La mise en place du Mécanisme opérationnel de coordination (MOC) de Kidal et de Tombouctou est prévue pour ce 30 avril 2018. A moins de 2 semaines de ce nouveau rendez-vous, nous avons rencontré, le mercredi dernier, à Gao, le coordinateur général du MOC, le général Mamadou Idrissa COULIBALY, dans les locaux de son service au quartier Château.
Dans notre entretien, il est revenu sur l’attentat terroriste du 18 janvier 2017 qui frappé le bataillon du MOC de Gao ; rappelé les missions du MOC et de ses difficultés; parlé de l’opérationnalisation du MOC à Kidal et Tombouctou ; de la collaboration avec la MINUSMA, etc.
Info-Matin : Après l’attaque du 18 janvier 2017, peut-on dire aujourd’hui que le MOC de Gao a repris ses activités et est opérationnel ?
Le général Mamadou Idrissa COULIBALY : L’attentat du 18 janvier a passé très vite. Nous sommes en train de gérer les conséquences. C’est un événement malheureux qui n’a en rien entaché l’opérationnalité ou les activités du MOC. Après cet attentat malheureux, le MOC a repris immédiatement ses activités en faisant des patrouilles de sécurisation dans la ville de Gao de concert avec les forces armées maliennes et les forces partenaires. Nous sommes en train de monter en puissance avec d’autres actions sur le plan opérationnel, sur le plan communication, sur le plan cohésion sociale avec les populations locales et avec les partenaires.
IM: On sait que vous menez conjointement des patrouilles avec les forces onusiennes. Que profitez-vous de cette collaboration avec les partenaires ici à Gao?
Gal MIC : Bon, je vais rectifier un peu. Ce sont des patrouilles conjointes où chacun apporte sa part de connaissance, son expertise, ses moyens. S’il y a quelque chose que nous profitons des forces partenaires, c’est la dotation en carburant que la MINUSMA nous accorde pour les patrouilles mixtes. La MINUSMA a une expertise, mais en matière de connaissance du terrain, nous avons des éléments qui connaissent mieux le terrain que les forces de la MINUSMA. Donc, chacun vient avec ses capacités. Mieux, ce sont des patrouilles conjointes que nous menons, soit avec les forces armées maliennes, soit avec la MINUSMA ou seul.
IM: Est-ce que vous pensez que ces patrouilles ont un impact sur la situation sécuritaire à Gao, puisque la plupart des personnes que nous avons rencontrées pensent qu’il n’y a pas assez de sécurité..?
Gal MIC : Ces patrouilles ont surtout un effet dissuasif. Il ne faut pas attendre de ces patrouilles un effet immédiat. C’est-à-dire, appréhendez les malfaiteurs. Parce que les malfaiteurs ont également leur mode opératoire et s’adaptent en fonction de ce que nous faisons. Mais effet dissuasif est important. Nous allons, au moment donné, essayer de changer de mode opératoire. Au lieu de faire des patrouilles mobiles, nous avons essayé de mettre des forces fixes à certains carrefours stratégiques pour que celui qui braque un véhicule rencontre une de nos forces à ces carrefours. Je suis d’accord que pour le moment, la population ne voit pas le bout du tunnel, mais il faut reconnaitre qu’il y a une diminution drastique du nombre d’infractions, de délits et même de crimes dans la ville de Gao.
IM: Est que l’insécurité résiduelle, voire chronique liée à la circulation des armes dans la ville de Gao constitue une source de préoccupation pour vous en vue du DDR ?
Gal MIC : Je voulais faire une précision. Le MOC n’a aucun rôle à jouer dans le DDR. C’est une Commission nationale qui est en charge du DDR. Par rapport au processus de DDR, nous avons essentiellement deux missions, à savoir: sécuriser le déplacement des combattants de leur base sur le site de cantonnement ; et ensuite, sécuriser le site de cantonnement. Sinon, tout le processus de DDR lui-même, nous n’avons rien à faire là dans. C’est à l’Etat de décider qui doit être démobilisé, et nous les accompagnons.
IM: Dans le camp du MOC, nous avons rencontré certains combattants qui déplorent le retard dans les dotations, notamment les tenues. Quelles explications donnez-vous ?
Gal MIC : On ne peut pas dire sur ce point qu’il y a un retard puisqu’il n’y a pas d’échéance fixe qui n’a pas été respectée. En la matière, il n’y a pas d’échanges fixes entre qui que ce soit et l’Etat malien.
Le MOC, c’est un effectif de 3 composantes à parité composée des militaires de l’armée régulière, des combattants de la CMA, de la Plateforme plus un groupe qui a été accepté au sein du bataillon MOC sous l’appellation de CME. Les militaires de l’armée régulière reçoivent normalement leur dotation militaire. Ce sont des prévisions budgétaires qui sont là.
Par rapport aux combattants des groupes signataires de l’Accord, l’Etat malien a fait un effort de les doter sur crédit budgétaire du gouvernement après leur admission dans le bataillon MOC de Gao.
Pour les remettre une seconde dotation, il faut l’argent. Donc, je ne parle pas de retard. Face à cette situation, j’ai moi-même demandé l’assistance de la communauté internationale pour qu’on nous trouve des tenues militaires pour ces combattants. L’Etat malien n’est pas à mesure de trouver les fonds nécessaires pour habiller complètement le bataillon. Parce que la dotation militaire coûte très chère. Donc, je sollicite encore une fois, l’accompagnement de nos partenaires sur cette question. Surtout quand on sait que certains ont perdu leurs tenues suite à l’attentat. Ce qui fait qu’ils sont souvent obligés de laver la même tenue la nuit pour le rassemblement du lendemain matin.
IM: Le paradoxe du MOC est que c’est une force qui a été constituée pour sécuriser les citoyens et certains types d’opérations. Aujourd’hui, on se rend compte qu’il ne peut même pas assurer la sécurité de son propre camp. A ce niveau, on parle beaucoup de la question d’armes lourdes. Où en est-on avec la question d’armements lourds pour le MOC ?
Gal MIC : De nos jours, il n’y a pas de sécurité absolue. La preuve, il y a juste une semaine, le camp militaire de la MINUSMA a été attaqué à Tombouctou. Donc, nul n’est à l’abri de ces genres d’événements malheureux.
Effectivement, vous avez raison, pour sécuriser ces genres d’installation, il faut faire les 3 cercles concentrique de la sécurité (éloigné, rapproché et immédiat).
Quand vous voulez sécuriser ce bâtiment alors que votre ennemi peut tirer sur vous à 2000 mètre alors que votre arme ne dépasse pas 150 mètres, ça devient difficile. C’est pourquoi, vous voyez des blindés des Nations-Unies à la porte du bureau de coordination du MOC et du bataillon. Parce que l’ennemi supposé a des armes lourdes avec lesquelles il peut tirer à 2 km sur vous. Et nous n’avons pas ces types d’armes. C’est le gros problème que le MOC a aujourd’hui. Mais, je vous assure que le problème est en passe d’être résolu. La dernière réunion de la CTS, tenue le 11 avril dernier, a exigé que les trois parties (Gouvernement, CMA, Plateforme) remettent au plus tard le 21 avril 2018, les armes lourdes à la disposition du MOC. Du côté de l’Etat, on est déjà prêt, les armes lourdes sont disponibles. Les armes de l’Etat seront utilisées pour sécuriser nos camps afin qu’on remet à la MINUSMA ses blindés.
Nous avons essentiellement un problème d’armes lourdes. Ce qui fait qu’on ne peut pas sortir en patrouille hors des villes.
IM: Il y a trois mois que vous avez pris fonction. On sait également que le MOC avait beaucoup de problèmes avec les populations. On se rappelle même qu’il y avait des véhicules qui disparaissaient dans le camp, des attaques en villes attribuées aux éléments du MOC. Comment se présente la situation aujourd’hui ?
Gal MIC : Si mes souvenirs sont bons, je crois qu’il y a eu 5 cas de vol de véhicules ici au MOC. Mais, les vols de motos, de véhicules, ça se passent partout, même à Bamako. Donc, je ne peux pas dire que c’est un épiphénomène. Mais, je pense que nous avons circonscris ce phénomène. Personne ne peut sortir de la ville de Gao avec un véhicule du MOC sans mon autorisation expresse. Ensuite, il y a des heures pendant lesquelles les véhicules ne sortent pas.
Si vous avez remarqué, on a cchangé même le logo du MOC qui était là en novembre. Maintenant, c’est visible de loin. Parce que, on a souvent accusé les éléments du MOC d’être les auteurs de braquage, de pillage. Le premier logo était un simple transparent qu’on pouvait décoller et l’apposer sur un notre véhicule et se faire passer pour un véhicule du MOC. Nous avons changé ce logo en peinturant directement sur la carrosserie.
C’est vrai, vous avez raison, il y a eu de frictions, des incompréhensions à la création du MOC. Dieu merci, nous avons eu une ONG partenaire (IMRADE) qui nous a beaucoup aidés à organiser des ateliers de sensibilisation, des rencontres de cohésion, d’acceptation par la population. Et, je pense que le courant passe aujourd’hui très bien avec la population.
Depuis que je suis là, j’ai pris des mesures. Aujourd’hui, même un simple excès de vitesse d’un véhicule du MOC est réprimandé.
Sur ce plan, je vous rassure, avec la population, ça va aujourd’hui mieux. On a même mené des actions humanitaires du MOC, notamment un don sang et de carburant à l’hôpital, le curage des caniveaux de l’hôpital de Gao.
IM: Est-ce qu’aujourd’hui les étiquettes CMA, Plateforme ont disparu au sein du MOC, puisse qu’il devait servir à rétablir la confiance entre les parties ?
Gal MIC : Je l’ai dit à qui veut l’entendre, je vais le répéter : J’ai une longue carrière dans l’armée ; je ne me suis jamais autant senti dans une atmosphère familiale qu’au sein du MOC. Ici, vous ne pouvez pas savoir qui est de la CMA, qui est de la Plateforme. Moi, je le sais parce que je suis du commandement. Mais, mes éléments portent la même tenue, participent aux mêmes activités, et tu ne peux pas dire que celui-là est de la Plateforme ou de la CMA. Vraiment, je vous rassure, c’est la première fois que je me sens à l’aise dans un service de l’Etat.
IM: Comment voyez-vous le fonctionnement du MOC, puisqu’il y a la contribution des partenaires qui sont appelés à partir un jour ?
Gal MIC : Les crédits budgétaires du MOC sont entièrement assurés par l’Etat. Chaque année, il y a une ligne budgétaire pour le MOC qui couvre le salaire de tous les agents du MOC, militaires aussi bien que les combattants.
Le seul apport que nous recevons des partenaires, c’est le carburant dont je viens de parler. La MINUSMA nous donnes 5 futs de gasoil par mois pour les patrouilles conjointes.
IM: Le MOC de Kidal et de Tombouctou est prévu pour la fin de ce mois. Gao constitue un exemple. Est-ce que vous avez tiré les enseignements du cas de Gao pour les autres ?
Gal MIC : La CTS a dégagé un nouveau chronogramme pour l’opérationnalisation du MOC à Gao, Kidal et Tombouctou. Au niveau du bureau de coordination, nous sommes prêts. Mais à deux conditions, à savoir : la fourniture des armes lourdes par la CMA et la Plateforme ; et la fourniture de la liste du personnel à Kidal et à Tombouctou par les groupes signataires. Le plan de déploiement de ces deux MOC (Kidal et à Tombouctou) a été élaboré et validé. Nous sommes prêts, il reste maintenant les ressources humaines et matérielles, notamment les armes lourdes. Et j’espère que chacun va respecter sa parole donnée lors de la dernière CTS.
On a même programmé Kidal et Tombouctou ; la priorité des priorités pour moi, c’est le bataillon MOC de Kidal ; ensuite Tombouctou. Je sais qu’il y aura moins de difficultés à faire accepter le bataillon MOC à Tombouctou qu’à Kidal. Aujourd’hui, nous avons suffisamment de force à Gao pour sécuriser la ville en absence du bataillon MOC.
IM: On a aussi constaté que les conditions d’accueil et d’hébergement ne sont pas à hauteur de souhait dans le camp du MOC. On vu des tentes, disent-ils, qui ne sont pas adaptées. Qu’est que vous allez faire pour résoudre tous ses problèmes qui jouent négativement sur la mobilisation et la performance des hommes ?
Gal MIC : Quand on est militaire, on doit pouvoir vivre sous des tentes. Je pense que ce sont des combattants des groupes armées qui ont une certaine habitude, une certaine pratique de l’armée. Quand on est militaire, on ne va pas avec sa maison en guerre. On loge sous les tentes. Ces tentes sont payées par l’Etat malien, c’est la MINUSMA qui a fourni ces tentes.
Le camp de Tombouctou est presque terminé. Mais lorsque les combattants ont demandé, au lieu que ça soit des tentes, qu’on mette en place des maisons préfabriquées, la MINUSMA a répondu niet. Ce sont des choses qui sont très chères. Et pour nous militaires, les tentes sont meilleures. Je suis curieux de savoir dans 20 ans qu’est-ce que vous allez faire de ces camps.
IM: Les élections à venir constituent-elles un défi supplémentaire pour le MOC ?
Gal MIC : Notre troisième et derrière mission c’est de remplacer l’armée dans les zones du nord. Peut-être que, dans le cadre de la sécurisation des élections, nous allons apporter notre part. Mais, encore une fois de plus, avec les armements adéquats prêts à parer à toutes menaces ; donc des armes lourdes.
IM: Puisque vous semblez être fier de vos hommes. Est-ce qu’on peut estimer qu’ils constitueront le fer de lance de la nouvelle armée nationale reconstituée ?
Gal MIC : C’est un peu compliqué. Construire une armée est très difficile surtout pour les Etats comme le Mali qui ont traversé ces genres de crise. Vous savez, il y a une évolution dans le monde. Les menaces ne sont plus les mêmes. On est plus au temps des guerres classiques. Ce n’est plus des affrontements entre les Etats. Donc, il faut absolument s’adapter à ces nouveaux genres de menaces en changeant de type de formation et même d’armements. Ce ne sont pas avec des blindés et des chars que vous allez lutter contre les djihadistes. C’est avec des véhicules légers. Aujourd’hui, on se rend compte que notre armée n’était pas préparée pour les combats dans le désert, dans les villes.
Dire aujourd’hui qu’avec la réintégration, nous allons avoir une armée à la hauteur de nos menaces, ça va être difficile, et ça va prendre un peu plus de temps. Il y eu un changement de formation, de mode opératoire…
Propos recueillis par Abdoulaye OUATTARA