Maliba-info : Monsieur le président, l’Etat malien vient d’engager un projet de reforme constitutionnelle, visiblement pas partagé par tous les avis. Peut-on connaître le point de vue du Haut Conseil Islamique sur la question ?
Mahmoud Dicko : Je vous remercie ! A mon avis, il s’agit de suggestions. Il revient au peuple souverain de décider en fin de compte.
Maliba-Info: L’un des arguments des détracteurs du projet reste le calendrier choisi. Etes-vous d’avis ?
M.Dicko: Je l’ai dit : tout dépend du peuple souverain du Mali. Il n’est pas nécessaire de se chamailler inutilement puisque chacun aura la possibilité de se prononcer sur la question à la faveur du referendum.
Maliba-Info: L’adoption d’un nouveau code des personnes et de la famille par l’Assemblée Nationale du Mali a soulevé un grand tollé et le Conseil National que vous dirigé s’est particulièrement opposé à l’initiative. Où en est-on aujourd’hui ?
M.Dicko: Nous n’étions effectivement pas d’accord avec certains points et nous avions tenu à le faire savoir. Nous avions été entendus.
Maliba-Info: Est-ce à dire que vous aviez finalement gagné gain de cause ?
M.Dicko: Je dirais que le gouvernement a pris nos doléances en compte. Et si le projet est voté dans cette mouture, nous ne verrons aucun inconvénient.
Maliba-Info: Quels étaient donc ces points de discorde qui vous ont tant effarouchés ?
M.Dicko: Il s’agissait du supposé caractère laïc du mariage. A notre avis, ce concept était une insulte à l’endroit du peuple malien. Le mariage reste avant tout une union des valeurs sociétales, culturelles et religieuses.
Le second point concernait le partage de l’héritage. Pour nous, les hommes ne sont pas compétents pour partager l’héritage d’un défunt.
Il y avait aussi le point relatif à l’obéissance de la femme à son mari. Le code disposait que la femme devait respect à son époux comme pour dire que l’obéissance n’était plus de mise… On a tendance à diaboliser l’obéissance et à l’assimiler à l’esclavagisme. Toute entité qui se respecte a pour fondement l’obéissance des uns à l’endroit des autres. Il en est ainsi dans nos familles, au sein de nos institutions… Chez nous au Mali, le grand frère, reste le " Kôrô ", et le petit frère, " dôgô ", lui doit obéissance. Dans l’armée, le gradé reste le gradé et le subalterne lui doit obéissance… Il s’agit aussi d’une valeur religieuse.
Un autre point de discorde était consécutif au partage équitable de l’héritage avec les enfants nés hors mariage. L’on se demandait alors à quoi servait le mariage ? Il faut bien qu’une union légitime soit distincte du concubinage par exemple afin de préserver tout son intérêt et toutes ses valeurs.
Il y avait aussi l’âge de mariage de la jeune fille. Pour nous, il n’est pas question d’encourager le phénomène des filles-mères et la décadence des mœurs.
Maliba-Info: Et ces différents points, dites-vous, ont été revus et corrigés à votre convenance ?
M.Dicko: A mon avis, on s’est compris. Et si le projet était adopté avec nos suggestions et sensibilités, nous n’y verrons aucun inconvénient.
Maliba-Info: Que reprochez-vous aux parlementaires maliens ayant adopté le fameux projet ?
M.Dicko: Les députés ne sont pas non-croyants. Ils sont d’ailleurs, en majorité, musulmans. Mais être député et musulman ne veut pas dire qu’on ne peut pas se tromper ou avoir une conception différente… Nous saluons cependant leur recul. Il ne s’agit nullement pour nous d’une victoire, mais plutôt d’une convergence de vue.
Maliba-Info: La reconnaissance du mariage religieux constituait aussi une de vos préoccupations. Vous estimez-vous aujourd’hui satisfaits par son adoption par l’Assemblée Nationale?
M.Dicko: Oui, ce n’est que justice !
Maliba-Info:C’est à la satisfaction générale que la Ummah malienne a vécu cette année le mois de Ramadan ainsi que la fête Aïd El Fitr dans une parfaite communion. Presque pas de voix discordante à propos du croissant lunaire contrairement aux années précédentes. Les raisons de ce consensus retrouvé ?
M.Dicko: On se réjoui en effet cette année de la cohésion qui a prévalu. Avec les autorités nationales, nous avions procédé en amont, à une grande sensibilisation et information. Il fallait aussi et surtout respecter la primauté des déclarations. C’est une question de pédagogie. Nous espérons qu’il en sera désormais ainsi.
Maliba-Info:Nous ne sommes désormais qu’à quelques encablures des élections générales de 2012. Les Musulmans maliens au sein du Haut Conseil ont-ils une préférence pour un candidat ou un parti politique ?
M.Dicko: Il serait prématuré de dire que nous sommes avec X ou Y. Comme tout malien, 2012 nous intéresse. Nous ne pouvions pas rester indifférents… Nous souhaitons juste que le Mali ait un président qui réponde à ses aspirations, capable de d’assurer son bien être et de lutter efficacement contre les maux qui minent notre pays. Nous avions besoin d’un Etat fort et responsable.
Réforme constitutionnelle, code des personnes et de la famille, élections de 2012, Printemps arabe… Le président du Haut Conseil Islamique du Mali a bien voulu évoquer toutes ces questions à la faveur d’un entretien qu’il nous a accordé samedi dernier, chez lui à domicile au quartier Badalabougou.
Maliba-Info:Le débat sur le code des personnes et de la famille a suscité une vocation politique chez de nombreux musulmans. Certains envisagent désormais de descendre dans l’arène à la faveur des prochaines législatives. Le HCIM a-t-il un avis sur la question ?
M.Dicko: Les musulmans ont le droit de faire de la politique. Je suis même étonné que les gens s’étonnent de voir les musulmans s’intéresser à la chose politique. On en arrive à les décourager… Il s’agit pourtant de notre quotidien. C’est de bonne guerre ! Les musulmans sont des citoyens maliens et ils sont libres de prétendre à des postes électifs. S’il est vrai que les musulmans sont majoritaires dans notre pays, il est tout à fait normal pour eux de se faire entendre en respectant cependant les droits et aspirations de la minorité… Il n’ya pas lieu d’avoir peur… Nous respectons les règles du jeu démocratique.
Maliba-Info:Quel est, aujourd’hui, l’état de vos relations avec le président de la République Amadou Toumani Touré?
M.Dicko: Je les qualifierai de très bonnes contrairement à ce que l’on peut penser. Et même avec tous les pouvoirs publics maliens d’une manière générale. Mais s’il y a un problème, nous le dénonçons et cela n’entame en rien nos rapports. Je dois cependant dire que nous ne sommes pas un parti politique d’opposition encore moins de la mouvance présidentielle. Nous nous efforçons de rester dans notre rôle…
Maliba-Info:Hors du Mali, des pays arabes et musulmans connaissent de douloureux événements comme en Syrie, en Libye, etc. Quelle appréciation le HCIM fait-il de ces révolutions et surtout des interventions militaires étrangères ?
M.Dicko: Il faut d’abord regretter tous ces morts, prier pour le repos de leurs âmes et souhaiter que le calme revienne très vite dans ces pays. Il faut cependant le dire : nos chefs d’Etat prêtent très généralement le flanc et se font piéger. Quel mal y a-t-il à donner à son peuple ce qu’il désire, à savoir la liberté ? C’est aussi cela le problème : le peu d’ouverture de la part de nos dirigeants… La démocratie n’est pourtant pas antinomique de l’islam.
Entretien réalisé par B. S. Diarra