Les défis du financement des infrastructures en Afrique

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Le Focus : Quel était l’objectif du deuxième Sommet de Dakar sur le Financement des Infrastructures en Afrique (DFS-2), qui s’est tenu à Dakar, au Sénégal, au Centre international de conférences Abdou Diouf (CICAD) du 2 au 3 février 2023 ?

MMM : L’accélération du développement des infrastructures en Afrique était au cœur des délibérations du  deuxième Sommet de Dakar sur le Financement des Infrastructures en Afrique (DFS-2) afin que l’Afrique se dote des infrastructures de classe mondiale, les principales parties prenantes : gouvernements, secteur privé, investisseurs et partenaires de développement doivent s’unir pour trouver des moyens de financer plus efficacement les projets d’infrastructure, tel est l’objectif du DFS-2, qui s’est tenu à Dakar, au Sénégal, au Centre international de conférences Abdou Diouf (CICAD) du 2 au 3 février 2023 sous la présidence du Président Macky Sall du Sénégal, Président en exercice de l’Union Africaine, en présence du Président Paul Kagamé du Rwanda, Président du Comité d’Orientation de l’Agence de Développement de l’Union Africaine et du Nouveau Partenariat pour le Développement en Afrique (AUDA-NEPAD), des Chefs d’État et des représentants des États membres de l’Union Africaine, du secteur privé, des institutions de financement du développement (IFD), des investisseurs institutionnels et des partenaires au développement.

Le thème principal du Sommet selon les organisateurs était de  “Maintenir l’élan vers des infrastructures de classe mondiale en Afrique”. Ainsi le sommet visait à catalyser des financements publics, privés et mixtes pour des projets d’infrastructure prioritaires identifiés. Plus précisément, il visait à susciter et à galvaniser l’intérêt du secteur privé pour des projets d’infrastructures régionaux spécifiques et de mobiliser des fonds substantiels dédiés à la préparation de ces projets.

Le Focus : Quel est le rôle des infrastructures dans le développement du continent africain ?

MMM: Le développement des infrastructures est indispensable et constitue un moteur du développement durable. Un récent rapport de la Banque mondiale a indiqué que le mauvais état des infrastructures dans de nombreuses régions d’Afrique réduit la croissance économique nationale de deux points de pourcentage chaque année et entraîne une baisse de la productivité des entreprises pouvant atteindre 40 %. L’infrastructure est une condition préalable à la production des biens et services et au commerce à l’échelle du continent. La Banque Africaine de Développement (BAD) estimait en 2018 qu’il fallait chaque année à l’Afrique entre 130 et 170 milliards de dollars de dépenses dans les infrastructures pour fournir de meilleures routes, de l’eau potable, un réseau électrique fiable et des services d’accès à internet de qualité. Cependant, le déficit de financement en infrastructures en Afrique reste important, et peut être estimé actuellement à environ 200 milliards U$ par an.

L’Agenda 2063 de l’Union Africaine est la vision de l’Union Africaine qui invite les pays à mobiliser davantage les ressources internes, à renforcer les marchés des capitaux et les institutions financières et à inverser les flux illicites de capitaux d’ici à 2025. Pour relever ces défis, les chefs d’État et de Gouvernement ont impulsé le Programme pour le Développement des Infrastructures en Afrique (PIDA), afin de construire un cadre stratégique continental en matière de planification et de mise en œuvre d’infrastructures jusqu’en 2040 pour un coût global de 360 milliards U$. Le PIDA est un programme de projets d’infrastructure à l’échelle du continent pour le développement d’infrastructures régionales et continentales prioritaires dans les secteurs des transports, l’énergie, les ressources en eau transfrontalières (ROT) et des Technolovies de l’Information et de la Communication (TIC) par les chefs d’État et de Gouvernement  de l’Union Africaine qui ont adopté le PIDA lors de la 18e session ordinaire tenue à Addis-Abeba, en Éthiopie, les 29 et 30 janvier 2012.

 Le Focus : Pouvez – nous parler de la mobilisation des ressources internes de l’Afrique pour financer son développement inclusif?

MMM: L’importance de l’intégration régionale pour soutenir le développement économique de l’Afrique continue à être reconnue par les dirigeants du continent, qui n’ont cessé d’exprimer leur désir de construire un marché commun pour les biens et services car pour le moment l’Afrique constitue moins de 3% du commerce mondial et sa population 18% de la population mondiale.

l’Afrique  représente un énorme potentiel d’investissement dans des projets de développement à long terme, à l’heure où les entrées de capitaux étrangers se raréfient suite à la résurgence de la Covid-19 et la  guerre en Ukraine. Mais les dirigeants des fonds de pension ainsi que les autres investisseurs institutionnels et le secteur privé hésitent à allouer des capitaux à ces actifs alternatifs, leur préférant les obligations d’État et d’entreprise qui sont plus liquides et moins risquées.

Le financement privé des infrastructures peut prendre la forme de capitaux propres, de dettes ou d’une combinaison des deux. Selon la Banque Mondiale en 2021, les investissements privés pour 240 projets dans les pays à revenu faible et les à revenu intermédiaire ont atteint 76,2 milliards U$. Ce montant représente une augmentation de 49% par rapport à 2020 quand les investissements privés ont atteint 50 milliards  U$.  Pour ce qui concerne l’Afrique au Sud du Sahara, les investissements ont atteint 5,2 milliards U$ soit une baisse de de 17% par rapport à 2020.

La mobilisation des ressources internes est  essentielle pour mobiliser et accroître la disponibilité et l’utilisation des ressources de la population d’une nation. Cette mobilisation peut se faire par le biais de diverses méthodes, notamment l’utilisation des taxes et impôts, de l’épargne intérieure, la participation du secteur privé et les partenariats public-privé. En l’occurrence, les partenariats public-privé peuvent être utilisés pour aider à optimiser les dépenses publiques dans le cadre du financement des infrastructures en Afrique. Les partenariats public-privé (PPP) sont devenus un moyen de plus en plus courant pour réaliser des projets d’infrastructure, car ils peuvent constituer un moyen efficace et rentable d’atteindre des objectifs à long terme tout en fournissant les services et ouvrages publics requis. Les PPP sont des contrats à long terme qui impliquent l’utilisation de fonds privés et l’expertise du secteur privé pour financer, concevoir, construire et exploiter des biens ou services publics, en échange de quoi le secteur public accorde des conditions préférentielles pouvant inclure des subventions pour la période de construction, des garanties de revenus ou des contrats basés sur la performance. Le secteur privé recherche généralement des rendements proportionnels aux risques respectifs attribués au projet.

Le Focus: Pourriez-vous partager avec nous le contenu de votre intervention lors du panel sur la mobilisation des ressources internes pour financer les infrastructures en Afrique.

MMM : En effet j’ai eu le privilège et l’honneur de faire une communication au sein de ce panel auprès d’importantes personnalités de notre continent : M. Mamadou Moustapha BÂ, Ministre des Finances et du Budget, Sénégal; Dr. Idriss Saleh BACHAR, Ministre des Infrastructures, Tchad; M. Ahmadou Abdoulaye DIALLO, Directeur général du Fonds de solidarité africain (FSA); Mr Youssouf TRAORÉ-KOUAO, Directeur Général du Fonds Africain d’Investissement (FIA);· M. Papa Demba DIALLO, PDG du Fonds Souverain d’Investissements Strategiques (FONSIS) ;  M. Ngueto Yambaye, Directeur Général du Fonds Africain de Garantie et de Coopération Économique (FAGACE) et l’Honorable Raila Odinga, ancien Premier ministre du Kenya et Représentant Spécial du Président de la Commission de l’Union Africaine pour les infrastructures.

Il s’agissait essentiellement pour moi de mettre l’emphase sur les fonds de pension, les compagnies d’assurance, les fonds souverains, les caisses de dépôts et consignations, les fonds d’infrastructures, et les transferts de la diaspora africaine, les banques privées, ou d’autres investisseurs spécialisés qui peuvent fournir des capitaux propres privés et des financements par emprunt.

En effet, les fonds de pension africains connaissent une forte croissance depuis environ 15  années grâce à la croissance démographique, l’augmentation de la classe moyenne et des réformes institutionnelles. Selon la firme d’investissement Riscura, les fonds de pension en Afrique au Sud du Sahara gèrent 350 milliards U$ d’actifs.Le cabinet international de conseil, d’audit, et d’expertise juridique et fiscale PriceWaterhouseCoopers estimait qu’en 2020, les actifs gérés par les fonds de pensions  de 12 pays africains (Afrique du Sud, Algérie, Angola, Botswana, Égypte, Ghana, Kenya, Île Maurice, Maroc, Namibie, Nigéria, Tunisie) qui étaient évalués en 2008 à 293 milliards U$, ont atteint en 2014 le montant de 634 milliards U$  puis 1100 milliards U$ en 2020

Par ailleurs, le Fonds d’Investissement Africain (FIA) qui est une belle initiative est une société de gestion d’actifs autorisée et réglementée. est chargé de la gestion des actifs mis en commun par les caisses de sécurité sociale représentant 17 pays d’Afrique subsaharienne francophone. qui regroupe 25 institutions, 16 pays africains, 5 zones monétaires a obtenu son agrément auprès de la Financial Services Commission, le régulateur financier de l’Ile Maurice en avril 2022.

Selon certaines études de la Banque Mondiale et de l’Organisation pour la Coopération et le Développement Economiques (OCDE), les transferts des migrants constituent la deuxiéme source de capitaux étrangers vers l’Afrique au Sud du Sahara derriére l’investissement étranger direct (IDE) et devant l’aide publique au développement (APD). Les transferts de la diaspora qui constituent des flux de capitaux importants vers l’Afrique peuvent financer des investissements structurants en Afrique et étaient estimés à 95,6 milliards U$ en 2021. La titrisation des transferts de fonds offrirait aux gouvernements africains de solides garanties d’investissement et une source de financement par l’émission d’obligations.

Par ailleurs, un rôle croissant doit être accordé aux gouvernements africains, aux banques de développement et aux institutions de financement et de garantie afin de rassurer les investisseurs en leur offrant des garanties qui peuvent servir de levier pour la mobilisation des ressources financières domestiques en Afrique. Pour sa part, le Fonds de Solidarité Africain (FSA) dans son rôle d’institution financière multilatérale regroupant 16 pays africains  a accordé 742 milliards FCFA soit environ 1,234 milliards U$ de garanties en 2022 en droite ligne de ce que préconise l’Agenda 2063 et  l’objectif stratégique du PIDA.

Le Focus

Propos recueillis par Yacouba Traoré

 

 

 

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