«Au Mali, en raison de manques d’informations fiables concernant la consommation de drogues, il reste très difficile d’évaluer l’ampleur…»

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Du 20 au 23 novembre 2017, une quarantaine de journalistes maliens ont pris part à Sélingué à un atelier de formation sur la problématique du trafic illicite des drogues et la criminalité transnationale organisée. En marge dudit atelier, Mohamed Kanouté, chef Division prévention, communication et relations publiques à l’Office central des stupéfiants, a accordé une interview à notre envoyé spécial.

M. Mohamed Kanouté, qu’en est-il de l’ampleur du trafic et de la consommation de drogues en Afrique ?

La consommation actuelle de drogues en Afrique de l’Ouest pose de nombreuses inquiétudes. Si dans un passé récent l’Afrique était jusque-là considérée comme une zone de transit, elle est devenue un marché de consommation et de production. Selon le rapport 2016 de l’OICS, l’Afrique reste l’une des principales régions de production et de consommation de cannabis, 7,6% de prévalence de consommation et environ 30 millions se trouvent en Afrique de l’Ouest et du Centre.

Selon l’Onudc, 11% des consommateurs d’opiacés se trouvent en Afrique dont les 50% en Afrique de l’Ouest et du centre. Les tendances de consommation de drogues dans la région sont caractérisées par une forte domination de la consommation de cannabis, avec des taux faibles, mais croissants pour la cocaïne, l’héroïne et les amphétamines. En 2010, environ 12,4% des adultes en Afrique de l’Ouest (15-64 ans) avaient consommé du cannabis. La cocaïne et l’héroïne sont les nouveaux arrivants sur la scène ouest-africaine des drogues, étant relativement inconnus avant le début des années 1980. Bien qu’il existe un manque de données relatives à la consommation de ces drogues, de nombreuses enquêtes de petite envergure sur la consommation d’héroïne et de cocaïne ont été menées dans plusieurs pays ouest-africains.

Et pour les autres stimulants de type amphétamine ?

En ce qui concerne les stimulants de type amphétamine (STA), la méthamphétamine en particulier est devenue une drogue populaire chez les trafiquants en Afrique de l’Ouest et la production locale a augmenté dans la région. Depuis 2010, des laboratoires clandestins ont été découverts au Nigeria et au Ghana et en Guinée Bissau…

Dans plusieurs pays ouest-africains, des études menées montrent que le nombre d’usagers de drogues injectables varie de quelques centaines à plusieurs milliers. Dès 1998, l’injection de drogues a été signalée dans cinq pays de la région, à savoir le Nigéria, la Côte d’Ivoire, le Gabon, le Ghana et le Sénégal. La drogue la plus injectée reste l’héroïne.

Au Mali, en raison de manques d’informations fiables concernant la consommation de drogues, il reste très difficile d’évaluer l’ampleur. Cependant, une enquête RDS, effectuée par ARCAD/Sida en 2013, a permis de comprendre l’ampleur du fléau de la drogue injectable. Cette étude a porté sur 500 consommateurs de drogues et a révélé leur statut de polyconsommateurs avec un taux de 7,8% d’injecteurs. Parmi ceux-ci, 34,8% réutilisaient leurs seringues et 26,1% se partageaient des seringues. La séroprévalence du VIH était de 5,1% soit trois fois plus élevée que chez les non injecteurs.

Ya-t-il une réponse répressive au phénomène ?

Oui. Au cours des cinquante dernières années, la plupart des gouvernements ont fidèlement suivi le modèle politique établi par les conventions des Nations unies sur le contrôle des drogues : la Convention unique sur les stupéfiants de 1961, la Convention sur les substances psychotropes de 1971 et la Convention contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes de 1988. Bien que l’objectif fondamental des conventions soit de protéger la santé et le bien-être de l’humanité, comme l’indique le préambule des Conventions de 1961 et de 1971, le modèle est fortement centré sur le principe de dissuasion.

En effet, les stratégies ont généralement mis l’accent sur la mise en place et l’exécution de lois et de politiques visant à interrompre l’approvisionnement en drogues contrôlées, ainsi que sur des peines sévères pour dissuader la demande, afin de perturber et finalement éradiquer le marché illégal de drogues. Ces politiques ont généralement été caractérisées par des débats idéologiques entre des sensibilités opposées, considérant les décisions prises en matière de drogues comme «dures» ou «laxistes».

Est-ce que la nécessité d’une approche équilibrée pour lutter contre la drogue ne s’impose pas à nos pays ?

Évidemment, ça s’impose à nos pays. D’autant que ces peines sévères et ces mesures punitives ont été inefficaces à freiner les niveaux de consommation de drogues et ont conduit à un certain nombre de conséquences sanitaires et sociales graves pour les consommateurs. Au Mali est condamné un usager pour détention d’une peine de 1 à 3 mois d’emprisonnement et d’une amende de 50.000 à 100.000. La  Commission ouest-africaine sur les drogues, dans son rapport «Pas seulement une zone de transit», a appelé les gouvernements à «traiter l’usage de drogues comme un problème de santé publique avec des causes et des conséquences socio-économiques, plutôt que de le confier à la justice pénale». Les questions de consommation devraient par conséquent être abordées à travers une stratégie complète centrée sur la santé. En effet, cette stratégie comprend trois composantes principales : la prévention, la réduction des risques et le traitement de la dépendance à la drogue.

À votre niveau à l’OCS, disposez-vous d’un moyen de prévention ?

La prévention en matière de drogue vise seulement à prévenir, retarder ou réduire la consommation de drogue et/ou ses conséquences négatives sur la population générale ou certains groupes particuliers. Les interventions de prévention peuvent être réalisées dans différents contextes, avec différents méthodes et contenus. La durée peut varier, entre des activités ponctuelles et des projets à long terme, sur plusieurs mois ou davantage.

La plupart des pays ouest-africains ont développé un certain type d’intervention de prévention en matière de drogues. Le défi pour les responsables politiques et les professionnels est de développer et mettre en œuvre des programmes de prévention qui soient fondés sur des méthodes adaptées, et qui répondent aux besoins locaux spécifiques. Cependant, le premier défi, avant même de mesurer l’efficacité des différentes méthodes, est d’en définir les objectifs, que voulons nous atteindre. Le principal objectif de la prévention est d’aider à éviter ou à retarder l’initiation des personnes à la consommation de drogues, ou, si elles ont déjà commencé, d’éviter que leur consommation ne devienne problématique.

L’objectif général d’un programme holistique de prévention efficace est bien plus large : il consiste à contribuer à l’engagement positif des enfants, des jeunes et des adultes avec leur famille, leur école, leur lieu de travail et leur communauté, et chercher à développer des compétences et des capacités personnelles essentielles pour leur vie. Le plus souvent, il est considéré faussement que la prévention consiste simplement à informer (généralement à avertir) les jeunes sur les effets (le plus souvent les dangers) de la consommation de drogues. La prévention est alors souvent assimilée à des tactiques alarmistes et de vastes campagnes médiatiques. En réalité, le défi de la prévention consiste à aider les gens à adapter leur comportement, leurs capacités et leur bien-être face à de multiples influences telles que les normes sociales, les interactions avec leurs pairs, les conditions de vie et leurs propres traits de personnalité.

Parlez-nous un peu de la réduction des risques de drogue.

Ces 100 dernières années, la plupart des politiques ont été fondées sur des perspectives idéologiques visant à créer une société sans drogues, et l’Afrique de l’Ouest n’a pas dérogé à cette règle. Les diverses expériences à travers le monde ont démontré que cet objectif est loin d’avoir été atteint. En effet, les données historiques montrent qu’à l’échelle mondiale, la majorité des sociétés ont connu un certain niveau de consommation de drogues. Nous avons vu que l’absence de systèmes de traitement de la dépendance à la drogue en Afrique de l’Ouest pose un sérieux risque en termes de santé publique, car cette carence peut exacerber les défis existants, tels que la propagation du VIH. Ceci est d’autant plus inquiétant lorsqu’on sait que le transit de la cocaïne, de l’héroïne et des stimulants de type amphétamine (STA) a engendré une augmentation de la consommation de drogues dans la région, plus particulièrement chez les jeunes.

Une approche de réduction des risques est de plus en plus considérée comme une nécessité politique en Afrique de l’Ouest, pour travailler de façon pragmatique et avec compassion avec les usagers de drogues. La réduction des risques fait référence aux politiques, aux programmes et aux pratiques qui visent essentiellement à réduire les conséquences sanitaires, sociales et économiques liées à la consommation légale ou illégale de substances psycho-actives. Elle est bénéfique pour les consommateurs de drogues, leur famille et la communauté dans son ensemble. Enfin, il s’agit d’une approche solidement ancrée dans la santé publique et les droits humains.

  1. Kanouté, en quelques mots, quels sont vos défis à relever ?

Comme défis, nous disons seulement d’arrêter le déni pour face à l’évidence ; de former une masse critique sur la question ; de déconstruire la perception actuelle de la société sur les consommateurs dépendants de drogues et d’œuvrer à créer un environnement favorable pour une prise en charge des personnes dépendantes de la drogue.

Propos recueillis par Ousmane DIAKITE

Envoyé spécial à Sélingué

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