Face aux rumeurs, de plus en plus, persistantes sur l’insécurité dans le nord malien, l’Assemblée nationale vient d’y envoyer une mission.
Composée de députés, elle avait pour objectif de s’informer, d’une part, sur l’état de la sécurité dans les villes du nord. Et, d’autre part, prendre langue avec la communauté touareg revenue de Libye. Avec ou sans armes. Afin de créer, avec eux, le cadre d’un dialogue avec les autorités maliennes.
Dans l’interview qu’il nous a accordée, dans son bureau de l’Assemblée nationale, Elhadj Baba Haïdara, chef de la « Celle de crise », créée à cet effet par l’Assemblée nationale, dresse le bilan de leur mission. Mais aussi, nous livre ses impressions, à l’issue de sa rencontre « glaciale » avec l’aile dure du Mouvement National de Libération de l’Azawad (MNLA). Sans détour.
Quel bilan tirez –vous de votre un séjour de 15 jours au nord du Mali ?
Elhadj Baba Haïdara : la mission a quitté Bamako, le lendemain de la fête de Tabaski pour Gao où, nous avons rencontré la commission régionale de suivi et de veille, mise en place par l’administration. Mais aussi, les populations. Nomades comme sédentaires. Trois réunions avaient été tenues. Réunions au cours desquelles, nous avons abordé toutes les questions liées à l’insécurité dans la « cité des Askia ». À la fin du troisième jour, nous avons mis le cap sur Kidal.
Après briefing avec le gouverneur, nous avons rencontré toutes les communautés touaregs : Ifoghas, Chamanamas etc… Nous les avons rencontré en groupe, puis séparément.
Ce qu’il faut préciser, c’est que l’insécurité qui existe, aujourd’hui, au Nord n’a rien à voir avec le retour des « ex-combattants touareg » de Libye. C’est une insécurité résiduelle.
A Gao, comme à Kidal, les populations ne dorment plus que d’un œil. Particulièrement, à Gao où le vol de véhicule est devenu monnaie courante. Le vol de moto ou le braquage, en plein jour, des usagers est quotidien. Ou presque. Et les populations en ont raz –le bol.
Kidal, elle, reste un cas particulier. Car, c’est ici que résident, désormais, les ex-combattants de la « légion Islamique ». Avec leurs armes.
Qu’avez –vous constaté sur place ?
Nous avons constaté que ces hommes, appelés aussi les « ex –combattants de la légion islamique de Kadhafi » sont subdivisés en trois groupes : un groupe est cantonné dans une zone appelée « Takannat ». Il est composé, essentiellement, des membres de la communauté « Imghad ». C’est un groupe organisé, qui s’est replié au nord du Mali avec ses armes. Armes, d’ailleurs, qu’ils nous ont fait visiter. Nous avons passé une journée à discuter avec eux, à manger ensemble. Ils nous ont fait clairement savoir qu’ils n’attendent que le signal des autorités maliennes pour se mettre à leur disposition.
Le second groupe est celui d’Abeïbara. Il est armé, à l’instar du premier. Ce groupe nous a très bien accueilli. Nous avons discuté, avec eux, toute la nuit. Ils nous ont expliqué qu’ils n’ont aucun problème avec les autorités maliennes. Comme le premier groupe, ils disent attendre le signal de l’Etat malien pour se mettre à sa disposition. Leurs armes, avec.
Quels sentiments dégagent –ils, au cours de vos discussions ?
Je crois qu’il ne faut pas se le cacher : c’est un sentiment de frustration et de méfiance à l’égard des autorités maliennes. Issus, pour la plupart de l’ancienne rébellion touareg, ces hommes avaient été récupérés par Kadhafi qui les a réintégrés dans son armée.
Revenus armés, dans leur localité d’origine du nord, ils se rendent compte que nombre d’accords, entre l’ancienne rébellion touareg et l’Etat malien, n’ont pas eu de début de solution.
Le troisième groupe reste le plus difficile. C’est après trois jours négociations qu’ils ont accepté de nous rencontrer. Pour les rejoindre dans les montagnes, nous avons parcouru 286 Km avant d’arriver dans une localité appelée « Zakak ». Le groupe de « Zakak » comprend quatre entités : la première est le MNA : le Mouvement National de l’Azawad. C’est cette entité qui a réussi à enrôler dans leurs rangs les ex –combattants de la légion islamique de Kadhafi, qui constituent désormais la seconde entité du groupe de « Zakak ».
La troisième entité, quant à elle, est composée des ex –compagnons d’Ibrahim Ag Bahanga, l’irréductible chef rebelle décédé, récemment, dans un accident de voiture.
La quatrième entité, enfin, est constituée d’officiers touaregs Maliens qui ont déserté l’armée malienne. Parce que, tout simplement, ces ex –combattants de la légion islamique sont de retour. Il s’agit, selon nos informations, au nombre de quatre avec une quarantaine d’hommes de rang.
Ce sont ces quatre entités qui forment ce qu’on appelle le MNLA : le Mouvement National de Libération de l’Azawad qui revendique l’indépendance de l’Azwad, c’est-à-dire le Nord du Mali.
Selon ce mouvement, le Mali est un Etat colonial. Un Etat, dont il ne veut plus dépendre. Plus grave encore, il a même son drapeau.
C’est ce mouvement qui est à l’origine des marches, organisées, début octobre, à Kidal…
C’est bien cela. Mais ce qu’il faut préciser, c’est que nous avons bravé le froid et l’insécurité. Ils nous ont accueilli, mais avec froideur. Sans même un verre d’eau. Et il nous a fallu attendre quatre jours pour pouvoir nous laver.
Qu’est –ce que vous avez pu obtenir d’eux ?
C’est après toutes ces discussions qu’ils ont consenti à nous reconnaître comme une délégation du parlement malien. Ensuite, ils ont accepté de dialoguer avec les autorités maliennes. Mais pas pour abandonner la lutte armée, mais plutôt pour obtenir l’autodétermination, celle de l’Azawad.
Nous leur avons fait part que, nous parlementaires, défendons l’intégrité du territoire national. Enfin, ils s’engagent à n’entreprendre aucun acte répréhensible.
Quels sont les moyens militaires, dont ils disposent ?
Ça je ne peux pas vous le dire. Car ils nous ont reçus à quelques centaines de mètres des collines où, sont stockées leurs armes. Pendant les deux jours que nous avons passés là –bas, nous avons été sous la garde d’une cinquantaine d’hommes armés et de pick-up surmontés de mitraillettes.
Que doit être, selon vous, l’attitude de l’Etat malien ?
Il ya urgence à agir. Et l’Etat malien doit prendre ses responsabilités, toutes ses responsabilités. Car, ils pensent que le fait de disposer d’armes, d’un drapeau et de quelques hommes formés leur donne une certaine légitimité, celle de parler et de décider au nom de toutes les communautés du nord. Ce qui est une utopie.
Quelles sont, selon vous, les mesures urgentes à prendre ?
Sur ce plan, je n’ai rien à dire. Car la décision ne me revient pas. Le parlement prendra sa responsabilité vis-à-vis de l’exécutif à qui il remettra ses recommandations.
Cependant, il y a urgence à agir. Surtout, vis-à-vis d’Aqmi qui se comporte dans la zone comme en terrain. Le camp d’Abeïbara, en cours de construction, a été dynamité en plein jour. Aqmi agit en toute impunité dans le nord malien. « Nous ne voulons pas que les occidentaux investissent dans ce pays. Nous n’avons pas bessoin de leur argent. Même si c’est pour développer le pays », disent les Salafistes d’Aqmi.
Quand ils rentrent dans les écoles, ils disent à l’enseignant : « nous ne voulons plus voir les filles mêlées aux garçons. Si nous retrouvons les filles mêlées aux garçons, demain tu es un homme mort ». Le pauvre enseignant qui ne peut séparer les garçons des filles, parce qu’il n’a qu’une seule salle de classe, se voit obligé de quitter les lieux pour sauver sa peau, en abandonnant les enseignants à l’ignorance. Voilà la triste réalité à laquelle les populations sont confrontées quotidiennement.
Des réalités aussi qui doivent amener l’Etat malien à prendre ses responsabilités.
Les populations en ont marre de la mal gouvernance au nord, de l’absence des forces armées et de sécurité dans cette zone, abandonnée au trafic en tous genres et à la criminalité transfrontalière.
Votre dernier mot?
Malgré toutes les difficultés que nous avons rencontrées, nous avons réussi notre mission. Il s’agissait pour nous de les rencontrer et de créer un cadre de dialogue. Ce que nous avons fait.
Notre rapport sera remis à l’exécutif, qui prendra sa décision.
Propos recueillis par Oumar Babi