Une Université à Tombouctou les Xvème et XVIème siècles ? Beaucoup l’ont certainement appris. Mais est-ce vrai ? Ils sont encore nombreux à s’interroger. Monsieur Mohamed Diagayeté, titulaire d’un doctorat en civilisation islamique obtenu à l’Université Ez-Zeïtouna de Tunis/Institut Supérieur de Théologie et aujourd’hui chercheur à l’Institut des Hautes Etudes et de Recherches Islamiques Ahmed Baba (IHERI-AB) confirme l’existence de cette université par le niveau des intellectuels tombouctiens de l’époque qui n’avaient rien à envier à ceux d’aujourd’hui. Lisez un extrait de l’interview qu’il a bien voulu nous accorder.
Lafia Révélateur : On parle beaucoup de l’Université de Sankoré qui serait la première Université de l’Afrique noire. Que savez-vous de cette université ? Quelle est l’année de sa création ? Qui étaient les professeurs qui y enseignaient ? Quelles sont les disciplines qui y étaient enseignées ? Les étudiants à la fin des études recevaient-ils des diplômes ?
Diagayeté : Ha ! Une grande question. Avant de parler de l’Université de Sankoré, je vais d’abord parler de la mosquée de Sankoré. Selon le « Tariq Es Soudan », la mosquée de sankoré a été construite par une femme riche de la tribu d’Ag lal. Mais malheureusement, le Tariq ne donne pas de date.
Revenant à l’Université, ce que je voudrais que les gens sachent, c’est que quand on parle d’université à l’époque, au Xvème, XVIème siècles (le moment de l’apogée de Tombouctou), il faut comprendre dans le sens d’une « mosquée-université ». C’est-à-dire une mosquée ou un centre dans lequel on prie et enseigne en même temps. Ce n’est pas comme aujourd’hui une structure bien organisée avec des facultés, des départements etc. C’était des centres ou des mosquées dans lesquelles les cours étaient dispensés.
A ma compréhension, le titre de l’université peut s’appliquer à ces centres d’études de l’époque en fonction du niveau intellectuel. Je vous donne un exemple : prenez un document d’Ahmed Baba, vous verrez qu’il respecte toutes les normes scientifiques que nous appliquons aujourd’hui. Des documents avec introduction, des chapitres, l’analyse, la source bibliographique etc. Aujourd’hui, nos universitaires ne peuvent pas faire mieux ! Donc, toute la méthodologie scientifique était observée. Si vous lisez le livre « Kifâyat al muhtaj » (un livre d’Ahmed BABA), vous comprendrez qu’il n’a rien à envier aux livres écrits par les intellectuels d’aujourd’hui. On trouve ce livre partout, dans toutes les bibliothèques du monde (Tunisie, Maroc, France…). Et j’ajoute, d’ailleurs il me plaît de dire qu’Ahmad Baba n’a étudié qu’à Tombouctou. Quand il a été déporté au Maroc après la conquête marocaine (1593), il a séduit les érudits marocains à tel point que ces derniers étaient étonnés de voir un noir aussi brillant comme lui. C’est pourquoi, pour ma part, je dirais qu’on peut bel et bien reconnaître l’existence d’une université à Tombouctou au moyen âge en se référant bien sûr au niveau intellectuel des érudits qui étaient formés et qui enseignaient au Sankoré.
La date de création de l’université, je ne pourrais vous dire exactement quand, mais ce qui est sûr, c’est le moment de l’apogée de Tombouctou qui a coïncidé avec le Xvème et le XVIème siècles. On peut donc dire sans risque de se tromper que l’Université de Sankoré a existé au Xvème et XVIème siècles.
Lafia Révélateur : Par rapport justement à la déportation de Ahmed Baba au Maroc, paraît-il que les marocains voudraient lui donner la nationalité marocaine et qu’il aurait refusé en clamant son appartenance au Mali. Pouvez-vous nous parler de son patriotisme ?
Diagayeté : Dire nationalité, c’est des jargons d’aujourd’hui. A l’époque ça n’existait pas. Je le disais tantôt, vu son niveau de connaissance, certains savants marocains ont dit qu’il n’était pas noir. C’est en réaction à ceux-ci qu’il a dit qu’il est soudani (noir). Aussi, quand les marocains l’ont libéré et qu’il s’apprêtait à rentrer à Tombouctou, certains de ses disciples marocains ont lu sur ses mains un verset coranique qui a la vertu de ramener tout voyageur au lieu où on a lu sur ses mains ce verset là. Et Ahmad Baba a lu un autre verset qui détruit le premier et fait que le voyageur ne reverra plus jamais là où il a lu le verset. Tout ça montre son attachement à sa ville natale, à sa patrie d’origine qui est l’actuel Mali.
Lafia Révélateur : Vous disiez tantôt qu’Ahmed Baba n’a étudié qu’à Tombouctou. Qui pouvaient être ses professeurs ?
Diagayeté : vous savez, Ahmed Baba était extraordinaire. Dans son livre « Kifâyat al muhtaj », il a écrit quelque part « …mais les lecteurs se demanderont qui est l’auteur même du livre ?». C’est là qu’il répond en faisant sa propre biographie, aujourd’hui encore des gens font leur autobiographie. Il écrit Ahmed ibn Ahmed ibn Ahmed… Et il mentionne en même temps ses professeurs. Selon lui-même, son père Ahmed a été un de ses professeurs et ensuite il a appris la grammaire arabe avec un oncle du nom de Aboubakr. Mais le professeur qui l’a séduit, qui a vraiment marqué sa vie, d’après lui-même, c’est Mohamed Bagayogo Wangari qui était originaire de Djenné. Il a qualifié son maître Bagayogo de pur homme qui s’est entièrement dédié à la cause du savoir. Selon Ahmed Baba, il enseignait le matin et le soir. Il était généreux à tel point qu’il prêtait ses livres mêmes aux inconnus sans se soucier s’ils les rameront ou pas. Selon Ahmed BABA, qu’il a appris à ses côtés pendant dix ans et qu’il a appris avec lui tout ce qu’on appelle la « Ouma –ad », c’est-à-dire les sources principales du savoir d’antan (la religion, la langue arabe et la logique). Donc, c’est Mohamed Bagayogo qui est réellement le professeur d’Ahmed BABA.
Lafia Révélateur : Il y a aussi une phrase un peu populaire dans le milieu des manuscrits de Tombouctou que Ahmed BABA aurait écrit à l’endroit de son maître Mohamed Bagayogo : « Mohamed Bagayogo était tellement bon à tel point qu’il pensait que tout le monde était bon comme lui et que l’homme ne pouvait pas être mauvais… » Certains assimilent d’ailleurs cette phrase d’Ahmed Baba à une citation de Socrate : « Nul n’est méchant volontairement ».
Qu’en dites-vous ?
Diagayeté : effectivement, Ahmed Baba le mentionne dans le « Kifâyat al muhtaj ». C’est à cause de cette bonté là que Mohamed Bagayogo prêtait ses livres à tout le monde sans se soucier de leur retour.
Lafia Révélateur : Les disciplines enseignées au Sankoré
Diagayeté : dans la bibliographie de Mohamed Bagayogo, Ahmed Baba cite toutes les disciplines qu’il enseignait et c’est ces mêmes disciplines qui étaient enseignées au Sankoré. Elles vont des connaissances religieuses (principalement du rite Malékite) à la connaissance de la langue arabe, (grammaire, littérature, poésie..) jusqu’à la logique.
Lafia Révélateur : Les étudiants recevaient-ils des diplômes à la fin des études ?
Diagayeté : si. On appelle ces diplômes en arabe « Al Ijaza » (la licence). Comment ça se passait ? Un professeur, quand il sait qu’un étudiant maîtrise bien une discipline ou un hadih, il lui délivre une attestation (Al Ijaza) en ces termes : « Moi, x, j’ai appris telle discipline dans tel livre avec tel professeur qui l’a appris aussi avec tel, ainsi de suite jusqu’à la fin ; et je l’ai enseigné à y qui l’a maîtrisé à son tour. Je l’autorise, en conséquence, d’enseigner cette discipline. J’ai écrit cette Ijaza de mes propres mains telle date, telle année. »
Pour appuyer monsieur Diagayeté, voici le contenu d’un Ijaza délivré par Ahmed Baba à un de ses disciples marocains : « Je déclare, moi Ahmed Baba ibn Ahmed, ibn Ahmed, ibn Umar, ibn Muhamad Aqît ; avoir accordé à Abûl Abbas Ahmad ibn Muhammad al Maqqarî, l’autorisation d’enseigner et de transmettre mes œuvres. J’ai formulé cette autorisation par écrit, le 15 muharram 1010 (le 12 juillet 1601) à Marrakech. »
NB : le contenu de l’Ijaza délivré par Ahmed Baba ne fait pas partie de l’entretien, nous l’avons-nous même tiré du livre de Mahmoud A. Zouber : « Ahmad Bâbâ de Tombouctou (1556-1627), sa vie et son œuvre », Maisonneuve et Larose, 1972, 11, rue Victor – Cousin, Paris.
Entretien réalisé par M’pè.