Dans une interview accordée à l’ORTM et diffusée les vendredi 3 et samedi 4 septembre, le Procureur du Pôle économique et financier de Bamako, Sombé Théra, a confirmé les informations publiées par L’Indépendant dans ses parutions des dernières semaines. Nous publions intégralement le texte de cette interview que l’ORTM nous a permis confraternellement de repiquer dans ses studios.
Manga Dembélé : Monsieur le Procureur, merci pour votre disponibilité. Depuis quelques semaines déjà, une affaire défraie la chronique. Il s’agit bien de la gestion du Fonds mondial. Nous voulons savoir que faut-il entendre par Fonds mondial ? Où est logé ce fonds? A quoi il est dédié ?
Sombé Théra : Je remercie l’Ortm. Le Fonds mondial est une structure à but non lucratif qui est basée à Genève. Il a été créé en 2002 à l’initiative du Secrétaire général des Nations-Unies. Le Fonds mondial a pour mission, essentiellement, de collecter et de redistribuer des ressources pour aider à la lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme qui sont trois pandémies qui menacent toute l’humanité. Pour le cas spécifique du Mali qui défraie la chronique, il est utile de rappeler que les fonds sont logés au niveau du ministère de la Santé qui a bénéficié de quatre subventions destinées essentiellement à la lutte contre le paludisme et la tuberculose. Ces quatre subventions sont gérées sur le plan budgétaire comptable au niveau de la DAF et servent à financer les activités dévolues au Programme national de lutte contre la tuberculose et le Programme national de lutte contre le paludisme.
L’explication du logement de ces fonds au ministère de la Santé et, spécifiquement, la gestion par la DAF s’inscrit en droite ligne des missions dévolues à la DAF dans le cadre du PRODESS (Programme de développement sanitaire et social). Donc, c’est l’utilisation de ces ressources qui a donné lieu à des malversations.
MD: Comment l’affaire s’est-elle retrouvée au niveau du Pôle économique et financier de Bamako ?
ST: Tout le monde connaît déjà la mission du Pôle économique et financier qui a compétence pour connaître de l’instruction et des procédures en matière d’atteinte aux biens publics et d’une manière générale de toutes les infractions relatives à la corruption et à la délinquance économique et financière.
Donc en octobre 2009, à la suite de certaines investigations, plusieurs malversations ont été décelées dans la gestion des fonds qui ont été mis à la disposition du ministère de la Santé dans le cadre de la lutte contre le paludisme et la tuberculose. Ces malversations s’articulaient essentiellement autour de falsification de chèques et portaient sur plusieurs centaines de millions de F CFA. Lorsque ces malversations ont été mises à jour, une plainte a été déposée par le ministère de la Santé au niveau du Parquet du Pôle économique et financier. Les investigations que nous avons fait mener ont abouti à la collecte d’indices graves qui mettaient en cause certains responsables intéressés et impliqués dans la gestion de ces fonds. Compte tenu de la nature et de la spécificité de l’affaire, une information judiciaire a été ouverte et confiée à un juge d’instruction qui a procédé à l’inculpation de plusieurs personnes dont certaines ont été placées sous mandat de dépôt.
Mais ce qui est important et utile d’indiquer, c’est qu’à ce niveau tout semblait indiquer que les malversations ne se limitaient qu’à ces faits caractérisés par les falsifications de chèques bancaires.
L’information judiciaire a donc suivi son cours normal. Mais le gouvernement, de son côté, a fait mener certaines investigations par le biais du Contrôle général des services publics. Et le rapport établi a été envoyé à la Cellule d’appui aux structures de contrôle de l’administration (Casca). La Casca aussi nous a saisis par rapport à certaines dénonciations par rapport à la gestion de ces mêmes fonds. Ces dénonciations ont fait l’objet de poursuites et confiées au magistrat instructeur. Les dernières interpellations sont celles qui sont consécutives au rapport de l’Inspecteur général du Fonds mondial.
MD: Quel est le contenu de ce rapport ?
ST : Le Fonds mondial dispose d’un Bureau qu’on appelle le bureau de l’Inspecteur général. Tout comme le Mali dispose d’un Bureau qu’on appelle le Bureau du Vérificateur général. Le Bureau de l’Inspecteur général du Fonds mondial est une entité indépendante qui a des compétences avérées en matière d’audit, d’inspection et d’enquêtes, entre autres.
Ce Bureau a compétence pour mener des investigations sur tout le processus de gestion des fonds appartenant au Fonds mondial. Ce Bureau de l’Inspecteur général a eu, d’abord, à travailler avec le ministère de la Santé quand il s’est agi des premières malversations.
Mais, lorsque le Bureau s’est ravisé que l’étendue des malversations pourraient être beaucoup plus grande, il a donc confié le dossier à son unité d’enquêtes. Et cette unité d’enquête a pris le dossier en mains. Il faut rappeler que cette unité est essentiellement composée de magistrats et de policiers. Ce sont ces investigateurs chevronnés qui ont pris le dossier en main et procéder des investigations plus poussées.
A l’issue de leurs investigations, ils ont déposé un rapport au niveau du juge d’instruction en charge du dossier. Ce rapport intitulé rapport intérimaire que nous appelons rapport d’étape a été déposé sous le sceau de la confidentialité. Pour des raisons d’ordre juridique, nous ne pouvons pas révéler le contenu de ce rapport. Ce rapport, qui a été déposé au niveau du juge d’instruction est très détaillé. Sont annexés à ce rapport 55 000 documents qui sont quasiment tous relatifs à des cas de malversations que ces enquêteurs ont eu a constater au cours de leurs investigations.
C’est lorsque le juge d’instruction, ayant eu possession de ce rapport, sur réquisition supplétive du ministère public, c’est-à-dire du Procureur que nous sommes, a procédé à de nouvelles inculpations et a aussi procédé à des mesures de mise en détention provisoire. A côté du devoir d’informer le public, nous avons aussi l’obligation de nous plier aux principes directeurs de la procédure pénale parce que personne n’est censé ignorer la procédure qui est, au cours de l’instruction, secrète.
Et ce secret concourt à la réussite de l’information parce qu’il faut éviter la perte de certains indices ou de certaines preuves. Ce secret permet aussi à la justice de travailler en toute sérénité. Mais il y a aussi le respect de la présomption d’innocence. Parce que ces personnes arrêtées sont présumées innocentes jusqu’à ce qu’une décision définitive soit prononcée à leur encontre.
MD : M. le Procureur, une dernière question pour le cas précis du Fonds mondial, peut-on dire que la procédure a été respectée ?
ST : D’une manière générale, toute personne ou toute autorité constituée qui, dans le cadre de sa mission, a connaissance d’une infraction est tenue d’en donner avis immédiatement au Procureur de la République et en lui faisant parvenir tous les actes qui peuvent sous-tendre cette dénonciation. Il est vrai que dans ce cas spécifique, la dénonciation a été faite directement au niveau du magistrat instructeur. Et cela s’explique par le fait que c’est le juge d’instruction qui devient maintenant maître de la procédure parce qu’il est déjà saisi. Et lorsque le juge d’instruction est saisi c’est lui qui a qualité maintenant pour poursuivre la procédure. Il n’aurait pas lieu de faire des dénonciations ailleurs. Même si le Fonds mondial, après tout cela, se fera une obligation de faire un rapport et de l’adresser à qui de droit. Mais en l’espèce, il s’agit essentiellement de dénonciations. Et c’est ce qui a été fait au niveau du juge d’instruction et nous sommes en train de mener les investigations là-dessus.
En ce qui concerne le contradictoire, il est l’un des principes directeurs de la procédure pénale. Et dès l’instant que l’information est ouverte, tous les éléments judiciaires qui viennent sont versés dans ce dossier d’information. Toutes les pièces seront contradictoirement discutées devant le juge d’instruction et si jugement il y a, ces pièces seront discutées devant la juridiction compétente. Par rapport à cela, on ne saurait parler de violation d’une quelconque procédure.
Transcrit par Mamadou Fofana