Sahel Tribune a rencontré le politologue Boubacar Bocoum, le lundi 20 septembre 2021, à la veille de la commémoration du 61e anniversaire de l’accession du Mali à l’indépendance. Dans cette deuxième partie de notre entretien, M. Bocoum évoque la coopération entre le Mali et les autres États. Il fait des propositions pour un meilleur positionnement de notre pays dans le concert des Nations.
Sahel Tribune : Quel impact peut avoir l’intervention de Wagner sur la coopération entre le Mali et la Communauté internationale ?
Boubacar Bocoum : Il faut qu’on arrête de se faire peur. Autant on n’a pas intérêt à croire qu’on va vivre seul sans les autres, autant les autres aussi ne peuvent pas nous écarter juste parce que nous avons une vision différente de la leur.
Sur le plan international, il faut qu’on apprenne aussi à se faire respecter. C’est un combat. La guerre économique mondiale qui domine le monde fait que chacun se bat pour ses intérêts. Ceux qui sont ensemble dans un groupement d’intérêt économique essaient de nous combattre. C’est de bonne guerre. Mais nous aussi, nous avons le devoir de nous battre pour nos intérêts et d’exister dans le concert des Nations avec nos convictions, nos moyens et les avantages que nous attendons du système mondial.
Il ne faut pas qu’on se leurre. Ils ne vont pas nous faire de cadeaux. Il faut que nous ayons le courage, une vision et aller au combat pour gagner notre part sur ce marché international.
Il ne faut pas penser que la Communauté internationale va nous rendre la tâche facile. Cette communauté internationale est un groupement d’intérêt économique. Si nous sommes des maillons faibles aujourd’hui, c’est parce que nos dirigeants ont failli et que le pays est tombé très bas. Si on veut remonter en surface, il faut qu’on s’attende aussi à ce genre de coup et qu’on soit préparé.
Qu’entendez-vous par préparation ?
Ce qui est important de comprendre dans nos pays, c’est l’absence de centres de réflexion très poussés. Les Occidentaux ont eu cet avantage. Mais il est important de comprendre qu’aucun pays ne va financer le développement d’un autre.
C’est la France, protégée par les États-Unis, qui est à la base de tous nos problèmes. Elle est un laquais des États-Unis. Aujourd’hui, parler de la Russie fait peur aux États-Unis par ricochet la France. La Cédéao et d’autres instruments ne sont aussi que des laquais du système de l’impérialisme.
Dans un entretien accordé à RFI, le ministre nigérien des Affaires étrangères, HassoumiHYPERLINK “https://www.rfi.fr/fr/podcasts/invit%C3%A9-afrique/20210917-hassoumi-massaoudou-au-mali-l-%C3%A9volution-de-la-situation-ne-pr%C3%A9juge-rien-de-bon” HYPERLINK “https://www.rfi.fr/fr/podcasts/invit%C3%A9-afrique/20210917-hassoumi-massaoudou-au-mali-l-%C3%A9volution-de-la-situation-ne-pr%C3%A9juge-rien-de-bon”Massaoudou, rejette en bloc cette intervention de Wagner. Faut-il craindre un incident diplomatique entre le Mali et la sous-région ?
Je ne pense pas. Le Mali est un pays civilisé et nous sommes à la hauteur. Je pense que notre diplomatie est une diplomatie intelligente et civilisée. Nous n’allons pas écouter les propos d’un individu au détriment du peuple nigérien. Je pense que nos dirigeants sont assez intelligents pour comprendre qu’il ne faut pas faire l’amalgame.
Ce monsieur semble être en mission. Aujourd’hui, il ne parle pas au nom du Niger. Il n’est pas habilité à le faire. Il n’est pas habilité non plus à parler au nom de la Cédéao. Je suppose que c’est une opinion épidermique. Il a juste joué l’émotionnel pour faire plaisir à certaines personnes.
Toutefois, on n’est pas esclave de la CHYPERLINK “https://www.ecowas.int/a-propos-de-la-cedeao/?lang=fr”édéao. On est membre de cette institution. Nous pouvons avoir une opinion différente de celles des soi-disant chefs d’État de la Cédéao. Une institution qui, en réalité, est un syndicat des chefs d’État et non des peuples.
Qu’est-ce qui vous fait dire cela ?
Quelle leçon sur la démocratie ou la bonne gouvernance la Cédéao peut-elle nous donner après avoir laissé Alassane Ouattara faire un troisième mandat ? On a vu ce qui s’est passé en Guinée. Ils ont laissé Alpha Condé, s’installer royalement. Aujourd’hui on fait face à des problèmes en Guinée.
C’est trop facile de dire que le coup d’État est un crime imprescriptible. Alors que le coup d’État n’est que la conséquence d’un fait. Comment voulez-vous traiter la conséquence sans les causes ?
La mauvaise gouvernance
Les causes fondamentales des putschs, c’est la mauvaise gouvernance. Quand la gouvernance est à terre, le peuple se réveille. Et si le peuple se réveille pour ne pas être écrasé par ceux qui détiennent le pouvoir public, il y a un coup d’État.
Aujourd’hui, la transition au Mali essaie de faire bouger les choses. Les gens commencent à ressentir la diplomatie se réveiller petit à petit. On sent que le Mali est en train d’émerger. Mais cela dérange certains États.
Dans leur coopération avec le reste du monde, que doivent être les priorités des autorités de la transition ?
Les priorités des autorités de la transition face à cette histoire de Wagner, c’est de comprendre que le Mali a le droit d’être ce qu’il veut être. Si je veux être vilain, vous êtes obligé de me regarder vilain. Pourquoi voudriez-vous que je sois beau ?
Les réflexions doivent porter essentiellement sur le système de défense, de Nation, du système économique, du système institutionnel et du système des réformes économiques, sociales et culturelles. Il y a donc quatre axes sur lesquels le Mali a des identités claires.
Sur le plan diplomatique, il faut défendre ces identités. Nous manquons d’idéologie propre. Il faut amener les Maliens à avoir une idéologie commune.
Pourquoi donc ?
Tous les pays du monde se développent à travers un mécanisme, une idéologie. Quand on parle de l’union sacrée, c’est autour de quelque chose qu’on est uni.
On ne peut pas se dire État indépendant, souverain, sans réussir à se défendre. Il faut une vision, une stratégie à développer et avoir des mécanismes pour se battre à travers le monde et imposer sa marque.
C’est inadmissible qu’un pays aussi riche que le Mali, en termes de ressources naturelles, de potentiel en eau douce, de potentiel d’intellectuel, deuxième ou troisième producteur mondial d’or, puisse continuer à être dépendant des autres. Nous ne pouvons pas avoir autant de ressources et être, en indice du développement humain, les derniers et ne pas être acceptés par le reste du monde. Si cela arrive, c’est que nous manquons de vision, du sérieux dans notre pays. Il va falloir tout recadrer afin de rééquilibrer les relations entre nous et les autres.
Propos recueillis par Bakary Fomba
Source : https://saheltribune.com