L’analyste principal au bureau de la CPI à La Haye, Emeric Rogier, membre de la mission ayant séjournée au Mali: Rogier, membre de la mission ayant séjournée au Mali

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Fatou Bensouda, procureure à la Cour pénale internationale (CPI) a envoyé une mission au Mali chargée de s’informer sur des crimes présumés dans le nord du pays. De retour à La Haye Emeric Rogier, analyste principal au bureau de la CPI et membre de cette mission a confirmé à RFI des cas de viol et de pillage, sans toutefois désigner nommément les islamistes.

Quels sont les crimes présumés sur lesquels vous menez cette enquête préliminaire ?

Nous avons été saisis par le gouvernement malien au mois de juillet dernier, sur des crimes qui ont été commis essentiellement au nord du territoire. Il y a des allégations de crimes de guerre et des allégations de crimes contre l’humanité. Donc, nous nous sommes rendus à Bamako, pour vérifier un certain nombre d’informations qui nous avaient été transmises à ce sujet.

Le crime présumé le plus grave qui aurait été commis au nord par les islamistes, est le massacre de plusieurs dizaines de militaires maliens, qui auraient été égorgés, les mains liées dans le dos. C’était en janvier à Aguelhoc, dans l’extrême-nord. Est-ce que vous avez recueilli des témoignages ?

C’est effectivement un événement qui a été porté à notre attention. D’ailleurs, on en était au courant bien avant le mois de juillet dernier. Mais nous n’avons pas recueilli de témoignages, parce que c’était une mission d’analyse, une mission d’évaluation. Nous n’avons pour le moment pas décidé. Enfin, la procureure n’a pas encore décidé d’ouvrir une enquête. Donc, nous ne pouvions pas recueillir des témoignages. Mais en revanche, nous avons pu nous entretenir avec un certain nombre de personnes, ou d’entités, qui nous avaient communiqué des informations au sujet de cet événement. Et donc, nous nous sommes employés à vérifier leurs sources d’informations et la fiabilité des données qui nous ont été transmises.

Et au terme de ces vérifications, est-ce que vous confirmez qu’il y a eu massacre à Aguelhoc en janvier ?

Nos conclusions – vous comprenez – nous les réservons à Madame Bensouda procureure de la CPI, qui prendra une décision en conséquence. Cela étant, nous n’avons pas cherché à nous renseigner davantage, uniquement sur les événements d’Aguelhoc. Il y a aussi d’autres allégations qui ont suscité notre attention.

Justement, est-ce que vous avez fait un examen préliminaire d’assassinats ou de viols présumés commis par les islamistes contre des civils ?

Il y a d’abord les destructions des tombeaux de Tombouctou, qui pourraient éventuellement relever de la compétence de la Cour, et il y a eu aussi des cas de viol et de pillage sur lesquels nous nous sommes penchés.

Amnesty International avait parlé de viols à Gao, lors de la prise de cette ville par les islamistes fin avril.

Il y a des choses qui se seraient passées, en particulier à Gao, lorsque la ville a été saisie par les assaillants. Faut-il les qualifier d’islamistes ou leur donner un autre nom ? Ça, je vous en laisse la responsabilité. Mais il semblerait qu’au moment de la prise de ces villes, il y a eu des actes de viol et de pillage qui auraient été commis.

Aguelhoc est décidément une ville martyre, puisque fin juillet, c’est là qu’un couple non marié a été lapidé à mort en public, devant quelque 200 personnes. Est-ce que ce crime peut entrer dans le champ de vos investigations ?

C’est une question que l’on se pose. C’est assez difficile à déterminer parce que, vous savez, la CPI est compétente pour des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité. Des crimes de guerre, il faut par définition, que les crimes soient commis dans le cadre d’un conflit armé. Ce n’est pas nécessairement le cas des événements qui se sont produits tout récemment à Aguelhoc. La question de savoir si ça pourrait constituer des crimes contre l’humanité, c’est exactement l’un des objets de l’analyse que nous menons pour savoir si les critères du statut de Rome sont remplis pour ouvrir une enquête.

Le fait que ce crime ait été commis au nom de la charia, est-ce que ça permet aux auteurs de ce crime d’échapper à la poursuite pour crimes contre l’humanité ?

La définition du crime contre l’humanité, c’est un crime qui doit avoir été commis dans le cadre d’une attaque systématique, ou généralisée contre la population civile, en application d’une politique délibérée. Soit d’une politique d’un Etat, soit d’une politique d’une organisation. Donc ça, c’est à nous de vérifier si les faits correspondent à cette définition qui est assez complexe et assez exigeante.

Concrètement, est-ce qu’un crime commis au nom d’une loi islamique et de la charia, ce n’est pas un crime contre l’humanité?

Pas nécessairement. Ça dépend véritablement du contexte. La charia peut être un élément explicatif, mais ce n’est nécessairement un facteur en soi, constitutif d’un crime contre l’humanité. C’est plus compliqué que ça.

Vous parliez de la destruction de ces tombeaux de Tombouctou, début juillet. Est-ce que la Cour pénale internationale pourrait être compétente pour juger les auteurs de ces actes ?

C’est possible, effectivement, parce qu’il y a une clause du statut de Rome sur les crimes de guerre, qui évoque spécifiquement des attaques conduites contre des monuments religieux ou historiques, comme pouvant constituer des crimes de guerre. Donc, c’est effectivement un aspect qui attire beaucoup notre attention.

Le 5 juillet, le Conseil de sécurité de l’ONU a averti les démolisseurs de Tombouctou qu’ils pourraient être traînés devant votre Cour. Est-ce que la CPI a déjà été saisie par le Conseil de sécurité ?

Non. Mais ce n’est pas nécessaire. Il y a d’autres mécanismes. Le renvoi par un Etat partie, comme ce qui s’est produit avec l’Etat du Mali en juillet dernier, est suffisant pour déclencher une enquête de la CPI, à supposer que les critères soient remplis.

En mai et en juin, plusieurs dizaines de parachutistes de l’armée malienne ont été enlevés par les forces fidèles au capitaine Sanogo. Les ONG nous disent que plusieurs d’entre eux ont été gravement torturés. Et parmi ces bérets rouges, 22 sont aujourd’hui portés disparus. Est-ce que vous pourriez enquêter sur leur sort ?

Nous pourrions enquêter sur leur sort en théorie, si nous parvenions à la conclusion que ces actes-là, pour autant qu’ils soient confirmés, constituent, soit des crimes de guerre, soit des crimes contre l’humanité. Nous sommes tout à fait au courant de ces allégations. D’ailleurs, nous en avons parlé avec différents interlocuteurs à Bamako. A l’heure d’aujourd’hui, il semblerait que cela relève plus de violations des droits de l’homme que de crimes relevant de la compétence de la CPI. Mais sous réserve d’informations supplémentaires, et si cela devait se poursuivre et prendre des proportions encore plus graves, ils pourraient éventuellement relever de la compétence de la CPI.

D’ici combien de jours ou de semaines la procureure Madame Fatou Bensouda pourrait décider d’ouvrir ou non une enquête sur le Mali ?

Disons qu’elle devrait prendre une décision prochainement.

Est-ce que le dossier vous paraît assez consistant pour ouvrir une telle enquête ?

Ce sont des conclusions que je réserve à Madame la procureure, Fatou Bensouda .

Quand vous dites prochainement, c’est d’ici la fin du mois de septembre?

Quand on dit prochainement ça correspond exactement à ce que l’on veut dire.

Propos recueillis par Christophe Boisbouvier

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