Le président de l’Amdh au sujet des crimes commis à Aguelhok en 2012 : «C’est l’administration de la preuve qui pose problème à la CPI»

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Me Moctar Mariko, président AMDH

Après sa réélection lors du 9ème congrès ordinaire, Me Mariko, président de l’Association malienne des droits de l’Homme (Amdh), nous a accordé une interview exclusive dans laquelle il explique ses nouvelles ambitions. Ce fut aussi une occasion pour l’avocat de donner son point de vue et celle de son organisation sur, entre autres, l’affaire de l’agression de l’ancien président de la République du Mali, Dioncounda Traoré, une éventuelle poursuite contre l’ancien président Amadou Toumani Touré et le procès Hissène Habré.  Selon l’interviewé, si certains dossiers ont connu leur épilogue, beaucoup d’autres procédures connaissent toujours une évolution très timide. Interview !

Le Prétoire : En matière de respect des droits de l’Homme, quelle est la position du Mali dans le classement mondial ? 

Me Moctar Mariko : Je pense que le Mali n’est pas très mal classé. Comparativement à certains pays, il y a moins de répression contre les journalistes, même si nous assistons aujourd’hui à la disparation d’un journaliste du Sphinx, on peut dire globalement que la presse n’est pas en train d’être muselée au Mali. C’était par rapport à la liberté de la presse qui, pour moi, est le pilier même de la démocratie. Et qui, pour moi, joue son rôle dans l’alternance en mettant en garde les dirigeants non seulement par rapport à tous les actes qu’ils sont en train de poser, mais aussi par rapport à leurs mandats. S’agissant des exactions qui ont été commises, nous serons très amers avec les autorités, parce que nous avons assisté à des libérations politiques qui, en réalité, ne devraient pas s’opérer ainsi. Et nous avons dit que c’est une immixtion dans le champ judiciaire. C’est un encouragement de l’impunité. Par rapport à ces exactions, si l’Etat avait laissé le soin aux magistrats de faire les jugements de tous les dossiers qu’ils ont reçus, on aurait vraiment progressé sur beaucoup de plans. Dans l’accord de Ouagadougou, il a été dit que, pour des mesures de confiance, on va libérer des criminels. Voilà une situation que je n’ai jamais vue dans aucun autre pays. On peut procéder à la libération des gens qui ne sont pas impliqués dans les crimes internationaux. Mais à chaque fois qu’ils sont impliqués ou présumés auteurs de graves infractions comme le crime contre l’humanité, le génocide et le crime de guerre, il n’y a pas de libération ou d’amnistie possible. D’ailleurs, c’est ce que nous avons défendu dans l’accord de paix qui a retenu en ses articles 46 et 47 qu’il n’y aurait pas d’amnistie pour les crimes internationaux. Mais le Mali n’a pas respecté ce principe. On s’en réjoui parce que dans l’accord de paix, ces deux articles nous permettent de croire et d’espérer que ces crimes ne resteront pas impunis. S’agissant des droits sociaux, économiques et culturels, le Mali est bon dernier. Aucun effort n’est en train d’être fait dans ce domaine.

En ce qui concerne les libertés individuelles, le Mali a fait beaucoup de progrès. Mais avec la crise actuelle, avec les arrestations qui sont en train d’être opérées, je comprends le pouvoir et les forces de sécurité, mais il y a une ligne rouge à ne pas franchir. On ne peut pas soupçonner tout un village pour dire qu’ils sont Mujao ou Ansar Dine. Dans les régions du Nord, il y a beaucoup d’actions qui ne sont pas contrôlées par les forces de sécurité. Ce qui fait que ces actions portent atteinte aux libertés individuelles. Il faudrait qu’on mette l’accent sur la sécurité et la gouvernance afin que les pouvoirs politiques aient une ligne rouge à ne pas franchir.

Quelle est la position de l’Amdh par rapport à l’évolution du dossier relatif aux crimes commis à Aguelhok en 2012, lequel dossier est pendant devant la CPI. Ces crimes resteront-ils impunis ?

Par rapport au dossier de crimes concernant Aguelhok, je vais vous faire un bref rappel. C’est le gouvernement de transition qui avait saisi la Cour pénale internationale par rapport aux crimes commis à Aguelhok et par rapport à la destruction des mausolées. Les enquêtes sont en cours, mais je peux vous dire que le procureur de la CPI avait déclaré que la requête du Mali était recevable en la forme. Maintenant, il va falloir qu’on s’intéresse au fond. Ce sont les enquêtes qui vont le déterminer.  Par rapport aux enquêtes, il semblerait qu’il y a des difficultés d’accéder à des éléments de preuves. En clair, c’est l’administration de la preuve qui pose problème. Car, il s’agit d’une zone d’insécurité et qui n’est pas accessible aux enquêteurs. Mais malgré tout, l’Amdh a aussi saisi la CPI à travers une communication écrite avec son partenaire de la Fidh. Aujourd’hui, c’est l’occasion de vous dire que la plainte du gouvernement s’est beaucoup inspirée du rapport de l’Amdh qui a été publié en juillet 2012. En somme, je dirais que ce dossier évolue timidement et il n’y a pas d’arrêt de poursuite. La CPI est en train de continuer, mais présentement ils mènent des enquêtent sur les violences sexuelles faites aux femmes et commises dans la région de Tombouctou. C’est comme une priorité qu’ils ont dégagée. Par rapport aux crimes commis au nord, il y a Abou Tourab qui doit comparaître le 28 février devant la CPI pour la confirmation des charges. Abou Tourab a été pris pour la destruction des mausolées. On ne peut que se réjouir, car c’est le début d’une requête qu’on avait déposée auprès de cette cour pénale. Je peux aussi vous dire qu’à travers les déclarations de ce monsieur, il peut se dégager d’autres infractions. Il peut être encore poursuivi soit pour des crimes d’Aguelhok, soit pour les violences sexuelles exercées sur les femmes au nord du Mali.

Qu’en est-il de l’évolution des dossiers dans lesquels l’Amdh s’est constituée partie civile, tant au Nord qu’au Sud ?

D’abord, par rapport au dossier du nord, il y a eu une évolution très timide dans deux ou trois procédures. S’agissant de la plainte contre Aliou Mahamat Touré, le commissaire islamique, nous avons pu faire venir au moins sept victimes qui ont été entendues par le juge d’instruction de la commune III, qui avait le dossier en charge. Ensuite, un autre dossier contre Iyad Ag Ghaly où une seule personne à été entendue. Nous avons un dossier contre Houka Houka et nous avons des preuves tangibles contre ce dernier. Nous avons des documents écrits qui l’incriminent fortement. Mais malheureusement, ce monsieur a été libéré pour des mesures de confiance. Ces dossiers sont vraiment au ralenti. En ce qui concerne les 80 femmes victimes de violences sexuelles, cette plainte évolue, sauf que le juge qui avait en charge ce dossier vient d’être muté à Barouéli. C’est un autre juge qui va prendre ce train en marche. Nous ne doutons point de la compétence du nouveau juge, mais c’est pour dire que l’autre juge s’était déjà familiarisé avec ce dossier et il avait eu quelques brides de formation en la matière. Il y a  même des associations très expérimentées qui sont venues de l’Europe pour le former pour conduire ce dossier à bon terme.

En ce qui concerne les dossiers du Sud, le dossier Amadou Aya Sanogo, dans l’affaire qu’on appelle communément les bérets rouges, ou le charnier de Diago, est presque clôturé. En effet, la Cour d’appel a rendu un arrêt de renvoi de Sanogo et d’autres militaires devant la Cour d’assises. Donc, nous attendons incessamment ce procès afin que justice soit rendue. Il y a un autre dossier qu’on appelle la mutinerie du 30 septembre 2013 dans lequel Sanogo est impliqué avec d’autres militaires. Ce dossier n’est pas clôturé, mais a beaucoup avancé. Il y a eu des auditions et des tests d’ADN.

Comme vous l’avez tantôt souligné, le gouvernement malien, dans le cadre de la signature de l’Accord de paix, a levé les mandats d’arrêt internationaux lancés contre des chefs rebelles. Qu’en dites-vous ?

Par rapport à la mise en liberté de ces individus présumés être auteurs de ces graves violations des droits humains, nous pensons que c’est une atteinte à l’indépendance de la justice des magistrats. Pour des raisons politiques, voilà des individus qui ont été relâchés dans la nature et qui sont encore en train de terroriser les personnes qui les ont dénoncés. Et tout le monde se connait au Mali. Donc, ces libérations, non seulement portent atteinte à l’indépendance de la magistrature, mais aussi peuvent  être dangereuses pour les victimes et les témoins qui ont eu le courage de les dénoncer. Les victimes et les témoins sont en danger et les lois du Mali ne prévoient aucune protection pour les victimes et les témoins qui sont laissés pour compte.

Pendant la transition, le Président Dioncounda Traoré a pardonné à ses agresseurs, mais qu’à cela ne tienne, l’action publique est toujours en mouvement. Où en est-on avec ce dossier et quelle est la lecture de l’Amdh sur ce sujet ?

Sur cette affaire, l’Amdh a pris une position qui était d’aller jusqu’au bout pour que, plus jamais, de tels comportements ne puissent se répéter au Mali. Mais le politique est ce qu’il est. Ils ont pris une décision proprement politique pour essayer d’étouffer cette affaire. Nous avons dit que tant que le Mali continuera sur cette voie, il y aura encore des agressions au niveau de la classe dirigeante. Il fallait sévir, c’est-à-dire ouvrir une enquête pour identifier et punir les instigateurs de ces mouvements. La justice sera rendue et on n’en parlera plus. Dans cette affaire, les procureurs devraient prendre leurs responsabilités. Mais aussi, vous savez que les procureurs sont sous la coupe du ministre de la Justice et ce sont des décisions politiques qui viennent d’en haut. Sinon, effectivement, le Président Dioncounda Traoré peut dire qu’il pardonne et qu’il désiste de sa constitution de parte civile, mais la loi étant transgressée, il revenait au juge de statuer par rapport à l’ordre public. On devrait voir dans cette affaire le trouble sur l’ordre public. A l’Amdh, on a toujours dis qu’il faut sévir.

Quelle lecture faites-vous par rapport à une éventuelle poursuite contre l’ancien président Amadou Toumani Touré ?

Le Mali est en train de traverser beaucoup de problèmes. Le problème de ATT revenait peut être aux magistrats. Ils ont un moment envoyé des avis aux organisations et nous avons dit que nous n’avons aucune compétence pour inciter les juges à poursuivre ATT. Nous avons des magistrats compétents qui peuvent analyser pour voir si l’infraction qu’on veut lui reprocher est fondée. Voir aussi l’incidence de cette poursuite sur la société civile malienne et sur la classe politique malienne. Moi je pense que franchement le Mali a autre chose à faire que de s’attaquer à ATT. Je ne cautionne pas tout ce qu’il a fait, mais par rapport à la poursuite d’ATT, les infractions qu’on lui reproche, je crois qu’il y a mieux à faire.

Quelle analyse faites-vous du procès Hissène Habré, surtout quand on sait que c’est la première fois qu’un ancien chef d’Etat africain est jugé par un tribunal 100% africain ?

C’est une très bonne chose que nous puissions nous-mêmes rendre justice. Si vous voyez que la Cour pénale internationale intervient dans nos affaires, c’est parce que nous n’avons jamais été capables de juger nos dirigeants dans nos pays. Voilà pourquoi, par le principe de la complémentarité, la CPI intervient et fourre son nez dans nos affaires. Parce que nous avons démontré que nous sommes incapables de juger nos criminelles, fussent-ils présidents de République ou de l’Assemblée nationale. Et tout ce que nous faisons ici, c’est, entre autres, des lois d’amnistie, le dialogue social, le pardon. Certes, nous avons une cour africaine qui devrait en principe s’occuper de cette affaire-là. On devrait pouvoir créer une chambre auprès de cette cour qui va examiner l’affaire. Mais, vous avez vu que la nomination de ces juges au niveau de la Cour africaine se fait par les chefs d’Etat. Est-ce que vous pensez qu’un chef d’Etat qui envoie un juge à la Cour africaine ou à la Cour de la Cedeao, que ce magistrat puisse avoir le courage de poursuivre cette même personne qui l’a envoyé. Voilà pourquoi je salue la procédure qui a été engagée contre Hissène Habré au Sénégal. Nous pensons que de telles procédures peuvent faire tâche d’huile au niveau de l’Afrique, même si il y a des imperfections.

Sur le plan de la lutte contre la corruption, si vous devriez noter le président IBK à mi-mandat, quelle est la note que vous lui donneriez ?

A mi-parcours, ce serait vraiment trop prétentieux ou audacieux de donner une note à partir du moment où il est venu trouver des situations. Et sous son mandat, il y a eu beaucoup d’autres situations qui ont été créées. Donc, il y a et le passif de son prédécesseur et ce qui est en train de se passer sous son mandat. Vouloir le juger et lui donner une mauvaise note, ce serrait vraiment précipiter les choses. Je pense qu’il faudrait qu’on donne du temps à IBK et attendre la fin de son mandat pour le juger.

Vous venez d’être réélu à la tête de l’Amdh, quel est le signe sous lequel vous placez ce nouveau mandat ?

La première des choses à laquelle le bureau va s’attaquer est la lutte contre l’impunité. Il va falloir qu’on essaye de changer le fusil d’épaule pour donner plus de visibilité à cette lutte contre l’impunité. C’est par la justice qu’on pourrait parvenir à la paix et la tranquillité. Ce n’est pas par l’amnistie  ou le pardon. Le pardon peut avenir après.            Deuxièmement, il va falloir faire beaucoup de sensibilisation par rapport au foncier. Nous avons été submergés par les paysans du cercle de San qui ont été spoliés de toutes leurs terres. Aujourd’hui, l’administration veut  les spolier de leurs terres en créant des décisions fictives d’attribution avec des méthodes peu orthodoxes. Si jamais on ne prend pas garde, on est en train de radicaliser ces personnes-là. Si les groupes armés (Mujao, Amadou Koufa) rencontraient ces personnes qui ont été spoliées de leurs terres, imaginez qu’est-ce qui reste à un paysan spolié de ses terres. Cela ne peut se faire tant qu’on ne change pas la loi Hamidou Diabaté. Il faut qu’elle soit relue, sinon c’est un autre fléau, pire que la rébellion qui est en train de se créer par nous-mêmes. Nous savons tous que les Préfets sont à la base de ce problème. Enfin, par rapport à l’accord de paix, il faut savoir que sans la justice, tout est voué à l’échec. Vous ne pouvez pas rassembler des mecontents pour aller vers la paix alors que leurs doléances ne sont pas prises en compte. Çà va être extrêmement difficile. Nous allons nous atteler à vulgariser et à sensibiliser sur le contenu.

Réalisée par Ibrahim M. GUEYE

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