L’ambassadeur de France à propos du Nord Mali : ‘Quoiqu’on ait pu dire ou écrire, les menaces subsistent’

0

Christian Rouyer nous change de la diplomatie langue de bois même s’il pèse ses mots. Le fait est que le message n’est pas occulté. Il est au contraire très clair, comme le révèle cette interview exclusive au Républicain.

Le Républicain : Excellence, qu’est ce qu’on dit aux Maliens: que les relations avec la France sont au beau fixe?
Christian Rouyer :
Que les relations s’appuient sur des fondations solides qui tiennent à une histoire commune, sur un dialogue permanent, qui permet d’échanger sur tous les sujets sans langue de bois, sur des réalisations concrètes, dont les premiers bénéficiaires sont les Maliens dans leur vie quotidienne et qui concernent aussi bien l’accès à l’eau, l’assainissement, le développement agricole, l’appui au secteur privé, l’emploi des jeunes ou la lutte contre la délinquance.

Vous avez été au charbon tout de suite après votre accréditation: Mopti, Tombouctou, Ségou. Quel message cherchez-vous à donner?

Je suis intimement convaincu de trois choses. La première, c’est que ce n’est pas en restant dans mon bureau, ni même à Bamako que je découvrirai le Mali dans toute sa diversité, je dirai même dans toute sa complexité. Et je regrette bien sûr de ne pas pouvoir me déplacer partout, à tout moment, en toute liberté. La seconde, c’est qu’il est important, quand on est confronté à un nouvel environnement, de prendre le temps de voir et d’écouter pour se forger peu à peu une opinion. Il faut se garder de tout jugement péremptoire, de tout a priori. La troisième, c’est que je crois à la valeur des relations humaines. Rien ne vaut un contact direct pour nouer des rapports confiants, discuter et balayer, au besoin, des malentendus.

Vous êtes un sécuritaire. Avez-vous été affecté ici pour cette raison? C’est-à-dire par rapport à l’espace sahélo-saharien ?
Honnêtement, je ne sais pas ce que vous entendez par sécuritaire. J’ai acquis, je crois, au fil de ma carrière, des expériences variées, qui m’ont appris à faire face à des crises de toute nature (politique, économique, sanitaire, humanitaire), autant qu’à remplir des fonctions plus classiques de représentation ou d’accompagnement de projets dans le domaine de la coopération économique ou culturelle. C’est vrai que, depuis trois mois, la sécurité des Français m’a beaucoup occupé. C’est l’actualité qui veut cela.

Quelle est votre lecture de la situation sécuritaire dans cet espace aujourd’hui?
A ce jour, quoi qu’on ait pu dire ou écrire, les menaces subsistent.
En l’état actuel de vos informations, pouvez-vous dire si Aqmi monte en puissance? Le cas échéant qu’est-ce qui l’expliquerait?
Le renforcement d’Aqmi ne date pas de la crise libyenne, mais Aqmi a profité de celle-ci. La menace était connue, mais la mise en œuvre des moyens pour la combattre n’a pas suffisamment été anticipée.

Jureriez-vous sur la bible que la France n’a jamais payé de rançon pour faire libérer ses otages?
Je ne jure jamais et n’ai jamais été associé à la moindre négociation dans ce domaine.

En déconseillant à vos compatriotes de ne pas se rendre dans le Nord Mali, n’abandonnez- vous pas le terrain aux terroristes?
Non, car, dans le même temps, la France appuie les efforts des autorités maliennes pour y rétablir la sécurité des personnes et répondre aux attentes de la population en matière de développement des infrastructures, d’implantation des services publics et de création d’emplois.

Mopti qui vit de tourisme a été classé dans la zone rouge. Y a-t-il vraiment des menaces sur cette partie du Mali?
Mopti n’a pas été classé en zone rouge. La région est en zone orange ». Cependant, je vous concède que cela a suffi à dissuader les opérateurs touristiques d’y acheminer des touristes. Je vous confirme que nous ne pouvons pas encore écarter toute menace d’enlèvements à l’encontre de Français. C’est la raison pour laquelle je salue le projet de plan de sécurisation des sites touristiques, élaboré actuellement par les autorités maliennes.

La partie malienne crie à l’évaluation unilatérale de la situation sécuritaire. Est-ce à dire qu’elle n’est associée à aucun moment?

Les services concernés français et maliens échangent régulièrement les informations dont ils disposent.

Quand et à quelles conditions pensez-vous que le tourisme reprendra dans la zone?
Quand la crise libyenne sera résolue et que la menace que fait peser Aqmi sera jugulée. A cet égard, si la coopération sous-régionale qui s’esquisse depuis deux mois produit les effets escomptés, il n’y a pas de raison pour qu’à terme le tourisme ne reprenne pas.

Pour beaucoup de Maliens, Aqmi pour vous est un prétexte pour punir leur pays qui refuse l’immigration contrôlée…
C’est d’autant plus ridicule de penser cela que les mesures adoptées par la France l’ont été après la mort de notre compatriote Michel Germaneau et les événements tragiques qui se sont succédé ensuite, et sont donc déconnectées du calendrier de la négociation. J’ajoute que les premières victimes de cette absence d’accord sont les Maliens, désavantagés par rapport aux ressortissants des pays qui ont souscrit un tel accord. En tout cas, il n’y a et n’y aura aucun lien, dans mon esprit, entre l’évolution de la cartographie sécuritaire du Mali et la conclusion ou non d’un accord dans le domaine des migrations.

Quel espoir placez-vous dans le Pspsdn, ce programme contre l’insécurité au Nord-Mali ?
J’espère qu’il permettra un retour progressif de l’Etat malien dans ces trois régions, qu’il répondra aux attentes très fortes de la population en termes de développement et que chacun pourra s’y déplacer en toute sécurité.

La France a-t-elle techniquement appuyé la récente opération maliano-mauritanienne dans la forêt de Wagadou ?

Non

Quelle est la tendance de l’aide française au Mali ?
L’engagement français au côté du Mali ne se dément pas. A elle seule, cette question mériterait une interview spécifique … Vous évoquiez mes déplacements dans le pays au début de cet entretien. A Ber, je m’y suis rendu, car nous soutenons le programme spécial pour la paix, la sécurité et le développement du Nord Mali. A Niono et Molodo, c’était dans le cadre du soutien apporté par l’AFD dans le domaine de l’aménagement agricole. A Ségou, c’était dans le cadre d’un programme conduit par le Service de coopération et d’action culturelle pour soutenir l’entrepreneuriat des jeunes. Tout récemment, j’ai remis au Ministère de la Justice et de la Sécurité intérieure des équipements destinés à renforcer leurs moyens de lutte contre le trafic de stupéfiants. A travers ces quelques exemples, vous pouvez juger de la diversité de notre aide et de sa vitalité.
Propos recueillis par Adam Thiam

Commentaires via Facebook :