Makan Moussa Sissoko, président de l’Association Malienne de Droit Constitutionnel du Mali : «Si la révision du fichier électoral n’est pas finie, il n’y aura pas de Référendum»

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Après l’adoption du projet de la nouvelle Constitution par l’Assemblée Nationale, les regards sont désormais tournés vers le Référendum qui portera sur cette question. Dans l’interview qui suit le président de l’Association Malienne de Droit Constitutionnel du Mali, Makan Moussa Sissoko, nous parle des enjeux et opportunité de ce projet constitutionnel.

 Le Prétoire : Quel est votre regard sur le texte constitutionnel qui vient d’être adopté par l’Assemblée Nationale ?

Makan Moussa Sissoko : Il s’agit bien d’une révision, d’un ensemble de dispositions qui ont été prises pour améliorer la pratique institutionnelle dans notre pays. En tant que constitutionaliste ayant participé aux travaux et étant membre du CARI, je ne peux pas avoir une vision neutre. J’ai activement participé aux travaux et je pense à mon fort intérieur que ces reformes étaient justifiées et nécessaires.

 Il y a beaucoup de personnes qui pensaient que le Mali allait passer de la 3ème à la 4ème République. Qu’en est-il exactement ?

La logique est qu’on ne change pas de République. Il faut savoir que la République ne change que quand le système politique change. Au Mali, pour la première et la deuxième Républiques, il y a eu un coup d’état. A savoir que quand on change de régime politique, on change de République. Nous sommes passés d’un régime parlementaire classique en 1960 à un régime présidentialiste et à un régime semi-parlementaire ou semi-présidentiel. Donc, c’est ça le changement de République. Une simple modification ne change pas la République.

 Parlez nous des grandes reformes que vous avez apportées en tant qu’expert à la nouvelle Constitution ?

En fait, la mission qui avait été confié au Comité par le président de la République, était de réfléchir aux voies et moyens pour consolider la démocratie au Mali, et renforcer les institutions qui ont été créées par la Conférence nationale souveraine de 1992. Toutes les institutions principales ont été renforcées par les propositions de reformes du CARI. La première des institutions, c’est le président de la République, depuis l’origine, depuis la Conférence nationale. Nous avons proposé de réaménager le pouvoir au sein de l’Exécutif pour renforcer le président qui est élu par rapport au Premier Ministre. En fait, nous avons tiré les conséquences de la démocratie qui dit que le pouvoir appartient à celui qui est élu. A savoir que c’est le président de la République qui est élu sur son projet de société qui nomme un Premier Ministre pour expliquer cette politique. C’est évident que le Premier Ministre qui est nommé par le président de la République ne peut pas être celui qui détermine la politique. Il conduit la politique. Donc pour le président, le rôle est clarifié cette fois-ci. Maintenant, le Premier Ministre en tant que chef du Gouvernement,  se voit aussi confié la mission de conduire la politique et de proposer à l’Assemblé Nationale un programme. Dans ce cas, il y a plus de déclaration simple, car le Premier Ministre doit soumettre à l’Assemblé Nationale un programme de Gouvernement chiffré et clarifié avec des délais. Ce qui signifie que l’Exécutif a été renforcé. Le Législatif aussi,  à son tour, a été renforcé par la création d’une seconde Chambre qui est le Sénat et ensuite par l’amélioration des conditions d’accès à l’Assemblé Nationale, parce qu’avec le scrutin mixte, nous avons pensé que ce sera un moyen de renforcer les compétences au sein du Législatif,  surtout les moyens d’actions du Parlement ont été renforcés parce que le contrôle se fait sur un programme. Ce n’est plus une simple Déclaration de politique générale, mais le Gouvernement s’engage sur un programme clair et les moyens ont été donnés à l’Assemblée Nationale pour contrôler l’action du Gouvernement afin de renforcer son contrôle sur l’ensemble de l’administration. Ensuite, le pouvoir judiciaire, aussi à son tour, a eu un renforcement en ce sens qu’il est créé par une Cour des comptes et le contrôle de constitutionalité des lois est ouvert à l’ensemble des citoyens. Donc, tous Maliens peuvent saisir la Cour des comptes.

Il y a beaucoup de débats autour de l’opportunité de créer un Sénat. Qu’en dites-vous ?

D’abord, il existe deux Chambres, le Haut Conseil des Collectivités existe avec son budget de fonctionnement. Nous avons dit simplement qu’il est un organe consultatif et il est tant maintenant de passer à un organe de décision. Donc, le Haut Conseil est supprimé et un Sénat est créé pour permettre une seconde lecture. Imaginez s’il y avait une seconde lecture, est-ce que tous les problèmes que nous avons connus pour le Code de la famille auraient eu lieu ? Le Sénat permet de représenter les régions et surtout les Maliens établis à l’extérieur. Il faut reconnaître que ces gens sont importants dans le développement économique et social du Mali et qu’il fallait les rassurer à travers une représentation au niveau décisionnaire. Donc, c’est pourquoi nous pensons que le Sénat n’est pas un luxe, mais une nécessité.

 Dans certains pays, nous voyons que le président de la République prête serment devant la Cour Constitutionnelle, alors qu’au Mali c’est la Cour Suprême qui reçoit le serment du président. Est-ce que la nouvelle Constitution prévoit une disposition particulière pour ce cas ?

C’est l’une des raisons fondamentales de la modification nécessaire à la Constitution. Il faut savoir que dans la constitution du 25 février 1992, le président de la république prête serment devant la Cour Suprême parce qu’en 1992 il y avait pas de Cour constitutionnelle et c’est la Constitution de 1992 qui a créé la Cour constitutionnelle. Mais, avec la nouvelle Constitution, le président de la République va désormais prêter serment devant la Cour Constitutionnelle. C’est ce qui est contenu dans le projet de révision. En bref, c’est parce qu’à l’époque la Cour constitutionnelle n’existait pas. Il existait une simple Cour Suprême avec 4 chambres et la Chambre constitutionnelle jouait le rôle de Cour Constitutionnelle. Il y avait la chambre des Comptes qui sera transformée en Cour des comptes dans la nouvelle Constitution. Donc, la Cour Suprême va rester avec les deux chambres classiques qui sont notamment la Chambre judiciaire et la Chambre administrative. A ce titre, au lieu de 4 chambres, ça sera deux Chambres.

 Les dispositions du nouveau texte prévoient que le président de la République peut être déchu de son mandat et même interdit de compétition électorale. Quel est votre point de vue ?

Ceux qui disent qu’on a donné tout le pouvoir au président de la République, n’ont pas lu le projet dans la mesure où le président de la peut être poursuivi devant la Cour des comptes en cas de crimes et de haute trahison. Une fois que le crime de haute trahison est déclaré, le président de la République est automatiquement déchu de son mandat et il n’est même pas rééligible. En outre, le président de la République reste un justiciable comme tout le monde et il est possible qu’il soit jugé par la même Cour de justice à la fin de son mandat. Vous voyez qu’on ne met pas le président au-dessus de la loi. On a simplement  précisé un statut pénal pour le président,  alors qu’avant, il n’y avait pas de statut pénal pour  le président de la République.

 

Qu’est-ce qu’on peut retenir aujourd’hui comme effet immédiat en cas d’adoption au Référendum?

Il faut savoir que comme effet immédiat, dès que cette Reforme sera adoptée, toutes les institutions se sentiront renforcées. Ensuite, la Cour des Comptes va être  créée. Le Mali va être en harmonie avec les textes de l’UEMOA. Il sera alors possible d’introduire le scrutin mixte pour l’élection des Députés et le Référendum va permettre d’avoir  une démocratie apaisée avec des institutions renforcées, chacune dans son rôle. Et les acteurs politiques, beaucoup plus responsable, beaucoup plus prêts à collaborer les uns avec les autres, parce que la démocratie, c’est l’art de travailler ensemble. Une chose est de réviser les textes et une autre est de faire adopter par l’Assemblé Nationale. Mais, le plus gros est surtout l’adoption au Référendum.

 Vous, en tant qu’homme politique d’abord et ensuite en tant qu’acteur politique, est-ce-que vous êtes  optimiste par rapport au vote positif du référendum ?

Oui, cette fois-ci, je vais vous parler en tant que Secrétaire politique de l’ADEMA et entant que membre d’un parti qui a adopté pleinement les reformes. En fait, il y a 3 ans que le Comité Daba Diawara a remis son rapport au président de la République. Donc, dès que ce rapport a été publié, le Secrétariat politique de l’ADEMA s’est saisi des propositions de la Commission avant même le projet de loi et le secrétariat a produit un rapport. Nous avons analysé et avons fait des propositions. Le comité exécutif s’est saisi de ce rapport qui a été examiné pendant une requête qui a duré 72 heures. Une fois la position du parti adoptée, nous avons attendu que le projet issu des propositions soit connu et il y a eu au moins 5 ou 6 réunions du Comité exécutif de l’ADEMA pour faire des propositions d’amendement ayant été acceptées par le Gouvernement. Le projet est devenu consensuel. En fait, l’ensemble des structures du parti est imprégné de la reforme. Chacun a donné son point de vue. Chacun a adhéré et nous allons faire en sorte qu’elle soit expliquée aux militants et tous les grands partis politiques ont procédé de la sorte. L’URD a procédé de la même manière. Le RPM a même organisé un séminaire sur la révision de la Constitution, il y a 2 ou3 ans, que j’ai moi-même animé en tant qu’expert. Tous les grands partis politiques ont adhéré à cette reforme. Concernant le vote à l’Assemblée Nationale, il n’y a pas de mystère. Si les gens n’étaient pas d’accord, ils n’allaient pas voter. Ceux qui sont dans l’opposition, sont dans leur rôle, mais je suis très confiant que la majorité du peuple va approuver cette reforme.

 Qu’en est-il le report du referendum en 2012, selon des rumeurs?

Il n’y a pas de rumeurs de report, mais, on a dit simplement que le referendum se fera après la période de révision des listes électorales et c’est jusqu’en Décembre. Si la révision  du fichier électoral n’est pas finie, il n’y aura pas de Référendum. C’est une déduction logique et on sait que ça se passera en 2012 et il n’y aura aucun problème.

 

Réalisée par Ibrahim M. GUEYE    

 

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