De retour d’une longue tournée internationale, le maitre incontesté de la kora, Toumani Diabaté, s’est confié à L’Indépendant Week-end. Au cours de cet entretien, l’artiste nous a dévoilé les différentes étapes de sa tournée, sa nomination aux Grammy Awards, d’Ali Farka Touré et bien d’autres.
Merci de m’avoir donné l’occasion de m’exprimer. Je suis rentré le mercredi dernier d’une tournée qui m’a conduit en Hollande, en France, en Angleterre, en Espagne. Le groupe est revenu à Bamako le 16 novembre. Moi, j’ai continué avec un autre projet avec un musicien pianiste allemand, Hanne Lidernan, un pianiste classique du Jazz. Il a beaucoup travaillé dans le monde entier avec des musiciens. Cela fait 12 ans que Hanne et moi n’avons pas joué ensemble. La toute première fois c’était ici à Bamako pendant la visite du président allemand sous Alpha Oumar Konaré. A la résidence de l’ambassadeur, Hanne représentait l’Allemagne et moi le Mali. On a animé le dîner offert par le Président Alpha Oumar Konaré à son homologue allemand. C’est pendant ce temps que Hanne m’a demandé cette collaboration. Celle-ci nous a amenés à Hambourg, Berlin et Cologne. Nous avons fait des projets dans la plus grande université conservatoire à Berlin. Nous avons eu un stage à Berlin, à Hambourg et des concerts dans ces différentes villes.
Après, je suis allé en Italie pour rejoindre un grand musicien qui s’appelle Enzo. Un film documentaire est en train d’être réalisé sur la vie musicale de ce dernier par l’un des plus grands réalisateurs du nom de Jonnathan Ben. Pour ce film, Enzo a sollicité quinze grands artistes du monde à se joindre à lui pour pouvoir faire ce tournage dont Kalhed de l’Algérie, David Touré, le fils de Touré NKounda et Eliadès Ochowa. C’est avec Eliadès qu’on a enregistré l’album ”Afrocubisme’‘ dans lequel Djélimady Tounkara, Bassékou Kouyaté, Kassé Mady Diabaté et Baba Cissoko ont participé. Donc en Italie, plus précisément à Naples, nous avons fait le tournage de ce film documentaire sur la vie musicale d’Enzo puis j’ai fait une pause à Paris avant de m’envoler pour l’Inde. Là, j’ai joué dans le cadre du mois de lutte contre le VIH/Sida. J’ai joué avec un musicien Hindou et son fils du nom de Baht. Un musicien très célèbre et détenteur d’un Grammy Awards avec Rey Cooder qui a également eu un Grammy avec feu Ali Farka Touré.
En ma qualité d’ambassadeur des Nations Unies pour la lutte contre le Sida, j’ai été invité officiellement par le gouvernement hindou à faire une collaboration avec Baht. Nous avons joué dans les plus grandes villes de ce pays.
Durant toutes ces tournées, j’ai été accompagné par mon ingénieur de son, Johanes et Ben Abdoul Karim Wahab. Une tournée qui a été un véritable succès. Pour couronner tout cela, l’album ”Afrocubisme” dont je venais de parler a reçu la nomination aux Grammy Awards tout comme le groupe ”Tinariwen’‘. Je ne suis pas le seul africain à être nominé. Il y a aussi l’un des albums de Fémi Kuti qui est nominé dans la catégorie musique du monde et musique contemporaine. Voila résumé la tournée qui m’a pris une quarantaine de jours en dehors du Mali.
Lors de ce spectacle en Inde, quel message avez-vous véhiculé sur le VIH/Sida?
Le message véhiculé était : zéro stigmatisation, zéro infection et l’augmentation d’aide à l’endroit des séropositifs afin que d’ici 2015, aucun malade ne meurt de cette maladie. Le plus difficile, c’est la discrimination des malades du VIH/Sida. De plus en plus, ces malades sont marginalisés et humiliés. Moi en tant qu’ambassadeur, je lance un appel à tout le monde pour aider ces malades à remonter leur moral. Pour cela, je remercie ma maison de disque d’avoir accepté de mettre ce message de sensibilisation dans mes albums.
Une autre nomination aux Grammy Awards, est-ce que cela prouve que Toumani Diabaté demeure toujours le maître incontesté de la Kora ou l’un des meilleurs artistes du monde?
Je dirai Dieu merci. Toutes ces gloires sont des œuvres du Tout-Puissant. Je le remercie en tant que croyant. Il y a des musiciens très talentueux mais qui n’ont pas eu cette chance. Par contre moi j’ai eu cette chance. Après deux Grammy Awards avec le grand maitre feu Ali Farka Touré (paix à son âme) et un autre Grammy Awards cette année avec l’album de collaboration qu’on a eu à faire avec Herbi Engok (avec la participation d’Oumou Sangaré) qui a été nominé. Je suis très heureux de toutes ses récompenses car le Grammy Awards est la plus grande distinction offerte à un artiste pour le saluer pour son travail. Comme je l’ai toujours dit, le Mali est détenteur du record du Grammy sur le continent africain. Je ne peux que me réjouir de cela.
Avec toutes ces grandes distinctions obtenues par des artistes comme Oumou Sangaré, Salif Kéïta, Rokia Traoré, Amadou et Mariam, Mamadou Diabaté…, quel regard portez-vous sur le paysage musical du Mali ?
Je dirai que le paysage musical malien est ”green” comme disent les Anglais. Il a reçu beaucoup de nominations et c’est grâce à ces grands artistes que le Mali est très bien connu sur le plan international. Durant ces dernières années, la musique malienne a récupéré sa place de premier plan dans le monde entier grâce à sa diversité et à la qualité de sa musique.
Comme je l’ai toujours dit aux occidentaux ils n’ont pas encore tout de la diversité de la musique malienne. Ils n’ont vu seulement que de 5% de cette grande culture malienne voire africaine. Par exemple au Mali, la musique du nord est différente de celle du sud comme celle de l’est est différente de la musique de l’ouest. Et chaque ethnie donne de la qualité par rapport à ce qu’elle fait. Raison pour laquelle il faut tout faire pour promouvoir cette musique et l’apprécier à sa juste valeur. Je remercie de passage tous les acteurs dans ce domaine mais l’art en général. Je leur demande de continuer à travailler positivement comme ils l’ont toujours fait. Je pense à Salif Kéïta, Cheick Tidiane Seck, feu Ali Farka Touré, Vieux Farka Touré, Bassékou Kouyaté, Kassé Mady Diabaté, Djélimady Tounkara, Mamadou Diabaté, Rokia Traoré, Baba Sissoko, Soumaïla Kanouté et bien d’autres.
Revenons à votre carrière solo, quand en est-il ?
Dieu merci j’ai eu la possibilité de travailler avec le Symétric Orchestra mais chaque projet à son groupe spécifique. Avec ”Mandé Variation”, nous avons monté un petit groupe dont on entend plus le son de la kora. Symétric était un grand groupe avec 55 musiciens qui ont joué dans l’album dont le saxophoniste de James Brown. L’album que j’ai réalisé avec Ali Farka Touré a également un groupe dont Samba Touré, Vieux Farka Touré et autres. En dehors de tout cela, il y a aussi le projet ”Symphonie’‘. Un projet qui regroupe 50 joueurs de Kora avec qui j’ai tourné un peu partout en Europe. Je viens d’entamer tout récemment un nouveau projet avec deux musiciens brésiliens qui sont venus enregistrer un album dans mon studio ”Africa Studio” avec mon fils Siriki. Ces musiciens brésiliens sont très connus chez eux car ils ont vendus des millions de disque. Il s’agit du chanteur Arlando et du guitariste Edgard, j’ai fait leur connaissance lors du festival ”Back to black” au Brésil où j’ai représenté le Mali avec Vieux Farka Touré. Ce festival est un grand événement où les plus grands artistes du monde sont invités à faire des fusions avec les artistes brésiliens. Après le festival, j’ai donc réalisé un album avec ces deux musiciens brésiliens avec la collaboration de quelques éléments du Symétric. L’album est nommé ‘‘La Curba Dancentura’‘. Il est déjà disponible au Brésil et très bientôt dans les bacs en Europe et aux Etats-Unis.
Avec toutes ces collaborations, on peut dire que Toumani Diabaté est plus international que national.
Mon problème est de rester toujours un griot. Comme je l’ai toujours dit on nait griot on ne le devient pas. Mon objectif est de jouer ce rôle de griot dans le bon sens.La Koraque je joue est un instrument qu’on ne rencontre qu’en Afrique mandingue. C’est le passeport de la culture mandingue. Le Mandé a beaucoup d’instruments à corde. Les autres instruments à corde changent de nom selon les pays et selon les continents maisla Koraest unique. Il n’y a pas dans un pays un instrument similaire à la kora à cause de sa fabrication et la façon de la jouer. Je suis fier de représenter le Mali à travers le monde avec cet instrument. Mais, il faut que les Maliens sachent que je reste toujours Malien et fier de représenter cette culture malienne.
Au regard de tous ces succès que vous connaissez, quel message donneriez-vous aux jeunes artistes qui aimeraient vous ressembler ?
Je dis aux jeunes de rester eux-mêmes c’est-à-dire de ne pas négliger tout ce que nous avons comme richesse culturelle. Si l’on a tout le matériel qu’on veut et qu’on manque de culture, on a tout sauf l’essentiel. Car, c’est la culture qui fait l’homme. C’est dans la culture qu’on retrouve réunies la religion et l’éducation. Il faut qu’on soit fier de ce que nous avons. Nous sommes les ambassadeurs de cette culture, donc il est de notre devoir d’être respectés et de respecter cette culture afin de mieux la valoriser.
Quels sont les futurs projets de Toumani?
En tant que croyant, je ne peux pas dire que je ferai ça ou ceci. Tout dépend de Dieu. Mais pour l’instant, c’est le projet de l’ouverture de mon studio ”Africa studio”.
Le week-end dernier, vous et les amis d’Ali Farka Touré avez rendu un hommage à ce grand artiste. Que représentait il pour vous ?
Ali Farka Touré, c’est le Molar de la musique malienne. Il est le recordman du Grammy Awards en Afrique. Il n’a pas fait la musique non seulement pour le Mali mais pour le monde entier. En tant que musicien, j’ai appris beaucoup de choses avec Ali. Il est resté égal à lui-même malgré toute sa richesse. Il était exceptionnel. Le monde entier le regrette. Mais, il ne doit rien regretter car il doit être fier de l’empire qu’il a su bâtir avec sa famille, ses amis d’ici et d’ailleurs à travers le monde. Je le remercie pour tout ce qu’il a fait.
Bandiougou DIABATE
bandjoul@hotmail.com