Le président du Haut conseil islamique, Mahmoud Dicko, tranche « Le Haut conseil islamique ne donnera pas de consignes de vote » « Nous n’avons plus de problème avec la candidature de Dioncounda »

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A quelques mois des élections générales de 2012, les leaders religieux sont plus que jamais courtisés. Une situation qui ne semble nullement déranger le président du Haut conseil islamique, Mahmoud Dicko qui donne ici dans une interview exclusive sa position et celle de son institution sur les sujets brûlants de l’actualité : le vote du code de la famille et des personnes, les élections générales de 2012, ses rapports avec certains candidats et la mort du Guide de la révolution libyenne,  Mouammar Kadhafi. Lisez plutôt

Indicateur : Deux ans après le renvoi du code de la famille et des personnes  à l’Assemblée nationale, où en sommes-nous avec ce dossier ?

Mahmoud Dicko : Je crois que nous sommes pratiquement vers le dénouement de cette affaire. Parce que je viens de recevoir tout de suite  une correspondance de l’Assemblée nationale pour nous inviter à un atelier les 15 au 16 novembre prochains. Un atelier qui doit regrouper la société civile, le gouvernement et l’Assemblée nationale pour partager certainement les travaux de la commission ad hoc Haut conseil islamique-Assemblée nationale. Je pense que c’est le dernier virage avant certainement le vote  et j’espère qu’une fois  qu’il sera adopté, ce nouveau code  mettra fin aux hostilités.

Ind : Est-ce que les points de divergence ont été aplanis ?

M.D : On s’est compris sur beaucoup, en tout cas sur  l’essentiel. A l’état actuel je pense qu’il n’y a plus beaucoup de problèmes, en principe on peut aller vers le vote. Mais nous ne sommes pas la seule composante de la société civile, il y a d’autres personnes qui ont certainement des choses à dire……

Ind : La présidence de la Céni vient d’être confiée à votre organisation à travers Mamadou Diamoutani. Quelles sont vos impressions ?

M.D : Bon,  vous savez les gens en font un évènement, mais pour nous ce n’est pas un évènement. Ce n’est que justice rendue. Vous savez la Céni est composée des partis politiques et de la société civile. Il y a cinq composantes de la société civile qui, toutes ont eu  à présider cette Céni. Il y a eu le barreau, le Syndicat autonome de la magistrature, la Cafo etc… Et puisque les religieux font partie de la société civile, maintenant nous avons dit mais pourquoi pas eux ! Mais je voudrais rectifier une chose : le représentant du Haut conseil islamique ne représente pas seulement le haut conseil à la Céni. Il est le représentant des cultes maliens, parce que ce sont les trois principales confessions religieuses de notre pays, notamment les musulmans, les catholiques, les protestants, qui se réunissent pour envoyer un délégué. Nous sommes trois signataires. Je signe, l’archevêque de Bamako signe et le délégué général signe. Il est vraiment le représentant des confessions religieuses et ça c’est bon à savoir. Et puis nous sommes partie prenante de la société civile, si un des nôtres devient président, ce n’est pas un problème, ce n’est pas un évènement.

Ind : Du terrain religieux vous-vous êtes retrouvés sur un terrain politique, que comptez-vous faire à présent ?

M.D : Je ne sais pas comment on peut parler de terrain politique ? Des élections se passent dans notre pays. Pour qu’il y ait plus de transparence et des conditions apaisantes, on veut s’investir. Si des gens pensent que ça c’est de la politique, je n’en sais rien ! Qu’est-ce qu’on fait pour être citoyen ? Nous sommes des citoyens de ce pays, on ne peut pas nous empêcher ça. Est-ce que le fait qu’on soit  religieux nous exclut  notre devoir de citoyenneté ?

Ind : Est-ce que c’est parce qu’on vous a confiés la direction des opérations que vous menez aujourd’hui campagne dans les mosquées pour appeler les gens à aller s’inscrire ?

M.D : Bien sûr que oui ! Nous avons aujourd’hui la responsabilité de faire en sorte qu’il y ait une grande participation. Nous voulons aussi que les choses se passent dans de bonnes conditions. Il y a aussi quelque chose que tout le monde doit savoir ; aujourd’hui, le Mali est dans une phase très délicate. Il y a eu les évènements de la Libye, le nord de notre pays est instable, l’armement est aujourd’hui partout. Personne ne sait de quoi demain sera fait. Je pense qu’il est un devoir pour chaque malien qui se soucie du devenir de ce pays de faire en sorte qu’il y ait une stabilité, qu’il y ait un régime fort pour qu’éventuellement, s’il y a un problème qu’on puisse répondre. Si les gens ne participent pas, on va avoir un taux de participation de 20%, de 15% et un régime issu d’un tel vote n’a pas de légitimité qui lui permet d’y faire face. Je pense qu’aujourd’hui, ça doit interpeller tout un chacun. Ce n’est pas une question de qui va être le président du Mali qui est important. L’important c’est faire en sorte qu’il y ait un régime fort, qui a une grande légitimité, qui a du répondant pour que demain s’il y a des problèmes, qu’on puisse y faire face.

Ind : Vous avez eu à intervenir dans le problème du fichier électoral. Où en sommes-nous aujourd’hui ?

M.D : On n’a pas eu à y intervenir beaucoup. Je crois que c’est la société civile qui est intervenue et non le Haut conseil en tant que tel. C’est tout le monde qui est intervenu pour que ça aille mieux. Je pense bien qu’aujourd’hui, le gouvernement mesure la responsabilité qui  est la sienne pour que les élections se passent dans de bonnes conditions. Il y va du devenir du Mali. Je ne pense pas qu’il peut se permettre d’amener un fichier qui va engendrer des contestations, des conflits dans notre pays. La responsabilité est lourde et j’espère bien qu’il va tout mettre en œuvre pour un meilleur toilettage du fichier pour qu’il soit consensuel.

Ind : Est-ce que comme en 2002, le Haut conseil va appeler à voter un candidat en 2012 ?

M.D : On ne peut pas le faire ! Les gens racontent ce qu’ils veulent et on ne peut pas les empêcher de dire ce qu’ils veulent ! On ne peut pas non plus empêcher aux futurs candidats de vouloir nous rencontrer, de parler avec nous ! Ce sont des choses qu’il faut gérer. Mais la responsabilité nous commande aujourd’hui un droit de réserve. Nous,  on a un élément qui est président de la Céni. Vraiment ce que nous voulons et ce que nous pensons, je le dis très clairement : le Haut conseil ne donnera pas de consignes de vote pour quelqu’un, mais nous allons demander à ce que les gens votent très massivement pour le candidat de leur choix. Notre souci c’est d’abord  rehausser le taux de participation aux élections ; donner confiance aux gens que les choses vont se passer dans de très bonnes conditions. En tout cas nous allons nous investir pour que ça soit ainsi pour que le régime qui sera issu soit fort, légitime. Nous allons nous employer  pour ça. Mais dire que le Haut conseil va dire de voter x ou y, je vous donne l’assurance : on ne le fera pas. Tous les candidats sont égaux. En 2002, c’était le collectif, qui est un regroupement d’associations. Mais le Haut conseil a un caractère différent du collectif. Notre position aujourd’hui ne nous permet pas de donner des consignes de vote pour un candidat. On ne peut pas faire ça, ce n’est pas possible et je le dis très franchement.

Ind : On pense que vous avez des relations très poussées avec Modibo Sidibé. Qu’en est-il ?

M.D : Je n’ai pas de relations avec Modibo Sidibé. Ce n’est pas vrai. Ceux qui l’ont dit ont raconté des histoires. Modibo est allé me voir chez moi, comme d’autres candidats l’ont fait. Il était accompagné de gens. On s’est entretenu publiquement. Il n’y a pas eu de secret entre nous. Je n’ai pas donné de consignes et je ne donnerai pas de consignes de vote ni pour Modibo ni pour quelqu’un d’autre. Je demanderai à voter massivement. Ça c’est ma position qui me le recommande. Mais je suis malien, j’ai des relations avec tout le monde. Si les gens viennent me voir je ne peux pas refuser de les recevoir. J’ai des relations amicales avec  IBK, c’est un ami intime. Je l’ai dit, je ne m’en cache pas et je l’assume. J’ai des relations avec Soumaïla Cissé qui est un parent, parce que nous venons du même coin. Je ne peux pas nier ça. Ce n’est pas parce qu’il y a des élections que je vais les fuir. Je ne peux pas ne pas leur parler, je ne suis pas un inconscient. J’assume tout cela, mais je l’ai dit et ma conscience est tranquille, je suis le président du Haut conseil islamique du Mali qui appartient à tous les musulmans. Je n’ai pas le droit ni le devoir de choisir quelqu’un pour dire que c’est lui que le Haut conseil va soutenir pendant la présidentielle et pas les autres. Je ne le ferais pas et le Haut conseil ne donnera pas de consignes de vote. Cela est clair et net, et c’est comme ça que les choses vont se passer inch’Allah.

Ind : Mais qu’avez-vous dit aux candidats qui sont venus vous voir ?

M.D : Mais les candidats viennent nous voir comme ils vont voir aussi les chefs de quartiers, les notabilités pour dire comme à l’accoutumée chez nous au Mali que j’ai décidé de me présenter à la présidentielle. Comme on le dit en Bambara, « Ka na bonia da i kan » (venir t’honorer avec). Et amicalement on leur fait des bénédictions en souhaitant que le candidat qui a le bonheur du peuple malien soit élu. C’est comme ça que les choses se passent chez nous! Mais le fait que quelqu’un est venu voir Mahmoud Dicko, ça devient un problème. Pourquoi ?

Ind : On dit que vous avez fait un commentaire trop favorable à Modibo Sidibé ?

M.D : Ils ont supposé, sinon ce n’est pas vrai. J’ai parlé devant des gens et j’ai l’enregistrement sur mon téléphone.  Les gens qui sont allés faire des commentaires, leur but c’est de discréditer Mahmoud Dicko, mais pas Modibo Sidibé. Mais ça je ne peux pas le leur empêcher, c’est leur affaire à eux. Je suis désolé. Si demain des gens veulent me rencontrer, ils peuvent le faire. Tous les candidats sont des Maliens comme moi, ils sont mes frères. S’ils estiment aujourd’hui que je suis une personnalité qui doit être  rencontrée, vous voulez que je  refuse ou que je prenne un bâton pour les chasser ! Mon éducation ne me permet pas de faire ça. Je vais les recevoir très bien et leur dire ce que je pense très amicalement. Mais est-ce que ça peut m’engager à dire que j’ai choisi x pour lui donner le pouvoir ? Le pouvoir ne m’appartient pas. Je suis un croyant, je sais que le pouvoir appartient à Dieu. Il le donne à qui il veut et le retire à qui il veut. Je suis désolé, mais je ne peux pas empêcher aux gens de dire ce qu’ils veulent et je suis prêt à endurer aussi ça. Je ne peux pas dire aux gens de ne pas critiquer, mais il faut que ce soit sur des bases saines et non dans la calomnie.

Ind : Votre réaction contre le code en son temps aurait rendu difficile votre relation avec le chef de l’Etat ainsi que l’appel du collectif à voter pour IBK en 2002.  Que dites-vous ?

MD : Pas du tout, ça n’a rien compliqué. J’ai des relations très  cordiales avec Amadou Toumani Touré. Amadou est un frère. Avant le code, on était des frères et on restera toujours des frères. Le problème du code est un problème national. Chacun y a son point de vue, sa vision. Le problème a été posé comme problème national. Ce n’est pas un problème Amadou-Dicko. Nous avons des relations cordiales, vraiment amicales et fraternelles. Maintenant s’agissant de l’appel de vote en 2002, même si j’étais à sa place je serais  choqué. C’est normal, c’est humain. On est en compétition, si vous demandez à ce qu’on vote pour un d’autre, ça ne va pas me plaire ! Mais est-ce que ça va être une guerre qu’on va entretenir jusqu’à la fin des temps ? Amadou est assez grand pour ça. Peut être que sa vision des choses n’était pas la même que celle du collectif en son temps, mais je pense que le Président de la République a reçu d’autres coups et continue d’en recevoir,  qu’il pardonne. Mais c’est des problèmes étatiques, et non personnels entre les gens. On ne peut ne pas voter pour lui, mais cela ne doit pas amener la rupture entre nous. Nous sommes avant tout des frères.

Ind : Au cas où un candidat s’afficherait comme un fervent défenseur de la religion musulman, quelle sera votre réaction ?

MD : C’est aux maliens d’apprécier et non le Haut conseil. Les musulmans du Mali sont là ! On n’a pas besoin que le Haut conseil dise que puisqu’il a parlé d’islam il faut le soutenir. Et les autres Maliens, vous pensez  qu’ils ne sont pas là pour comprendre ? Laissons ça à l’appréciation du peuple, qui est l’arbitre et est majeur. Il n’a pas besoin qu’on lui dise que x est bon ou ne l’est pas !

Ind : Au moment du code, les musulmans avait désavoué l’hémicycle présidé par le professeur Dioncounda Traoré, candidat à la présidentielle de 2012.  Quelle est la position du Haut conseil islamique face à cette  candidature ?

M.D : On n’a pas de problème avec Dioncounda Traoré en tant que Dioncounda. On avait  des problèmes avec l’Assemblée nationale qui avait voté une loi qu’on a contestée. Mais à partir du moment où cette loi a été renvoyée pour une seconde lecture, où on s’est assis pour se comprendre, quel problème on a avec lui ?  Nous n’avons plus de problème avec la candidature de Dioncounda, ni avec l’Assemblée nationale. C’est une question de principe. Le désaveu c’était parce qu’on n’était pas d’accord et la loi nous autorise à marcher pour protester. C’est ce que nous avons fait en respectant les règles en vigueur dans notre pays. Mais aujourd’hui je pense qu’il y a un processus qui est déjà engagé pour clore ce chapitre. Et à partir du moment où ce chapitre est clos, pourquoi avoir des griefs contre Dioncounda ?

Ind : Le Mali vient de perdre un allié important, Mouammar Kadhafi. Quel est votre point de vue ?

M.D : Paix à son âme. C’est un musulman, un coreligionnaire. Kadhafi est parti, la Libye restera. Personne ne restera éternellement. Chacun va faire un petit temps et partir. Et lui c’est comme ça que Dieu en a décidé et nous, en tant que croyants, nous prions pour le repos de son âme et pour toute la Oumma Islamique.

Ind : Comment expliquez-vous la réaction de Kadhafi face au soulèvement du peuple libyen ?

M.D : Je n’en sais rien, puisque je ne dispose pas de tous les éléments d’appréciation. L’histoire nous dira le reste

Ind: Il était prévu des manifestations de soutien à la mémoire du disparu. Qu’en est-il concrètement ?

M.D : Manifestations, mais le Mali est vaste, le peuple est grand. Certainement si des gens trouvent le besoin de manifester, ils peuvent le faire. Ils sont des citoyens libres comme tout le monde.

Entretien réalisé par Abdoulaye Diakité

 

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