L’historien Charles Grémont pointe les blocages maliens :
Charles Grémont est historien, chargé de recherches à l’Institut de recherche pour le développement (IRD) et chercheur associé au Centre d’études des mondes africains (Cemaf). Il revient sur les blocages qui ont paralysé ces derniers mois les négociations entre groupes armés du Nord et pouvoir central.
Comment expliquer l’accélération dans les négociations ces derniers jours ?
Devant la non-action du pouvoir à Bamako, la France et la communauté internationale ont mis un coup de pression : «Que faites-vous depuis les accords de Ouagadougou ?» IBK [le président, Ibrahim Boubacar Keïta, ndlr] a tenté la carte du pourrissement en jouant sur les divisions des groupes au Nord et en pariant sur un affaiblissement de ses interlocuteurs. Il a aussi misé sur le nationalisme et s’est appuyé sur une opinion qui lui est favorable, et sur une presse nationaliste. Mais le pouvoir n’a pas les moyens de sa politique, l’armée est encore faible, en voie d’être purgée de ses éléments proches de Sanogo [officier putschiste]. On peut voir cela comme une protection contre d’éventuelles tentatives de coups d’Etat… C’est aussi une manière de donner une virginité à une armée fragmentée. Reste qu’il s’agit d’un pouvoir campé sur des positions anciennes et pas vraiment engageantes pour le règlement de la situation dans le Nord.
Cette intransigeance de la part d’IBK vous surprend-elle ?
IBK a eu des positions courageuses en 1994, lorsqu’il était Premier ministre d’Alpha Oumar Konaré, alors que les événements dans le Nord étaient déjà brûlants suite aux massacres de certaines populations touaregs par l’armée et par des milices songhaïs. Il avait alors officiellement présenté les condoléances du pays. Mais, l’an dernier, il a fondé sa campagne sur «l’homme de parole». C’est un nationaliste, plutôt autoritaire, qui n’est pas favorable à un dialogue avec les groupes séparatistes, qui ont pourtant abandonné l’idée d’indépendance. Par ailleurs il faut avoir une mémoire très courte pour oublier que l’intervention française a sauvé le Sud de la progression des groupes islamistes.
Que traduit cette accélération ?
La volonté assez nette d’acheter, avec l’argent de la communauté internationale, une paix rapide. Or depuis des mois rien n’a été entrepris pour s’entendre sur un dénominateur commun. Rien n’a été clarifié. Ce travail n’a pas été fait, à commencer par les députés du Nord eux-mêmes. Ont-ils parcouru leurs villages et pas simplement assisté aux grand-messes de la décentralisation comme en décembre ? ATT [le président renversé Amadou Toumani Touré] est tombé. Un autre homme arrive. Les hommes qui ont trempé dans les complicités sous ATT, ainsi que les grands notables, sont toujours là et siègent à l’Assemblée dans le seul intérêt de se maintenir au pouvoir. Ces gens représentent-ils une alternative crédible pour répondre à la gravité de la situation ? C’est assez atterrant comme constat.
Pourtant la France, notamment, s’est félicitée de ce retour à l’ordre constitutionnel…
On retrouve les mêmes personnes et les mêmes logiques… C’est assez inquiétant. Mais, derrière ce retour à l’ordre constitutionnel bien présentable, il y a les moyens promis par l’Union européenne pour l’aide et la reconstruction. Evidemment, tous ces élus maliens connaissent les rouages de l’aide au développement et sont aux premiers rangs pour être servis. C’est ce système ATT qui a été décrié, notamment pas les populations du Nord, qui pointaient les dysfonctionnements, la corruption.
On peut être inquiet, car le règlement politique pourrait être une chose assez simple au regard du péril que constitue la présence des groupes salafistes, qui n’ont pas abdiqué, et des différents trafics, notamment de drogue. Sans une réponse claire de l’Etat central, on va creuser à nouveau les inégalités dans le Nord, et les problèmes vont rejaillir dans moins de dix ans. Un accord signé à Mopti [ville à mi-chemin entre Bamako et Gao] serait un geste fort, montrant la capacité du Mali à rééquilibrer son centre de gravité et à sortir d’un système centralisé basé sur le modèle de l’ancien colonisateur français.
Recueilli par Jean-Louis Le Touzet
liberation.fr/ 16 février 2014
”suite aux massacres de certaines populations touaregs par l’armée et par des milices songhaïs”. On appelle ce torchon, l’avis d’un historien! Mystification et contrevérité. Hélas, l’impuissance malienne…
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