Dans une interview qu’il a bien voulu nous accorder, le directeur général de l’Agence de Promotion Touristique du Mali, Sidy Keïta, nous explique les missions de sa structure, les difficultés que le secteur du tourisme traverse, ses conséquences sur l’économie malienne, les plans de relance…
Aujourd’hui Mali : Peut-on savoir les missions assignées à Mali Tourisme ?
Sidy Kéïta : L’Agence de Promotion Touristique du Mali ou Mali Tourisme est un organisme dont la mission principale porte sur la promotion de la destination Mali. Elle est placée sous la tutelle du ministère chargé du Tourisme. Ses actions s’inspirent donc de la feuille de route tracée par le ministre chargé du Tourisme en ce qui concerne le developpement du tourisme au Mali. L’Agence intervient dans le domaine de la gestion des demandes d’information sur l’offre touristique de notre pays dans sa globalité ; la mise en œuvre d’une stratégie marketing pour la destination Mali. Nous avons également pour missions de promouvoir, de renforcer les capacités des acteurs intervenant dans la chaine de production, de distribution et de commercialisation des produits en lien avec le tourisme. En plus de ces missions, Mali Tourisme appui l’organisation de nombreux événementiels qui mettent en relief le patrimoine culturel malien.
Depuis une dizaine d’années, le Mali traverse une crise multidimensionnelle sécuritaire, politique…N’est-ce pas là un véritable casse-tête pour la promotion de la destination Mali ?
Evidemment ! A priori la mission de promotion parait impossible voire irréaliste au regard de la profondeur de la crise. A posteriori, ne rien faire c’est se resigner, c’est renoncer à ce que nous avons construit jusqu’ici. Nous jouons notre propre survie. C’est vrai, la crise a impacté toutes les composantes de l’industrie touristique du Mali ; que ce soient les établissements d’hébergement, les agences de voyage, les guides de tourisme, les entreprises de transports, etc… Aujourd’hui, nous vivons une situation particulière. Même si certaines crises sont en voie de résolution comme la crise politique, il n’en demeure pas moins que d’autres aux conséquences dramatiques sont toujours d’actualité. Nous avons la crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19 qui a fortement affecté les arrivées de la destination Mali. Toutes ces crises ont eu pour conséquence la réduction des recettes des entreprises touristiques.
Au cours de ces dernières années, nous avons assisté à de nombreux cas de licenciements au sein de plusieurs entreprises, qu’elles soient dans les domaines de l’hôtellerie, de la restauration, de l’organisation de voyage. Les suppressions d’emplois ont atteint des proportions inégalées. Ce qui est aussi important, c’est la baisse des recettes fiscales générées par les entreprises touristiques.
A côté de ces entreprises formelles, nous avons beaucoup d’activités informelles dans le domaine de l’Artisanat, qui sont en train de disparaitre car les métiers de confections artisanales sont transmis de génération en génération. Nous avons un pan de notre culture qui est sérieusement menacé. Les conséquences ne sont donc pas seulement économiques, mais aussi culturelles. Il faut reconnaitre que, dès lors qu’un métier ne nourrit plus son homme, les gens l’abandonnent. Il y a donc là un risque évident de rupture en termes de transmission du savoir de génération en génération qu’on amorce malheureusement au niveau de certaines zones touristiques comme le pays dogon. Nous sommes en train de vivre cette triste réalité à tel point que ceux-là qui vivaient de ces activités sont en train de se chercher. Certains ont pris le chemin de l’exode pour survivre. Aujourd’hui, c’est une situation dramatique que nous vivons dans le domaine du tourisme; mais ce n’est pas parce que tout est à l’arrêt que nous devons croiser les bras. Déjà, nous sommes en train de réfléchir à l’après crise car toute crise a une fin. La crise a pris un peu plus de temps qu’on l’imaginait. Nous sommes en train de réfléchir pour relancer durablement l’activité touristique. Il s’agit surtout de faire en sorte que nous puissions, parallèlement à l’évolution positive de l’environnement sécuritaire, développer le marché domestique. Comment faire en sorte qu’on puisse amener autant de Maliens à découvrir le Mali profond ? C’est à ce seul prix que nous parviendrons à pérenniser les emplois car, chaque fois qu’il y a un déplacement de touristes, toutes les activités qui gravitent autour de l’activité touristique vont renaitre. Par rapport à cela, il y a des actions que nous avons programmées. Il s’agit surtout de réduire le déficit lié à l’information de la population sur les potentialités touristiques de notre pays, sur les produits touristiques dont notre pays regorge. Il y a des campagnes d’information que nous avons entamées au niveau de l’espace scolaire et universitaire, mais aussi dans certains espaces comme Bama’Art. Juste vous dire que nous sommes en train d’aller à la rencontre du Malien lambda pour lui donner toutes les informations relatives aux potentialités touristiques du Mali. Nous sommes sûrs que, dans une brève échéance, nous parviendrons à inverser la tendance.
Comme autre activité que nous sommes en train de mettre en place, c’est l’organisation de circuits (voyages de familiarisation, d’introduction) à l’intention d’une certaine catégorie socio professionnelles de notre pays. Par exemple, vous qui êtes journalistes, vous n’avez pas toutes les informations par rapport aux différents produits touristiques maliens. Ce genre de voyages organisés par les soins des structures comme la nôtre s’appellent dans notre jargon Eductour et nous comptons en organiser pour la presse malienne en 2021, inchallah. Pendant une semaine, on va amener les hommes de médias sur un certain nombre de sites touristiques du Mali car nous pensons que chaque Malien est l’ambassadeur de l’image touristique du Mali.
Dans le même ordre d’idées, nous allons organiser des circuits à l’intention des jeunes scolaires et universitaires sur les différents sites car il faut travailler pour les résultats sur le long terme. A cet effet, nous pensons que les jeunes universitaires que nous allons amener aujourd’hui sont les potentiels touristes de demain et sur une durée de 10 à 15 ans, nous parviendrons à inverser la courbe quant à la fréquentation des sites touristiques du Mali par nos compatriotes.
Par rapport aux potentialités touristiques pour la relance, quelles sont les zones sur lesquelles vous misez beaucoup ?
Nous misons sur le tout Mali car tout le Mali est touristique. Cependant, compte tenu de certains facteurs cités ci-haut et pour des raisons de cohérence, nous avons défini un certain nombre de zones d’actions prioritaires. Elles concernent les régions de Koulikoro, Sikasso, Kayes. Ce sont trois grandes régions sur lesquelles nous sommes en train de travailler. Cela ne veut pas dire que nous abandons les autres régions. Le developpement touristique est avant tout une dynamique globale et elle devra concerner tout le Mali dans son ensemble. Il y a des inventaires qu’il faut faire pour voir qu’est-ce que nous pouvons développer comme pratique touristique, produit, dans ces différentes localités. Nous organisons des missions conjointes avec d’autres services techniques comme la Dnpc, la Dnth pour répertorier des sites et attraits touristiques. Ces missions d’évaluation sont sanctionnées par des propositions de projet de valorisation du potentiel identifié… Nous avons commencé ce travail dans la région de Koulikoro parce que la particularité de cette région est qu’elle ceinture la ville de Bamako. De nombreux sites impressionnants gravitent autour du district de Bamako, comme Siby, Sélingué…
Nous avons déjà commencé à faire des aménagements dans ces localités. Par exemple à Siby, nous avons construit un bureau d’accueil et d’information touristique qui sera inauguré par Madame la Ministre de la Culture, de l’Artisanat et du Tourisme très prochainement et qui participera non seulement à la structuration de l’offre touristique dans cette localité, mais aussi à l’amélioration des conditions d’accueil des visiteurs de ladite commune. Ce sont des activités de structuration de l’offre que nous allons mettre en œuvre. Les travaux d’aménagement d’une certaine envergure sont également envisagés dans les régions ciblées. Il y a aussi l’évènementiel que nous appuyons au niveau de ces différentes localités. On a des sites qui sont là, qu’on peut aménager, mais il y a aussi des activités d’animation comme des prestations de troupes folkloriques qu’on va organiser, appuyer, pour permettre aux touristes d’assister à des spectacles comme nous avons l’habitude de le faire au pays dogon.
Peut-on savoir avec vous la place du secteur du tourisme dans l’économie malienne ?
Avant les séries de crises, les statiques indiquaient jusqu’à 3% l’apport de ce secteur au PIB. Mais à la date d’aujourd’hui, les informations auxquelles nous avons eu accès au niveau de l’Instat estiment à moins 1% la contribution du secteur du tourisme au PIB. C’est donc vous dire que l’apport de ce secteur à l’économie a beaucoup diminué du fait des crises que nous connaissons depuis une décennie. Mais nous savons aussi que le tourisme a une forte capacité de résilience car il y a toujours cet engouement fort pour la destination Mali, que nous avons pu appréhender à travers nos missions à l’international. Nous sommes confiants que, dès que la situation sécuritaire va s’améliorer, nous sommes sûrs et certains de dépasser les 3%.
Nous savons de nos jours que la situation sécuritaire est encore plus délicate pour les régions du centre et du nord du pays. Y’a-t-il un plan Marshall pour ces zones spécifiques ?
Je ne dirai pas qu’il y a un plan Marshall pour ces zones. Mais je dirai plutôt des efforts conjugués en direction de ces zones car vous savez que la principale difficulté, c’est la sécurisation. Nous n’allons pas avoir la prétention avec ce climat d’organiser des activités touristiques dans tout le septentrion malien ou tout le centre, mais nous avons des circuits qui sont toujours viables dont la sécurité peut être renforcée. Il suffit de travailler avec d’autres départements pour qu’on puisse organiser des voyages sécurisés à travers un certain nombre de sites. C’est à cela que nous allons travailler.
Si vous prenez la feuille de route de la Transition, vous allez voir qu’il y a une place de choix qui est accordée à la sécurisation même de l’ensemble du territoire national. En tout cas, il s’agit surtout pour nous de faire revivre ce secteur et que nous soyons en mesure d’organiser des voyages touristiques à Kidal, à Tombouctou, à Gao car ce sont des sites qui sont classés patrimoine mondial par l’Unesco.
Pour la relance du secteur, nous avons aussi programmé des appuis aux entreprises qui évoluent dans le secteur parce que toutes ces entreprises touristiques sont à terre, que ce soit au niveau de l’hébergement, de la restauration, des agences…
L’objectif, c’est surtout de faire en sorte que l’Etat puisse les assister et nous savons qu’un Malien ne peut se payer une chambre d’hôtel donc il s’agit pour nous aussi de trouver un moyen d’adapter les prix des chambres de ces hôtels à la bourse du Malien lambda. Ce qui implique un cadre de partenariat public-privé qu’il va falloir mettre en place pour que les hôtels puissent s’engager dans cette dynamique. Et il reviendra aussi à l’Etat de voir les concessions qu’il pourra accorder à ces hôtels en termes de réduction du taux de la TVA et d’autres charges fiscales.
De nos jours, la destination Mali est en rouge au niveau de nombreuses chancelleries. Dans ce cas d’espèce, comment convaincre les touristes surtout occidentaux, à visiter le Mali ?
Il y a plusieurs paramètres à prendre en compte. Il y a la souveraineté des Etats, c’est-à-dire que des pays peuvent évaluer à la baisse ou à la hausse le niveau de risque sécuritaire d’un pays et décider de le déconseiller à leurs compatriotes. La marge de manœuvre est assez réduite pour les managers de destination de par nos positionnements. Par contre, dans une dynamique de partenariat gagnant-gagnant entre les Etats, on peut arriver à une lecture partagée de la situation de risque et anticiper tout en levant certaines restrictions sur les voyages touristiques. Et ça, c’est le volet diplomatique. Il y a évidemment un travail de lobbying à faire à différents niveaux. Pour nous, l’objectif immédiat n’est pas de convaincre vaille que vaille les gens à venir au Mali. Ce serait contreproductif dans une certaine mesure. Notre objectif est avant tout de réhabiliter l’image touristique du Mali à travers des images valorisant la destination. Par exemple, aujourd’hui, beaucoup de personnes dans un certain nombre de pays pensent qu à peine débarqué à l’aéroport de Sénou, on se fera massacrer par des terroristes. C’est cette image qu’il faut déconstruire avec des récits positifs de ceux qui se sont rendus récemment au Mali ou encore la couverture par des chaines occidentales de certains évènements culturels comme les festivals.
Le message est clair. Oui, nous connaissons des difficultés sécuritaires, mais le Mali c’est aussi ce que vous voyez et c’est en ce moment. Progressivement, on va parvenir à casser l’image organique sur la destination. En ce moment, notre discours marketing sera beaucoup plus audible. En lieu et place d’une communication agressive à laquelle le public cible réagira d’ailleurs négativement, nous allons exploiter les canaux de communication passive.
Les touristes occidentaux, ce sont aussi nos compatriotes installés à l’étranger, dans ces pays. Ils représentent le meilleur vecteur de communication positive sur le Mali. Nous avons initié des actions à l’endroit de la diaspora malienne dans ce sens en 2020 et celles-ci vont se poursuivre, inchallah.
Réalisé par Kassoum THERA