Le ministre des affaires étrangères Soumeylou Boubèye Maiga sur RFI :«Le Mali n’a jamais été le maillon faible de la lutte anti-terroriste»

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La lutte contre Al-Qaïda au Maghreb islamique et le sort des cinq otages occidentaux détenus dans le Sahara. C’était bien sûr le sujet essentiel de la visite à Paris, cette semaine, du nouveau ministre malien des Affaires étrangères. Il y a douze ans, Soumeylou Boubèye Maiga dirigeait d’ailleurs les services de sécurité du Mali. Il connait donc bien le dossier. A l’issue de son séjour à Paris, il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

Quelques jours après la mort d’Oussama Ben Laden, Aqmi a réagi " ne pleurez pas le chair, levez vous et marchez sur ses pas " , comment interprétez-vous ce communiqué

Aqmi, comme les autres groupes sont dans une en phase d’auto radicalisation On sait bien qu’aujourd’hui, cette présence n’est plus porteuse du message de type politico-religieux. Il peut donc y avoir une auto radicalisation. Et cela je pense qu’à court appelle de notre part une plus grande vigilance, en attendant qu’il y ait un essoufflement qui finira bien par arriver

Bernard Scarcini le chef du contre-espionnage français parle, lui, de surenchères. Donc , vous vous rejoignez. Est-ce que vous craignez un raid spectaculaire d’Aqmi pour venger la mort de Ben Laden par exemple ?

Ils n’en ont pas les moyens. C’est possible qu’ils essaient de le faire. Parce qu’aujourd’hui, je pense que progressivement nos Etats ont pu mettre en place des dispositifs qui permettent de contenir une menace éventuelle. Les populations elles-mêmes s’en détachent progressivement et donc je pense que nous sommes dans des configurations qui nous permettent de faire face à un éventuel débordement.

Il y a actuellement 5 otages occidentaux entre les mains d’Aqmi (4 Français et une Italienne) qu’y a-t-il à craindre ou à espérer pour eux aujourd’hui ?

Je pense que, dans le cours, il n’y a pas personnellement des craintes pour leur vie ou leur survie. Parce que, compte tenu de tout ce qui se passe dans l’environnement autour d’AQMI, je ne pense pas qu’ils aient les moyens de gérer les conséquences éventuelles d’une atteinte à la vie des otages. Parce que les capacités militaires de tous les pays se rapprochent de leur sanctuaire. Il y a une présence militaire extrarégionale importante. Donc, la capacité d’intervenir éventuellement sur les sites sur lesquels ils peuvent être est plus forte aujourd’hui qu’il y a quelques temps

Est-ce que la disparition de Ben Laden peut faciliter les négociations avec les ravisseurs ?

Oui. Mais vous savez bien que tous les enlèvements d’otages qui se sont déroulés dans le Sahel, depuis 2003, se sont généralement conclus par des transactions financières.

Oui, mais là, pour les otages d’Arlitz, les ravisseurs ont réclamé le retrait des forces françaises d’Afghanistan ?

Oui, ça c’est pour la bonne bouche, si je peux dire. Parce qu’en réalité on sait bien que même s’il y a un noyau dur peut-être porté sur des revendications idéologiques, pour l’essentiel, c’est plus pour se procurer des ressources qu’autre chose.

Est-ce que le Mali est toujours le maillon faible de la lutte anti-terroriste ?

Le Mali n’a jamais été le maillon faible. C’est un jugement qu’on a souvent entendu. En réalité, depuis un an, à la suite de la réunion des ministres des Affaires étrangères à Alger en mars 2010, nos 4 pays Mali, Mauritanie, Niger et Algérie; nous avons pu mettre en place des outils comme l’Etat-major conjoint de Tamanrasset. Je crois qu’au bout d’un an, on a pu arriver à une capacité de planification des actions que nous devrions mener ensemble, de façon coordonnée, combinée et conjointe.

Concrètement, y a-t-il des patrouilles conjointes par exemple entre le Mali, la Mauritanie, le Niger ?

Oui. Déjà, du côté de la Mauritanie, compte tenu des menaces qui nous avaient été signalées récemment, nous avons sorti des patrouilles conjointes. Et les Chefs d’État-major, quand ils se sont réunis dernièrement à Bamako, ont pu tracer les zones d’intervention, étant entendu que nous devons avoir une présence permanente sur le terrain.

Pour mieux travailler avec vous, l’Algérie réclame le départ des militaires français de la sous-région. Est-ce que cela n’est pas un point de blocage ?

Oui, mais est-ce que l’Algérie a vraiment réclamé le départ des militaires français. Je crois que la position de l’Algérie, comme la nôtre, c’est que la lutte contre le terrorisme doit reposer sur des efforts nationaux et régionaux. D’ailleurs, toute présence extrarégionale pourrait alimenter précisément la mobilisation de ceux qui souhaiteraient transformer notre zone en zone de combat permanent.

Donc, il ne faut pas que les militaires français restent trop longtemps dans la sous-région ?

Pour ce qui est du Mali, c’est de ça que je peux parler, la coopération que nous avons avec la France porte essentiellement sur la formation, sur l’encadrement, sur le partage de renseignements. Je pense que dans les autres pays, c’est la même chose. Je ne pense pas qu’à ce jour il y ait des bases françaises permanentes dans nos pays. Et de toutes les façons, aujourd’hui les capacités militaires sont telles qu’il n’est pas nécessaire d’avoir des bases permanentes. L’important c’est d’avoir une capacité opérationnelle.

Et justement, du point de la vue de la coopération militaire ou autre entre Bamako et Paris est-ce que votre visite à Paris a permis de faire avancer les choses ?

Oui, je crois parce que nous pourrions, nous, être devant le paradoxe que la France nous accorde beaucoup de ressources pour le développement du Nord et ces ressources ne pourraient pas être utilisées parce que, du fait des interdictions de voyages, des alertes, il y a un retrait des acteurs de développement.

Concrètement, les ONG quittent Gao, Tombouctou, Kidal évidemment…

Oui, les ONG mais aussi tous les acteurs du développement et cela entraine quo? Puisqu’il n’y a plus d’activités, ces zones se dépeuplent et les populations qui restent sont plus ou moins contraintes de se compromettre avec les groupes que nous voulons combattre.

Donc, c’est le cercle vicieux ?

C’est le cercle vicieux et j’ai fait observer à nos partenaires français qu’ils ont un devoir de présence à nos côtés.

Votre souhait c’est que le Quai d’Orsay lève l’interdiction de voyage adressée aux Français du Mali ?

Bien sûr. Maintenant, le Mali fera aussi sa part de tâche et nous allons mettre en place des dispositifs visibles, permanents, dissuasifs pour les menaces et rassurants pour les autres de manière à ce que les activités puissent reprendre

Vous voyez que les Français ont entendu le message et vont lever leur mesure ?

Je crois que progressivement, nous allons vers cette solution. Nous irons vers cette solution.

Transcrit par

Bruno D. SEGBEDJI

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