L’ex-député F. Loncle commente «Les leçons du pouvoir», livre de F. Hollande

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François Loncle, ex-député français, ancien président de la commission des Affaires étrangères de l'Assemblée nationale. RFI

« Une décision prise en quelques minutes change le destin d’un peuple »… C’est par cette phrase, à la page 46 de son livre de mémoires, « Les leçons du pouvoir », que François Hollande ouvre son récit sur l’intervention française au Mali, en janvier 2013. L’ex-député français François Loncle a lu l’ouvrage de son camarade socialiste François Hollande. Qu’en pense-t-il ? L’ancien président de la commission des Affaires étrangères à l’Assemblée nationale répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

RFI : Dans Les leçons du pouvoir, François Hollande défend son bilan. Est-ce que vous le trouvez convaincant ?

François Loncle En politique étrangère le bilan est satisfaisant. Mais j’ai trouvé ce livre très décevant, un peu à l’image du quinquennat de François Hollande. Dans le fond, il y a une photo de couverture de François Hollande qui apparaît un peu songeur, un peu triste. Et ça se mesure dans un livre, par ailleurs bien écrit, mais où prédomine une certaine amertume, une certaine rancœur par rapport à ceux qui l’ont critiqué ou ceux qui estiment qu’il était tout à fait normal qu’il ne se représente pas pour un deuxième quinquennat.

François Hollande consacre plusieurs pages à l’intervention française au Mali et il dit qu’il a pris sa décision en quelques minutes, lors d’un conseil de défense le 11 janvier 2013 à l’Elysée. Pensez-vous que cela ait été si rapide ?

Oui. Je l’avais suivi, évidemment de très près, à ce moment-là avec la commission des Affaires étrangères. La menace jihadiste d’aller vers Bamako était imminente. Il avait été alerté par Dioncounda Traoré, le président par intérim. Donc, il fallait prendre une décision rapide. Il explique très bien, d’ailleurs, et moi je l’ai vécu comme parlementaire, à différentes reprises ; l’Irak et la Yougoslavie, qu’on doit consulter le Parlement pour valider ou non l’intervention. Et c’est le système français, constitutionnel. On a un délai de quatre mois, des assemblées parlementaires, pour valider une intervention militaire. C’est ce qu’on a fait pour le Mali, c’est-à-dire qu’on l’a fait après. On l’a fait également pour la Libye et j’avais refusé de voter, de valider cette intervention quasiment criminelle. Et donc, je crois que c’est une bonne méthode par rapport à la méthode américaine ou anglaise, puisqu’on a vu que les Anglais de Cameron et les Américains d’Obama ont été confrontés à un refus des assemblées parlementaires, qui empêchaient l’intervention en Syrie.

Toujours sur le Mali, François Hollande s’attarde sur sa visite de février 2013 à Bamako et dans Tombouctou libéré. Et il rappelle la fameuse phrase qu’il a prononcée ce jour-là : « C’est la journée la plus importante de ma vie politique ». Il dit que cette phrase, il la maintient aujourd’hui, car la France a montré qu’elle était capable d’agir sans arrière-pensée. Vraiment, sans arrière-pensée ?

Oui. Ce qui est vrai, c’est que cette intervention était indispensable. Et moi, j’ai eu des témoignages ensuite. Par exemple, des dirigeants américains ou des grands militaires américains, qui m’ont dit – j’étais là-bas en mission assez souvent avec mon collège Pierre Lellouche – : « Vous avez fait une intervention militaire que nous, Américains, n’aurions pas réussi, parce que nous n’avions pas la connaissance du terrain. Nous n’avions pas, finalement, les éléments qui vous ont permis, vous, Français, d’intervenir comme vous l’avez fait ».

Sur le bilan de son action au Mali, François Hollande écrit : « Ce pays n’en a pas fini avec ses convulsions. L’accord de paix peine à entrer en vigueur et nos soldats de Barkhane continuent à essuyer le feu de l’ennemi. Mais les meurtriers islamistes ont été repoussés, loin, au Nord ».

Oui, l’affaire n’est pas réglée, vous le savez bien. Mais l’aide est maintenue, notre intervention militaire continue. Ce n’est pas facile parce qu’en réalité les jihadistes ont été dispersés. Il y a des frontières poreuses, il y a encore des poches de jihadisme. Mais je pense qu’on est sur la bonne voie et qu’on a fait ce qu’il fallait.

Dans un passage de son livre, François Hollande écrit à propos de l’Europe, à propos de l’Afrique du Nord, du Moyen-Orient et de l’Afrique : « La démocratie n’a jamais été aussi vulnérable depuis l’après-guerre, à l’image des Printemps arabes qui ont fait long feu, la démocratie se rétracte plus qu’elle ne s’élargit ».

Oui, les Printemps arabes, on a assez rapidement évacué ce terme de « Printemps ». Hélas. Il y a eu des choses très positives, je pense notamment à la Tunisie. Par contre, l’intervention en Libye décidée par monsieur Sarkozy, par monsieur Bernard-Henri Levy qui l’a suppléé, malheureusement, à l’époque, le ministre des Affaires étrangères français, avec l’appui américain – timide -, et avec l’appui britannique, c’est une intervention qui a été parfaitement dommageable. Personne ne regrette Kadhafi, mais le résultat est là. Il y a eu un chaos qui, malheureusement, perdure. Et moi, j’en veux un petit peu au président Hollande, qui nous a demandé de voter pour l’intervention.

Alors là, il faut bien préciser que c’était à une époque où François Hollande n’est pas encore président.

Absolument. Il était dirigeant du Parti socialiste.

Donc, chef de l’opposition.

Chef de l’opposition. On n’était quand même pas très loin de l’élection présidentielle, c’était en 2011,  donc, il y pensait déjà. Il nous demande de voter cette intervention militaire et huit d’entre nous, dont votre serviteur, refusent parce que, nous voyons derrière les risques d’une déstabilisation totale de ce pays.

Et vous regrettez que François Hollande n’en parle pas dans son livre, de cet épisode ?

Tout à fait. Ca. Et cela ne m’étonne pas d’ailleurs. Parce qu’il sait très bien au fond de lui-même les dégâts que nous avons payés et que les Africains de l’Afrique de l’Ouest, avec le phénomène jihadiste, ont subis après cette intervention et cet éclatement de la Libye.

Sur la mémoire des crimes coloniaux, François Hollande rappelle son hommage aux victimes algériennes de la répression du 17 octobre 1961. C’était à Paris et dans la banlieue ouest. Et il regrette qu’à l’époque François Fillon et la droite l’aient accusé de tomber dans une culpabilité permanente.

Oui, la fameuse repentance, mais qui ne tient pas. Je pense qu’il a eu raison. D’ailleurs, François Hollande a pris beaucoup d’initiatives symboliques pendant son quinquennat par rapport aux commémorations qui ont été nombreuses et qu’il faisait très bien, y compris dans ses discours, aux anniversaires… Et sur le terrain, dans un certain nombre de pays, il a agi pour l’histoire, pour le souvenir, pour la commémoration, pour l’hommage, pour la réparation. Et vous parlez de l’Algérie et à juste titre, sans entrer dans une sorte de démarche de droit-de-l’hommisme dégoulinant, permettez-moi l’expression, comme cela arrive à un certain nombre de penseurs ou de politiciens.

A propos des crimes commis par les Français au Sénégal ou à Madagascar, François Hollande estime que les actes mémoriels sont nécessaires, car l’oubli crée l’effacement. « Je me suis attaché à nommer les choses », dit-il.

Il avait tout à fait raison. Dans le fond, sur cette partie politique étrangère, qu’il traite assez peu dans son livre et je l’ai regretté en le lisant, son bilan est décidément positif. Malheureusement, c’est la gouvernance, sa gouvernance, qui a tout gâché. Moi, j’ai rompu avec sa façon de faire, au moment où il a publié le fameux bouquin Un président ne devrait pas dire ça, avec les deux journalistes du Monde, parce qu’il avait été publié au moment de la fin de son quinquennat et tout cela était parfaitement dommageable. Et quand je lui ai dit que ce n’était pas bien, il m’a dit d’avoir fait ses confidences. Il m’a tout simplement répondu – j’étais avec une collègue députée –, « Il fallait bien que je m’explique ». Oui, mais ce n’était pas le moment, précisément.

Dans les leçons du pouvoir, François Hollande règle aussi quelques comptes avec Jean-Yves Le Drian. Il écrit : « Emmanuel Macron ne l’a pas renommé au ministère de la Défense, car il a sans doute pensé que son autorité de chef des armées serait plus grande avec un ministre moins influent. Et du coup, il a placé Jean-Yves Le Drian au quai d’Orsay, au risque que celui-ci s’y fasse oublier. Je l’ai déconseillé à Le Drian, mais je ne suis plus président ».

Oui, ça, c’est tout à fait stupide. D’abord, il n’est pas fâché avec Jean-Yves Le Drian. Jean-Yves Le Drian reste un ami et réciproquement, si j’ose dire. Jean-Yves Le Drian a été un remarquable ministre de la Défense pendant cinq ans. Qu’il accède au quai d’Orsay de sa propre volonté, je le connais bien, je l’ai vu souvent et je l’ai revu souvent depuis, je pense qu’il en est très heureux et qu’il n’avait pas besoin de ce mauvais conseil du président Hollande.

Par rfi.fr –   jeudi 12 avril 2018

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