excellente initiative qui soulagera nos populations et nos PME/PMI.

Mali-Tribune : Comment la transition vers des sources d’énergie plus durables pourrait-elle impacter l’économie malienne à court et à long terme ?

M L. S. : Nous ne pouvons-nous permettre de penser encore de transition énergétique, nous sommes en retard, très en retard et les défis sont énormes. Il y a du pain sur la planche. Il en va de la survie de nos populations. Engageons-les réformes nécessaires pour produire de l’énergie intelligente afin que nos entreprises puissent travailler ! Ensuite nous devrons penser notre développement, notre modèle de développement et investir dans la formation des jeunes pour porter les projets… les idées ne manquent pas.

Mali-Tribune : Quelles politiques ou mesures pourraient être mises en place pour atténuer les risques économiques et environnementaux liés à l’utilisation des hydrocarbures au Mali ?

M L. S. : Il s’agit d’engager une politique volontariste de développement de notre tissu industriel (PME/PMI) axée sur une vision prospective et stratégique intégrants les contraintes économiques et environnementales. Pour ce faire, nos Etats devraient créer les conditions favorables à la création d’entreprises (PME/PMI), à leur développement, à leur protection contre la compétition déloyale imposée par les puissances économiques étrangères. En effet, nous ne pouvons pas rester sur les mêmes modèles économiques, l’environnement change et le monde évolue très vite… Il nous faut changer de paradigme et de postulats.

Nous avons suffisamment d’exemples à travers le monde. En effet, le modèle chinois est illustratif. Elle (Chine) a conçu une vision prospective, opéré des choix stratégiques, identifié les partenaires fiables et mobilisé les ressources financières pour accompagner les entreprises à se développer en interne et aller à l’international. L’Etat chinois s’est appuyé sur l’Intelligence économique pour non seulement protéger ses entreprises mais également les aider à aller à l’international. Qu’est-ce qui empêche nos Etats à être ambitieux ?

Propos recueillis par

Aminata Agaly Yattara

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