Avec le franc-parler qu’on lui connaît, le Secrétaire politique de l’Alliance pour la démocratie au Mali-parti africain pour la solidarité et la justice (ADEMA-PASJ) et non moins ancien ministre de l’Administration territoriale et de la décentralisation, Ousmane Sy s’est confié à nous, dans une interview exclusive sur l’actualité politique nationale. Les préparatifs du parti pour participer aux prochaines élections, en rangs serrés, après ” la victoire sur la bataille de la cohésion du fait du choix porté à l’unanimité sur le candidat du parti lors des récentes primaires”, la bataille de la mobilisation ultime avant la présidentielle du 29 avril 2012, les manœuvres de diversion des adversaires politiques, les discussions concernant les alliances politiques à ficeler d’ici aux scrutins… Tout a été décortiqué sans langue de bois. Pour ce véritable deus ex machina du parti de l’abeille,l’ADEMA aura, en face de lui, des partis comme l’URD, le RPM et le PDES. Interview.
Comment se porte l’ADEMA en ce moment crucial de veille d’échéances électorales décisives ?
D’abord, il faut dire que l’ADEMA est en train de sortir d’une crise que le parti a connue depuis un moment. Crise qui a connu son paroxysme en 2002 et qui était venue de très loin. Ce parti a accédé au pouvoir d’Etat un an à peine après sa création. Le parti était constitué de plusieurs courants politiques et n’avait pas eu le temps de se construire totalement avant d’arriver aux affaires.
Or, l’Etat avait beaucoup de crises à gérer : nord, école, corruption, etc. C’est donc un parti qui a mis toute son énergie à construire l’Etat au détriment de lui-même. A un moment donné, on a été même tenté de fondre l’Etat dans le parti avec le Premier ministre (IBK ndlr) devenu chef du parti. On a voulu mettre le parti sous la coupe de l’Etat avec le risque de retourner au parti-Etat que nous avons combattu. Des frustrations en sont issues. Toutes ces difficultés se sont révélées en 2002 quand il fallait faire une transition avec le départ du camarade Alpha Oumar Konaré.
Nous avons tiré de toutes ces phases beaucoup de leçons. Aujourd’hui, Dieu merci, l’ADEMA a gagné la bataille de la cohésion à travers ce que nous avons réussi lors des primaires : un choix à l’unanimité de notre candidat. Cela est une victoire sur nous-mêmes, et je crois qu’il faut le saluer à sa juste valeur. Pour nous, cette victoire est très importante. L’ADEMA est, aujourd’hui, un parti qui est en train de gagner la bataille de l’unité et de la cohésion. Et tant que nous gagnons cette bataille, tout devient possible. Vous savez, ce parti est une formation politique historique, un parti de combattants. Nous avons déjà gagné bien de batailles. Il faut maintenant renforcer les acquis de la cohésion…
Quels commentaires faites-vous de l’équipe de campagne qui vient d’être constituée et dont vous faites partie en qualité de Directeur de Cabinet du candidat ?
Comme je le disais, nous avons tiré beacoup de leçons du passé. Notre parti n’est pas à sa première campagne électorale pour l’élection présidentielle. Nous étions en campagne en 1992, 1997, 2002. En 2007, nous avons accompagné une campagne. Nous voulons éviter tout tiraillement. C’est pourquoi, c’est une équipe assez inclusive qui a été mise sur pied. Un directoire de campagne composé du candidat lui-même, son Directeur de campagne qui gère tout le dispositif au niveau du parti, un Directeur de Cabinet qui gère le dispositif autour du Candidat et son Cabinet, un Médiateur pour une grande vigilance à propos de la cohésion, des Conseillers spéciaux (nos camarades en missions au sein du Gouvernement ou au niveau des institutions de la République et qui peuvent ne pas être disponibles à 100%) qui peuvent être sollicités pour des missions ponctuelles. S’y ajoutent des adjoints au Directeur de campagne et une équipe rapprochée du candidat gérée par le Directeur de campagne. Tout ce dispositif se trouve sous la coupole du Comité exécutif (CE) du parti, qui va lui-même se réunir régulièrement durant la campagne. Le souci c’est de mobiliser tout le parti, créer un mouvement d’ensemble et de responsabiliser les jeunes, les femmes et toutes les composantes du parti pour la victoire. Il faut ajouter à cette architecture des Coordinateurs régionaux qui vont travailler avec les responsables régionaux du parti.
Le sort électoral de l’ADEMA a-t-il pris le pas sur les réformes constitutionnelles à propos desquelles le parti semble trop silencieux ?
Non. Nos députés ont voté ces réformes constitutionnelles. Nous avons la majorité des députés. Nous sommes un parti différent des autres. Nous nous organisons à l’interne avant de monter, très bientôt, au créneau pour, non seulement, transmettre les messages du parti concernant la présidentielle prochaine mais aussi le référendum. Bientôt, avant la fin de ce mois, le CE enverra des missions dans toutes les sections, région par région. En décembre, nous allons organiser des rencontres régionales avec notre candidat dans toutes les régions. Nous tiendrons ensuite, en janvier 2012, à Bamako, une Conférence nationale de préparation des élections, qui sera sanctionnée par un grand meeting de présentation de notre candidat au peuple malien dans le but de mobiliser totalement toutes nos troupes.
Qu’en est-il des rumeurs concernant d’éventuelles défections des cadres du parti qui rouleraient pour d’autres candidats ?
C’est le jeu favori de nos adversaires qui ne veulent pas comprendre que l’ADEMA a gagné sa bataille de la cohésion. On colporte tellement de rumeurs sur tous nos cadres et militants. Moi, par exemple, Secrétaire politique du parti, suis accusé de rouler pour mon ami Soumaïla Cissé. Même le candidat est accusé de rouler pour un autre candidat! Je crois que nos adversaires apprendront à leur dépens que nous avons tiré beaucoup de leçons du passé.
Ceci dit, c’est très prétentieux de dire que parmi les milliers de militants, il n’y en aura pas qui voteraient pour d’autres candidats. Vous savez, tous les 79 membres du CE ont voté pour le choix de notre candidat. Ils étaient tous à la Conférence nationale. Les autres cadres du parti ont tous participé au processus. Nous ne croyons pas à ces suspicions qui sont plus des manœuvres de diversion qu’autre chose.
Toutefois, nos textes, notamment l’article 97 de notre Règlement intérieur, énoncent clairement que tout camarade, quel qu’il soit, que nous allons surprendre en train de s’agiter pour un autre candidat que celui du parti ou ferait acte de candidature contre celle du parti est en faute lourde et court une seule sanction : l’exclusion d’office. Personne n’est au-dessus du parti.
Quid du cas Zoumana Mory Coulibaly qui serait dans la dynamique de soutien à Modibo Sidibé ?
Le camarade Zoumana Mory est le 7 ème vice-président de l’ADEMA. Avant le choix du candidat, nous avons défini des régles au niveau du CE. Puis, il a été décidé d’organiser une conférence de presse pour clarifier les choses : le PASJ aura un candidat issu de ses rangs et Modibo Sidibé n’est pas un militant de l’ADEMA.
Nous ne connaissons pas tous les militants du parti, mais nous connaissons ceux qui ne le sont pas ! Pour nous, le débat était clos à partir de ces clarifications. Après la montée au créneau de Zoumana Mory, nous l’avons rappelé à l’ordre et il a présenté des excuses. Depuis ce moment, pour nous, tout est rentré dans l’ordre. Après la Conférence nationale, le 7ème vice-président n’a plus, à notre connaissance, manifesté cette velléité.
Vous savez, au Mali, nous sommes très liés. Moi, je ne mélange pas les choses, les choix politiques et les amitiés. Me Mountaga Tall du CNID, c’est mon neveu. Djibril Tall du PDES, c’est mon neveu. Soumaïla Cissé de l’URD, c’est plus qu’un ami que je connais depuis 1956 et tant qu’il est à Bamako, on se voit, on échange. Je ne milite pas dans un parti parce que j’y ai un ami ou un parent. Un parti c’est une lutte quotidienne, un idéal à défendre avec des régles et des principes bien définis. C’est le respect des convictions, des confrontations.
Des gens peuvent se fréquenter ou faire des choses à titre individuel. Cela vaut pour tout le monde. On cite plusieurs noms. Jusqu’à présent, nous n’avons pas de preuve que Zoumana Mory ou Adama Sangaré ou d’autres ne sont pas dans la ligne du parti par rapport à sa candidature. Si cela s’avérait, nous vérifierons si telle ou telle section du parti est engagée dans cette aventure et là les textes du parti s’appliqueraient dans toute leur rigueur.
Si nous voulons suivre ces rumeurs et suspicions, on peut nous accuser de diffamations ou d’accusations mensongères. Et, je dois dire que l’expérience a montré que tous ceux qui sont allés à l’encontre des décisions du parti ont fini par le regretter. Le parti est au-dessus de nous tous et je crois que nous gagnerons tous en demeurant disciplinés.
On parle de plus en plus d’une probable candidature du ministre Soumeylou Boubèye Maïga à la présidentielle du 29 avril 2012 ?
Ce que je viens de dire pour Zoumana Mory vaut pour Soumeylou et pour tout le monde. Je sais qu’il a activé son club de soutien, mais il a participé à nos réunions dans le cadre du choix du candidat du parti. Le club de soutien peut intervenir en faveur du parti ou pour d’autres ambitions légitimes. Tout le monde peut avoir des clubs de soutien. Président de la sous-commission alliances, ministre des Affaires étrangères, le camarade Soumeylou n’est pas très disponible ces derniers temps. Dans tous les cas, nous jugerons les gens sur les actes et non sur des rumeurs.
Où en est le parti avec les alliances politiques pour 2012 ?
2012 va être un grand moment de reconfiguration du paysage politique. Une reconfiguration qui doit être pensée sur la base du contexte politique malien, africain et international. Ainsi, dans le cadre de nos discussions d’alliances, nous avons décidé de rencontrer tous les partis politiques avec le message de faire en sorte qu’au sortir de 2012, le fait partisan triomphe. Que les partis politiques reprennent leur place dans la gestion des affaires publiques et au plus haut niveau.
Nous avons également expliqué qu’il est nécessaire d’avoir de bonnes élections acceptées de tous et le fait majoritaire doit primer avec, à la clé, une gestion consensuelle du pouvoir. Pour nous, le Mali ne s’arrête pas avec les élections. Nous disons, “même si tu gagnes, tu ne peux pas gérer si tu n’es pas avec les autres“. Nous avons eu cette expérience en 1997-1998.
Nous sommes donc en concertations avec un premier cercle de partis qui pourront nous soutenir au premier tour. Qui n’ont donc pas de candidat. Un projet de plate-forme est en discussion dans ce sens. Je n’en dirai pas plus que cela.
Ensuite, un deuxième cercle de partis qui auront des candidats mais avec lesquels nous discutons pour des soutiens au second tour de la présidentielle, lors des législatives. Il faut dire qu’avec le dispositif de campagne, c’est désormais le ministre Sékou Diakité qui pilote ces discussions, le ministre Soumeylou Boubèye Maïga n’étant pas très disponible.
L’ADEMA a-t-il aujourd’hui des partis dont il redoute la concurrence pour la présidentielle du 29 avril 2012 ?
Nous respectons tous les partis. Nous ne sous-estimons personne. Nous sommes des adeptes convaincus du pluralisme. Mais nous pouvons dire que l’URD, le RPM, le PDES seront des formations politiques en face desquelles nous serons ou avec lesquelles nous devons composer. Cela ne veut pas dire que nous ne respectons pas les autres partis comme le CNID, le MPR, l’UDD, le PARENA. Pour nous, le parti c’est l’implantation, la présence dans les institutions, dans le débat public, etc.
Votre mot de la fin?
Nous allons à ces compétitions électorales très déterminés. Nous sortons progressivement de nos difficultés. Nous allons à présent révéler publiquement nos intentions, notre volonté de revenir aux affaires dans ce pays, avant d’aller résolument…au charbon.
Nous connaissons les grands problèmes de ce pays que nous déjà géré: l’école, la santé, la pauvreté, la corruption, etc. Nous viendrons devant le peuple avec nos propositions. Nous ne sommes pas un parti d’émotions. Vous savez, 2002 a été un choix difficile, celui d’accompagner le président Amadou Toumani Touré ou aller à l’opposition? Nous avons, non sans difficulté, choisi courageusement de soutenir ATT. Aujourd’hui, nous ne regrettons pas ce choix fait dans l’intérêt du peuple malien. Imaginez, si nous étions allés à l’opposition, cela pouvait faire mal en empêchant le président de gouverner. Nous n’aurions certainement pas eu ce bilan que tout le monde salue aujourd’hui. Nous sommes un parti républicain et nous nous battons pour le bien-être de ce pays.
Notre parti est un parti africain, le produit d’une lutte pour le développement dont les enjeux vont au-delà de nos frontières. Nous devons aussi aller vers des partis décentralisés en confiant aux bases politiques plus de pouvoir de décision afin d’impacter sur les orientations politiques. Ce qui aura le mérite de nous éviter des…printemps arabes. Enfin, il nous faut des partis davantage rajeunis et féminisés, parce que le monde est en pleine évolution avec une majorité de populations constituées de jeunes et de femmes.
Interview réalisée par Bruno Djito SEGBEDJI