La situation sociopolitique du Mali, le dialogue inter-Maliens, les défis et perspectives de la Transition en cours sont autant de sujets sur lesquels s’exprime dans l’interview ci-dessous Dr Abdoul Sogodogo, enseignant-chercheur à l’Université des sciences juridiques et politiques de Bamako (USJPB)
L’Essor : Quel regard portez-vous sur la situation sociopolitique du pays ?
Dr Abdoul Sogodogo : Tout observateur avisé de la vie politique malienne ne peut qu’admettre la réalité des avancées substantielles qui ont été réalisées en vue de l’édification de la paix dans notre pays au cours des derniers mois. Pour autant, il subsiste d’importants chantiers de reconstruction dans de nombreux domaines (l’école, la santé, la sécurité, etc.), et c’est pour cette raison qu’à côté des motifs réels d’espoir, on peut légitimement nourrir une certaine appréhension vis-à-vis du futur.
En ce début d’année 2024, j’espère vivement le retour de la paix. L’État est désormais présent sur l’ensemble du territoire national, y compris à Kidal, et semble disposé à engager un dialogue en vue de construire une paix durable. Cependant, depuis 2012, j’observe l’émergence de nouvelles stratégies de captation du pouvoir qui suscitent en moi des préoccupations quant à la cohésion nationale. En effet, les ramifications des différentes crises sécuritaires et politiques ont érodé le tissu social. Elles ont également perturbé le fonctionnement normal entre les sphères religieuses et politiques, le peuple se trouvant pris en tenaille entre différents acteurs aux intérêts parfois antagoniques.
Les tentatives d’instrumentalisation réciproques entre le politique et le religieux, en plus de la variable ethnique, justifient les tensions sociales actuelles. Même la société civile se trouve entraînée dans ce tourbillon dévastateur pour la cohésion sociale. Parallèlement, se développe l’utilisation de discours populistes visant à mobiliser les masses et à gagner le soutien populaire en exploitant les sentiments de mécontentement ou de frustration.
L’Essor : Dans son discours de Nouvel an, le président de la Transition a évoqué un dialogue inter-Maliens. Comment avez-vous accueilli cette annonce ?
Dr Abdoul Sogodogo : J’accueille avec soulagement l’idée d’un dialogue inter-Maliens. En 2019, dans une réflexion sur la «Médiation algérienne dans les conflits maliens», j’exprimais la nécessité de poursuivre le dialogue entre les Maliens après la signature de l’accord de 2015, qui a eu le mérite de mettre fin aux affrontements armés jusqu’au redéploiement de l’État dans les régions du Nord du pays à la suite du retrait de la Minusma.
Dans les conflits tels que celui que vit le Mali, une médiation internationale est essentielle pour initier le dialogue entre les parties et mettre fin aux hostilités. Cependant, il est tout aussi crucial d’avoir une médiation nationale plus étendue, impliquant non seulement les groupes directement engagés dans le conflit, mais aussi les populations les plus touchées par celui-ci. Cette médiation nationale doit être à la fois large et concertée, traitant en profondeur les problématiques actuelles, pour comprendre les racines du conflit afin de les traiter convenablement. Cela nécessite du temps pour aborder en profondeur les questions décisives et construire de nouveaux consensus.
La recherche d’un consensus est un processus long et coûteux en termes de ressources, parfois épuisant pour les populations. Cependant, c’est la voie la plus sûre pour reconstruire une paix durable au Mali. Afin d’optimiser ce processus, il serait utile que ce dialogue à long terme soit dirigé par un comité composé de personnalités jouissant d’une grande légitimité au sein des populations maliennes et d’experts en gestion des conflits violents.
L’Essor : Quelques mots sur les défis et perspectives de la Transition…
Dr Abdoul Sogodogo : Les succès militaires sont indéniablement à saluer, mais de nombreux défis doivent être soulignés. En tant qu’enseignant-chercheur, je constate que la refondation du Mali se fera très probablement à travers l’éducation. Ainsi, comment accorder la priorité à la refondation de l’école au Mali sans pour autant négliger la sécurisation du territoire national et amorcer simultanément le développement économique du pays ?
Notre pays doit relever plusieurs défis collectivement, car tout semble prioritaire et les populations sont de plus en plus exigeantes vis-à-vis des pouvoirs publics. C’est une raison de plus d’engager un dialogue permanent avec les populations pour la fabrication et l’implémentation des politiques publiques. De plus, il est essentiel de mettre le citoyen en capacité de contrôler l’action publique.
Un autre défi est l’organisation des élections présidentielles marquant la fin de la transition. C’est une question préoccupante pour les acteurs politiques en général, moins perceptible pour les populations éloignées des sphères de pouvoir, et surtout une question délicate pour les autorités qui doivent concilier plusieurs impératifs.
Propos recueillis par
Massa SIDIBE