Le président de l’AMPP donne son avis sur les cours administratives d’appel : «Il serait difficile pour notre Justice de progresser si le ministre de la Justice devrait s’en tenir à l’avis des premiers responsables de la haute juridiction»

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Le président de l’Association des Procureurs et Poursuivants (AMPP)  soutient l’opérationnalisation de la Cour Administrative d’Appel.  Dans une interview, Chérif Koné donne son avis sur le sujet.

Maliweb.net : Il nous revient que l’opérationnalisation de la Cour administrative d’appel  en cours que vous soutenez,  se heurte à des réticences des premiers responsables de la cour suprême, ces derniers la percevant comme une bombe dont il faut empêcher l’éclatement. Il ressort des informations que les divergences seraient très vives  entre le président de l’Association des Procureurs et Poursuivants, Avocat Général à la Cour Suprême que vous êtes d’une part et des  magistrats de la  dite Cour, d’autre part,  encore hostiles à une Cour administrative d’appel autonome à Bamako. Qu’en est-il sur le terrain ?

Chérif Koné: Certes, chaque magistrat ou juge a le devoir de défendre l’indépendance judiciaire et de la faire respecter par tous.

Toutefois, le juge n’est indépendant que dans les limites de sa compétence. Il perd sa légitimité en allant à l’encontre de la loi.

Les choses évoluent et le droit prime sur le bon vouloir des individus. Les avis de la Cour Suprême  doivent être objectifs et fondés sur le droit, et non pas sur des considérations d’intérêts personnels du moment.

Il serait difficile pour notre Justice de progresser si le ministre de la Justice devrait s’en tenir à l’avis des premiers responsables de la haute juridiction pour faire fonctionner les juridictions administratives d’appel qui, pourtant font  aujourd’hui partie de notre ordonnancement juridique. Créées par la loi avec des compétences propres, elles doivent être à même d’exercer la plénitude de la mission qui leur est assignée, notamment statuer sur les appels contre les décisions rendues par les tribunaux administratifs.

Sur la base d’un avis indigeste, la Cour Suprême veut continuer à rester juge d’appel et en même temps juge de la révision des recours contre les arrêts des cours administratives  d’appel (juge de «  cassation » en matière administrative)  quand bien même que la loi lui interdit un tel cumul. Ceci est extrêmement dangereux et regrettable dans un Etat de droit et pour la démocratie.

Les divergences sont réelles et les points de vue sont inconciliables sur ce cette question de compétence de la Section Administrative à l’égard des appels portés contre les décisions rendues par les tribunaux administratifs.

Toutes les conditions  sont réunies pour qu’au moins la Cour Administrative d’Appel de Bamako soit opérationnelle pour assurer le respect d’un principe garantissant la bonne justice, à savoir celui du double degré de juridiction.

Le Mali doit aujourd’hui refuser d’être à la traine.

Bien que disposant d’un cadre législatif suffisant et de ressources humaines suffisantes et hautement qualifiées, nous sommes aujourd’hui le seul pays de l’espace francophone à ne pas avoir une cour  administrative d’appel en place.

Ce sont là des raisons objectives  qui ont conduit l’Association des Procureurs et Poursuivants, de par ses objectifs, à saluer et soutenir les actions du Ministre tendant à rendre progressivement opérationnelles les juridictions administratives d’appel  en commençant par celle de Bamako.

 Quelles sont en l’état les matières dans lesquelles la section est compétente ?

Chérif Koné: Les lois d’organisation judiciaire de même que les règles de procédure sont d’application immédiate.

Avec la loi de 2016 la Section Administrative  de la Cour Suprême, n’est plus compétente pour connaitre en appel les jugements rendus par les tribunaux administratifs. Malheureusement elle continue de statuer sur ces dossiers qui constituent les 90 pour cent du volume de ses affaires. En procédant ainsi, elle travaille sur du néant, puisque sans aucune base légale.

Ceci revient à dire que tous les arrêts rendus par la Section Administrative statuant en appel des décisions rendues par les tribunaux administratifs, ont été pris en violation de la loi, et comme tels, sont frappés de nullité absolue.

En effet, la loi organique de 2016 abroge  la loi de 1996 de même que toutes les dispositions antérieures contraires de la Loi de 2011 et, expressément ses dispositions transitoires en vertu desquelles la Section administrative pouvait encore connaitre les appels contre les décisions des tribunaux administratifs.

La loi organique de 2016, la seule en vigueur est suffisamment claire et ne comporte aucune disposition transitoire permettant encore à la section de se comporter en juridiction d’appel des décisions des tribunaux administratifs. Seules les cours administratives d’appel sont désormais compétentes en cette matière.

Je suis surpris quand  des premiers responsables de la cour suprême  se prévalent encore des dispositions transitoires expressément  abrogées de la loi de 2011, pour soutenir la compétence de la section en matière d’appel porté contre les décisions des tribunaux administratifs.

Pourtant ce sont les mêmes, aujourd’hui hostiles à l’opérationnalisation de la juridiction administrative d’appel qui justifiaient la lenteur dans le traitement des dossiers par le volume très élevé du contentieux dont les 90 pour cent sont des dossiers d’appel.

 Est-ce par peur d’un sevrage mal préparé ou par crainte de perdre le contrôle des dossiers  dans lesquels l’on serait engagé à l’égard de quelques parties en litige?

 Chérif Koné: C’est là un des  inconvénients pour le juge de se marier aux dossiers dont il a la charge. En l’état actuel de notre droit positif, la compétence de la section se limite aux  recours portés contre les arrêts des cours administratives d’appel.

Bien évidemment elle reste seule juge du contentieux relatif aux décisions des autorités centrales (décrets, arrêtés…). En cette matière elle a une compétence exclusive.

En continuant de statuer à ce jour sur les appels contre les décisions des tribunaux administratifs, la section administrative de la Cour Suprême viole manifestement les dispositions pertinentes de la loi organique de 2016.

 Face à la situation, quel doit être l’attitude d’un Avocat Général près la Cour Suprême ?

Chérif Koné: Logiquement la Cour Suprême  devrait servir de référence. Mais lorsque de façon cavalière, elle se donne le droit et le plaisir de marcher sur les lois de la République en toute quiétude, l’Association des Procureurs et Poursuivants, de par ses objectifs, n’aura pas de temps à prendre  pour dénoncer les abus et dérapages constitutifs de forfaiture.

Un Avocat Général près la Cour Suprême, en tant que commissaire du droit et défenseur de la loi, n’a pas à tenir compte de l’humeur de X ou de Y pour faire entendre ce qui est le droit et ce que dit ou interdit la loi.

C’est pour cela qu’il est payé par le peuple et non pas  par quelqu’un d’autre.

Cautionner l’illégalité au  motif qu’elle serait commandée par le seul bon vouloir de quelques chefs de la cour suprême, serait une fuite de responsabilité laquelle pour un  Avocat Général, dans le cas d’espèce, reviendrait  à se rendre complice ou même coupable de coalition de fonctionnaires contre les lois de la République.

La démocratie est exigeante et force doit rester à la loi. Le principe du double degré de juridiction étant une garantie de bonne justice, des   membres de la cour suprême ne sauraient s’y opposer au seul motif que  son application imposée par la loi,  irait à l’encontre des intérêts personnels.

 Quels mécanismes comptez-vous mettre en œuvre pour amener la Section Administrative  au respect des règles de compétence ?

 Chérif Koné: La République ne saurait marcher en fonction de l’intérêt  ou de l’humeur de quelques personnes qui se prendraient  pour le centre de gravité du pays.

Il urge pour le Ministre de la Justice, premier responsable de l’administration et du bon fonctionnement  de la Justice, d’user de ses prérogatives pour mettre définitivement un terme à ce désordre juridique.

Il doit prendre toutes mesures appropriées pour empêcher la Section Administrative de connaitre les appels contre les décisions des tribunaux administratifs, laquelle matière échappe à sa compétence.

Sans état d’âme il doit dissoudre ces liens obscurs tissés entre des dossiers et des magistrats.

En tant qu’association légalement reconnue au plan national et international, nous lui ferons parvenir une correspondance dans ce sens. Parallèlement la réflexion se poursuivra et sera approfondie pour dégager les voies et moyens tendant à annuler tous les arrêts rendus par la Section Administrative de la Cour Suprême ayant statué comme juge d’appel depuis l’entrée en vigueur de la loi organique de 2016.

Au cas où la section, par entêtement statuerait sur une seule affaire échappant à sa compétence, l’Association  des Procureurs et Poursuivants  en saisira officiellement le Président de la République dont le serment lui impose de défendre les lois de la République.

Le Mali n’évoluant pas en vase clos et la Cour Suprême étant membre de plusieurs organisations internationales,  l’attention de l’Association des Hautes Juridictions Francophones, pourrait être attirée  sur ces dérapages graves entretenus au Mali par des premiers responsables de sa Cour Suprême. Cela aussi fait partie des prégatives de l’association des procureurs et poursuivant dont un des objectifs est de contribuer au respect par tous, de la loi et des principes  de bonne justice.

BDIABATE

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