C’est à l’Espace Café-Photo du Centre de Formation en photographie d’Hippodrome que nous l’avons reçu. De taille moyenne et d’un teint foncé, la forme athlétique, il entre avec sa démarche dandinante, la guitare en bandoulière. Il est vêtu d’un pantalon en treillis militaire et d’une veste bogolan en robe de girafe portée sur un T-shirt blanc. Sur la tête, un chapeau style Henry Salvador, d’où débordent ses dreadlocks bien entretenus. Le visage, effilé dont l’abondante pilosité rappelle un certain I Jah Man Levi en plus jeune et moins grand, est illuminé par son éternel sourire sympathique et ses yeux pétillants. Il refuse poliment le verre d’eau qu’on lui propose et s’installe, déjà prêt pour l’entretien. Très détendu. Il s’agit bien de l’enfant de Zokrodépié : Gossé Liadé Alain Serge alias Mac Gossé.
Présentation – Je suis né en 1982 à Zokrodépié, dans la sous-préfecture de Boguédia, département d’Issia, au centre-ouest de la Côte d’Ivoire. C’est après mon entrée en 6ème que j’ai découvert Abidjan. Après deux tentatives infructueuses au Bac A2, j’ai décidé de chercher une autre voie de bonheur et cette voie, c’était la musique. Pour ce qui est de ma situation matrimoniale, sachez que je vis avec une femme que j’adore, avec qui j’ai deux charmants enfants que j’aime beaucoup et qui s’ajoutent à mon premier enfant.
Le choix de la musique – Mon choix de la musique comme moyen d’expression pourrait s’expliquer par le fait que la musique, je l’ai découverte au berceau. Parce que ma mère était à la fois chanteuse et danseuse. Quant à mon père, malgré son ancrage dans la spiritualité, il était un très bon instrumentiste. Mais il me faut vite préciser que ce n’est pas parce que je suis issu d’une famille d’artistes que je suis devenu artiste. La musique me fascinait, me parlait et m’inspirait. Déjà au collège, j’ai découvert différentes formes de musiques urbaines comme le hip-hop, le zouglou, le reggae, le coupé-décalé… Cela a eu sur moi un effet stimulant et m’a donné le courage de franchir le pas.
Les difficultés rencontrées – Des embûches sur un parcours, il y en a toujours et à plusieurs niveaux. Personnellement, j’avoue que mes difficultés ont commencé à la maison. Je suis né dans une famille polygame avec de nombreux enfants. En plus, je suis un des derniers enfants de mon père, ce qui signifie qu’il était déjà assez avancé en âge quand je voyais le jour. Vous imaginez tout ce que cela signifie en terme de soutien parental, de présence du père dans ma vie.
Le Mali – Je suis venu ici pour la première fois en 2009 pour un bref séjour. Mon retour en 2010 a été motivé par plusieurs de mes amis qui étaient déjà à Bamako et qui estimaient que si je venais les rejoindre, je pouvais vraiment m’épanouir par rapport au chemin artistique que j’avais décidé d’emprunter. Je crois qu’ils n’ont pas eu tort. Puisque je suis ici depuis six ans et que tout se passe bien pour moi.
Le style musical – Je pars des chansons traditionnelles de mon terroir et ouest-africaines, qui ont bercé mon enfance, que j’habille avec des sonorités modernes. Je préfère donc parler de brassage musical ou de musique métissée ou de fusion, dans un style que j’appelle du S&G ou, si vous préférez, Space and Groove. Ce style se caractérise par les sonorités mélancoliques et les textes qui invitent à la réflexion et au voyage (Space signifiant Espace) et l’aspect dansant de la musique (Groove signifiant ici rythme). Je me dis que le contexte de la globalisation exige, aujourd’hui, que l’artiste que je suis construise, à travers sa musique, des ponts pour rapprocher les peuples. Ma démarche consiste donc à valoriser les sons traditionnels en les fusionnant avec des sons modernes et en les faisant découvrir par d’autres cultures. Ce faisant, je me décomplexe par rapport à ma propre culture musicale que je propose au marché mondial de la musique.
Les activités – En attendant la sortie de mon premier album qui ne va pas tarder, je suis sollicité ici et là pour animer des concerts, jouant les premières de certains grands noms dont Tiken Jah, par exemple. Je suis aussi invité à des événements comme au Festival de Sélingué ou au festival du Théâtre des Réalités organisé par l’association culturelle Acte sept à Sikasso.
Un groupe – Un de mes rêves est de pouvoir créer un groupe musical. L’union fait la force, dit-on, et j’y souscris. Unir des forces, des intelligences au sein d’un groupe ne peut que faire avancer les choses mais cela ne peut se faire dans la précipitation et sans une base financière solide.
Le rôle de la musique dans la société – La musique joue un rôle très important dans la société. Un vieil adage ne dit-il pas que la musique adoucit les mœurs ? Aujourd’hui, on peut ajouter que la musique guérit les âmes, dans la mesure où elle est utilisée comme thérapie dans certains cas de maladie. Sans oublier que les messages qui sont véhiculés dans la musique peuvent être des sources d’espoir et de motivation pour ceux qui les écoutent.
Des conseils aux jeunes – Si j’avais des conseils à donner à des jeunes qui veulent faire de la musique, je leur dirais de donner d’abord la priorité aux études et ensuite de faire des études de musique pour être de vrais professionnels. Personnellement, je n’ai pas eu l’occasion de faire des études de musique, mais cela est dû au fait que ma situation familiale ne pouvait pas me le permettre. La musique ne doit pas être considérée comme un dépotoir pour déchets sociaux, le refuge de ceux qui ont échoué partout. C’est un métier noble qui doit s’apprendre avec sérieux si l’artiste veut être pris au sérieux. Moi, dès que j’en aurai les moyens, j’irai me former davantage pour atteindre le rang de grands professionnels.
Un modèle, un repère – Mon modèle est une personne dont je recherche en vain une photographie depuis longtemps. Il s’agit de Jésus. Pour moi, cet homme n’a pas son pareil en terme d’amour et de pardon. Les Evangiles sont pleins d’exemples de son humanisme sans limite. Pour moi, c’est un Excellent repère.
Le passe-temps en dehors de la musique – En dehors de la musique, mon passe-temps reste dans le domaine de la culture : la lecture. Le dernier livre que j’ai lu est une excellente œuvre du Malien Doumbi-Fakoly, sur la jeunesse africaine.
Le rebut – Ce que je ne voudrais jamais qu’on me demande de faire, parce que je ne le ferais jamais, c’est de diviser.
Le projet – Mon principal projet aujourd’hui, c’est la sortie de mon premier album qui s’intitule « Tu penses me connaître ». Cet album de dix titres qui naviguent entre l’afro-pop et le funk en passant par le hip hop et le reggae, est un cocktail de sons qui, je l’espère, plaira au public. J’y chante en bété, en français et en anglais. Sur le conseil de quelques amis, un appel va bientôt être lancé sur Internet pour recueillir des fonds qui vont permettre de produire l’album, dans le genre crowfunding. Pour cela, je compte sur tous, pour participer à ce financement, afin de m’aider à sortir enfin ce premier disque.
Les mots et reflets personnels
Famille : Ensemble.
Amour : Vie.
Solidarité : Entraide.
Les mots de la rédaction et reflets
Beauté : Femme.
Souffrance : Galère.
Politique : Division.
Après la mort – Ce que je souhaite qu’on retienne de moi, si je ne suis plus de ce monde, c’est ceci : cet homme a construit des ponts ; il a réconcilié les peuples ; il a brisé les barrières.
Le choix d’un sexe – Pour avoir déjà expérimenté la vie d’homme, s’il m’était demandé de choisir mon sexe pour une autre vie sur terre, je voudrais bien revenir en femme pour expérimenter la vie de femme. Parce que je n’ai pas de préjugé à ce niveau.
Message à… – Si j’ai un message à adresser, ce sera à mes parents d’abord qui ne sont plus de ce monde. Pour leur dire merci pour tout ce qu’ils ont fait pour moi, malgré tout. Je voudrais aussi adresser un message de remerciement à mes amis qui m’ont soutenu et qui continuent de me soutenir encore ici. Grand merci surtout à Wahounou Michael de Solead Studios qui fait beaucoup pour moi. Merci mon frère !
C’est dans une ambiance gaie et joviale que l’entretien avec notre invité a pris fin. L’avons-nous suffisamment poussé à tout dire sur lui ? Pour l’essentiel, nous sommes convaincus que oui. Et nous sommes heureux d’avoir échangé avec ce jeune talentueux, volontaire et fort sympathique, qui a la tête bien sur les épaules et qui sait de quoi il parle. Mac Gossé souhaite chanter dans plusieurs autres langues dont le bambara par exemple car, pour lui, construire des ponts entre les peuples passent aussi par la compréhension des messages que véhiculent ses chansons. Quand, avant de le laisser partir, nous lui avons demandé sa préférence entre le zouglou et le coupé-décalé, il a vite vu une invitation à la division dans notre question et a répondu avec diplomatie : «J’aime les deux genres musicaux». Avant d’ajouter sous notre insistance : «Même si je me reconnais plus dans le zouglou qui est un genre à texte. »
Bon vent l’artiste !
Entretien réalisé par Minga S. SIDDICK et M. Chérif COULIBALY