De passage à Bamako, l’un des teigneux opposants politico-militaires au régime d’Idriss Déby Itno, nous a accordés une interview exclusive au siège de notre rédaction. Le capitaine d’aviation Ismaël Moussa, puisqu’il s’agit de lui, demande la reprise des négociations avec N’Djamena et sollicite la médiation d’ATT… Ce chef de l’opposition armée, qui avait participé à la prise de N’Djamena en février 2008, est par ailleurs le président du Front pour le Salut de la République (Fsr).
Le matin : Bonjour Monsieur, bienvenue au Mali et dans les locaux du journal le Matin, voudriez-vous vous présenter à nos lecteurs?
Capitaine Ismaël Moussa : C’est un réel plaisir pour nous les Africanistes, les fédéralistes, d’être parmi vous aujourd’hui, dans votre beau local – le journal ‘’Le matin’’. Nous sommes au Mali pour vous souhaiter un bon cinquantenaire. Le Mali est sur la bonne voie et c’est un exemple pour nous. Nous sommes ici pour demander conseil, pour nous inspirer de l’expérience des Maliens et surtout pour prendre le modèle-Mali pour un Tchad qui doit vivre dans la paix, dans la sécurité et la prospérité.
Nous sommes l’opposition politico-militaire tchadienne. Nous sommes une composante de l’alliance de l’opposition politico-militaire qui est basée à l’est du Tchad. Nous sommes opposés au régime actuel de Déby. A trois reprises, nous sommes rentrés à N’Djamena et nous y avons été stoppés.
Je suis le président du Front pour la République et le Salut (Frs) ; une composante de la grande coalition de l’opposition politico-militaire tchadienne. Pour venir vous trouver ici, j’ai fait le parcours du combattant. J’ai traversé tout le Tchad, j’ai fait le Cameroun, le Nigeria, le Niger et le Burkina.
Qu’en est-il de la réconciliation entre le Tchad et le Soudan ?
Il y a une lueur d’espoir dans le rétablissement des relations (diplomatiques) entre le Tchad et le Soudan aujourd’hui. Nous sommes basés à l’est du Tchad, qui fait frontière donc avec le Soudan. Il y a aussi l’opposition soudanaise qui est basée au Tchad. Les deux pays voisins que sont le Tchad et le Soudan se sont réconciliés. Nous, en tant qu’opposition politico-militaire, cela ne nous regarde pas en tant que tel. Car notre problème reste entier. Il est Tchado-tchadien. Mais nous avons saisi cette occasion pour dire au grand-frère Déby qu’il faut faire la paix, qu’il faut vraiment faire la réconciliation. Nous ne sommes pas des va-t-en-guerre, nous sommes pour le développement du Tchad, nous sommes pour sa prospérité. Nous sommes pour le renouveau du Tchad : nous avons un nouveau modèle de société, un programme politique, un manifeste politique que nous avons appelé LA CINQUIEME REPUBLIQUE. C’est-à-dire, tout ce qui s’est passé jusqu’au cinquantenaire du Tchad, c’est des leçons pour nous. Nous, en tant que nouvelle génération tchadienne, la génération consciente du Tchad, la jeunesse du Tchad, nous voulons vraiment mettre le Tchad sur orbite, développer, construire le Tchad afin qu’il soit dans le concert des nations. Le Tchad a beaucoup de potentialités humaines, économiques, politiques, culturelles qui sont jusqu’ici restées inexploitées par les anciens dirigeants du pays. Ce qu’ils ont fait restera pour toujours une expérience pour nous, mais nous voulons bâtir un nouveau Tchad avec un plan structurel qu’on veut appeler la cinquième République. Avec un programme bien détaillé. Nous sommes, comme le Mali, le Niger, le Burkina, le Rwanda, etc., un pays enclavé. Il y en a parmi ces pays enclavés qui ont décollé, pourquoi pas le Tchad ? C’est la mauvaise gouvernance qui nous freine. Nous, nous sommes prêts à partager les grandes potentialités du Tchad. Nos richesses minières suffisent pour toute l’Afrique. Il y a d’autres pays aussi qui ont beaucoup de richesses tels que l’Afrique du Sud, le Zaïre, l’Angola ; et puis des ressources humaines, intellectuelles comme le Mali. Nous en sommes fiers. Nous ne refusons pas la paix avec Déby. C’est lui qui n’en veut pas. La balle est dans son camp. Sinon qu’est-ce qui l’empêche d’inviter d’un claquement de doigt, ses frères à une table pour un dialogue inclusif ? Nous ferons ainsi la paix, la paix des braves ! Mais jusque-là, il n’a pas répondu à notre proposition et pire, il veut organiser les élections municipales et même présidentielles sans l’opposition. C’est-à-dire, quand il aura fini de se faire réélire, il va nous inviter au dialogue. Mais de quoi allons-nous parler après qu’il aura fini avec les élections. Nous, nous voulons aller dès maintenant avec notre projet de société, avec le renouveau du Tchad comme président de la cinquième république, assiter, participer aux élections d’une mannière concrète, transparente et libre. Mais, M. Déby n’en veut pas ! Nous ne voulons pas de la guerre. La guerre est destructive avec ses effets collatéraux qui sont dangereux pour tout le monde. Elle ne fait pas avancer l’Afrique. Il faut que les pays voisins du Tchad : le Soudan, la République centrafricaine, le Cameroun, la Libye, le Niger, le Nigeria mettent la pression sur Déby pour qu’il accepte notre invitation. S’il refuse, il ne fera qu’en endosser les conséquences. Nous voulons demander au Burkina Faso, au Mali et au Sénégal de faire de même ; d’aider les pays limitrophes du Tchad à retrouver la paix. C’est en quelque sorte ce que nous proposons à Déby. S’il refuse la paix, alors nous serons obligés de recourir à des moyens qui ne feront pas avancer le Tchad.
Pourriez-vous nous dire pourquoi vous avez opté pour la tenue militaire sur laquelle nous ne voyons ni d’épaulettes (galons) ni aucune autre insigne ?
Très bien. Tout d’abord, je suis un combattant de la liberté. Le problème de grade, nous y avons renoncé. Je suis pilote, j’ai laissé l’aviation derrière moi. J’ai laissé les hôtels cinq étoiles, renoncé à la bonne nourriture, à la belle vie pour le maquis. Les grades, les fonctions, la belle vie, ce n’est pas pour maintenant. Non ! Nous sommes pour une cause noble. Nous voulons la paix au Tchad, la justice dans notre pays. C’est pour cela que vous me voyez dans une tenue sans insigne. Nous voulons que le Tchad recouvre son indépendance, sa sécurité, retrouve son intégrité territoriale. C’est pourquoi nous avons opté pour cette tenue qui est une tenue de combat.
Vous disiez tantôt que vous voudriez un Tchad libre et indépendant, cela sous-entend que le Tchad est sous l’emprise d’une puissance extérieure. Et pourtant, le président Débi déclarait il y a quelques semaines imposer des contreparties à la France si elle veut maintenir ses troupes sur le sol tchadien, qu’en pensez-vous ?
Nous sommes contre cette déclaration du grand-frère Déby concernant les troupes françaises au Tchad. Nous ne vendons ni ne louons le territoire tchadien aux autres. Le Tchad est un pays souverain, et de ce fait, il peut dialoguer d’égal à égal avec n’importe quel pays. Nous sommes entièrement contre. On ne peut pas louer le sol tchadien à une force étrangère. Nous pouvons coopérer, c’est-à-dire, voir les modalités des accords qui ont été signés avec la France et autres. Mais vendre ou louer notre sol à la France ou à un autre pays ; notre position est claire là-dessus : le Tchad doit être souverain, indépendant, être traité d’égal à égal avec les autres puissances. Mais l’Afrique, c’est autre chose. Nous voulons une coopération sur tous les domaines, c’est-à-dire, militaire, économique, politique. Nous sommes partenaires avec l’Afrique. Quant aux autres pays externes à l’Afrique, c’est autre chose. Nous ne vendons ni ne louons le sol tchadien !
A vous entendre parler, on a l’impression que vous avez maintenant déposé les armes et que vous optez pour la négociation. Est-ce parce que vous aviez perdu le soutien du Soudan que vous voulez maintenant négocier avec Idriss Déby Itno ?
Vous le savez, nos forces sont intactes et peuvent marcher sur N’Djamena à tout moment. En ce qui concerne la réconciliation avec le système, à plus de trois reprises nous avions tenté de négocier, nous avons fait le Sénégal, la Libye, le Soudan ça n’a pas abouti. Nous avons pris les armes pour défendre les intérêts du peuple tchadien. C’est un peuple qui n’a pas droit à l’éducation, à la santé, à la libre expression. Le Tchadien ne circule même pas librement dans son propre pays. Le peuple est opprimé et puis je vous dis que les gents sont déguerpis de leur maison, on casse les maisons mais on ne dédommage personne. Certains sont déportés…
Nous ne pouvons pas laisser cette lutte tant qu’elle n’aboutit pas. On lui dit qu’on veut participer aux élections, il refuse. Parce qu’il sait qu’on a la majorité. Aujourd’hui, si on organise des élections libres et transparentes, on va les gagner haut les mains. Mais il refuse. Il veut se tailler un boubou à sa mesure et ensuite nous appeler pour nous donner des miettes. Nous ne sommes pas là pour des miettes.
Qu’attendez-vous d’un pays comme le Mali ?
Notre proposition est africaniste, fédéraliste et est pour les Etats-Unis d’Afrique. En premier lieu, nous demandons aux pays voisins du Tchad de penser à résoudre le problème tchadien. S’ils ne le font pas, le problème va déborder le Tchad et, au lieu qu’un seul pays souffre, c’est l’ensemble de la zone qui en souffrirait. Nous demandons au Mali, le Burkina Faso et le Sénégal d’aider les pays voisins du Tchad à trouver rapidement une solution au problème tchadien. Sinon, nous ne sommes pas fatigués de la guerre. La guerre est imposée, la lutte va continuer et un de ces quatre matins, le peuple tchadien aura sa souveraineté.
Nous sommes prêts et disponibles à rencontrer le gouvernement de N’Djamena à tout moment. Nous ne nous lasserons jamais. Mais pour une paix durable. Ce n’est pas pour des petits ralliements, de petits postes, de biens matériels quelconques, il y a un problème, il faut revoir le système de sécurité, les forces armées, les finances, le problème de la décentralisation.
Et si Déby refusait de vous écouter, qu’allait vous faire ?
C’est une solution imposée. Qu’avons-nous d’autre à faire ? Nous le combattions, nous sommes arrivés aux portes de N’Djamena et nous avons été empêchés de prendre le pouvoir et maintenant la lutte continue.
Qu’en est-il aujourd’hui de l’enquête concernant surtout la disparition de l’opposant Ibni Oumar ?
L’enquête est claire. Elle met en cause l’armée de Déby. C’est-à-dire, la sécurité présidentielle. C’est à elle qu’incombe la première responsabilité. Ils sont partis, ils l’ont attrapé et l’ont éliminé. Ibni Oumar ne reviendra plus. Il ne reviendra plus. Il n’est ni le premier ni le dernier. Où sont Lawquin Barday, Moise Kété, Abass Koty et bien d’autres ? Ils ont miraculeusement disparu. Sachez aussi qu’entre 1993 et 2009, Déby a signé 187 traités de paix avec nous. Mais, il n’en a honoré aucun. Nous ne nous sommes jamais découragés et avons toujours cherché à dialoguer avec lui. Il nous connaît.
Pourquoi le choix de la semaine du cinquantenaire du Mali pour venir ici, d’autant que le président Déby lui-même était là lors du défilé militaire du 22 septembre dernier à Bamako ?
C’est pour ne pas laisser champ-libre à Déby. Il faut que vous nous écoutiez, et nous sommes plus proches de vous que de Déby. Il y a des pêcheurs maliens qui sont refoulés du Tchad par Déby, des mineurs maliens, enfin, africains de toute nationalité.
Interview réalisée par Alhassane H. Maïga, Mahamane Cissé, Amadou Salif Guindo et Ibrahima Diakité
Qui est le capitaine pilote Ismaël Moussa ?
Président du Front pour le Salut de la République (Fsr) qui est une composante de l’opposition politique armée tchadienne, le capitaine d’aviation Ismaël Moussa fut Aide de camp du président Goukouni Weddeye. Membre influent de la Commission mixte Tchado-libyenne, membre de la haute représentation du gouvernement d’union nationale de Transition (Gunt), il dit assumer ses fonctions avec un grand sens de responsabilité. Il fut Directeur des opérations de l’armée de l’Air tchadienne commandant la base aérienne de N’Djamena. Sa riche expérience le propulse aux ministères des affaires étrangères où il fut l’attaché de cabinet du vice ministre des Affaires étrangères qui n’est autre que M. Mahamat Ali Abdallah. Il a aussi servi à l’ambassade du Tchad en Libye comme 1er secrétaire de l’ambassade.
Mais depuis 1993, le capitaine Ismaël Moussa rejoint l’opposition politico- militaire tchadienne. Dans ce mouvement, il occupe tour à tour plusieurs fonctions entre 2003 et 2006 : chef militaire du secteur sud, chef politico-militaire des colonnes de libération. En 2006, il devient secrétaire général du front pour le Salut de la République, puis son président depuis 2007.
Militaire accompli, il participe aux incursions rebelles qui avaient pris N’Djamena en 2008 avant d’être repoussées par l’armée française. Gravement blessé lors des derniers combats, il veut être aujourd’hui un évacué sanitaire. Pour lui, le temps est venu de faire la paix. « Le rapprochement Tchado-soudanais de ces derniers temps, forcement nous invitent tous à un sursaut national à chercher par tous les moyens la paix, la sécurité et le développement », a-t-il lancé.
Alhassane H. Maïga