Ladji Niangané, migrant de retour volontaire et cofondateur du village agricole Somankidi Kura : « N’eût été l’immigration, Kayes aurait connu la rébellion comme au nord »

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L’investissement au Mali, le chômage des jeunes dans la région de Kayes et l’apport de la diaspora malienne pour y remédier sont entre autres sujets abordés dans cet entretien exclusif avec Ladji Niangané, Conseiller national au Haut conseil des collectivités, élu communal. Un Malien qui a quitté la France en 1977 en compagnie d’un groupe de collègues au nombre de 14 pour créer un périmètre agricole dénommé village agricole.

Quelle est la cause principale de l’accroissement du chômage des jeunes dans la région de Kayes ?

Ladji Niangané : La cause n’est autre que la mauvaise gouvernance, la mauvaise utilisation des ressources, la délinquance financière et la mauvaise gestion des ressources financières dont nous disposons pour nous développer. En gros, c’est la mauvaise gouvernance qui nous amène aujourd’hui dans cette situation difficile sinon catastrophique au niveau de la jeunesse du Mali en général et celle de Kayes en particulier.

Quel mécanisme doit-on mettre en place pour encourager les potentiels investisseurs à venir chez nous ?

Je pense qu’il faut politiquement des mesures attractives, parce qu’un investisseur voit un peu les conditions. Comme l’a dit un grand penseur : « trop d’impôt tue l’impôt ». Nous constatons aujourd’hui qu’on n’a pas de mesures attractives permettant à ceux qui ont les moyens de venir investir chez nous. Quand on fait la situation, les tracasseries, les textes, les impôts, il y a vraiment quelque chose de très décourageant pour un investisseur.

C’est pourquoi, aujourd’hui, l’immigration, depuis quelque temps, a mis le focus sur le développement social à savoir la construction d’écoles, de centres de santé et d’adduction d’eau. Nos opérateurs qui sont à l’extérieur ne sont pas très souvent favorisés au niveau des services étatiques ; ils ont beaucoup de complication pour arriver à un résultat très concret. Et cela décourage vraiment tout potentiel investisseur au niveau du Mali.

Je sais qu’aujourd’hui, l’une des alternatives c’est le renouveau du Mali ; un pays qui a besoin de l’investissement, qui a besoin d’utiliser sa main-d’œuvre, sa jeunesse qui est son avenir. Une jeunesse désœuvrée amène automatiquement à la délinquance. C’est pourquoi je dis qu’il faut des mesures attractives favorables à l’investissement.

Aujourd’hui, l’un des obstacles est que nous sommes dans une zone enclavée où la majorité des migrants sont de la région de Kayes. Or, la route c’est aussi le développement tant qu’il n’y en a pas, c’est un obstacle au développement. Depuis la construction de la route Bamako-Dakar, nous avons constaté que les affaires bougent. La douane fait des recettes de plus d’un milliard par mois simplement grâce aux marchandises.

Et si aujourd’hui nous avons des routes dignes de ce nom qui vont dans les zones de productions, je pense que ça pourrait attirer davantage les investisseurs. Les PMI et PME sont des facteurs qui peuvent employer les jeunes et créer des ressources. Mais faut-il vraiment que l’Etat en fasse une priorité, un objectif, l’aspect désenclavement, l’aspect attractif et l’appui conseil pour que les nouveaux investisseurs puissent bénéficier d’accompagnements adéquats.

Vous êtes parmi les personnes qui ont investi dans la région. Dans quelles conditions êtes-vous parvenu à mettre en place une entreprise agricole ?

Je pense que beaucoup de Maliens ignorent la loi d’orientation agricole. L’ex-président, feu Amadou Toumani Touré, a confié aux organisations paysannes de réfléchir pour trouver les moyens, les mécanismes, pour comprendre les enjeux d’une agriculture concurrente qui développe le Mali. Pendant deux ans, nous avons travaillé sur la loi d’orientation agricole.

Mais elle reste méconnue. Elle définit tous les mécanismes en matière de création d’entreprise, les avantages qui en découlent. Tout entrepreneur, qui veut investir dans le domaine agricole avec grand « A », sa référence est la loi d’orientation agricole. Elle a été votée à l’Assemblée nationale et est en cours. Elle est quand même l’une des lois qui est très attractive si les gens arrivent à mieux l’exploiter.

Certains Maliens surtout ceux de la diaspora veulent vous suivre, mais sont généralement confrontés au problème foncier. Cela a-t-il été le cas pour vous ?

Le problème foncier au Mali, d’année en année, devient difficile, compliqué. Nous notre projet date de 1977. Nous étions un groupe de travailleurs africains qui avaient décidé de rentrer pour se consacrer à l’agriculture. Pour donner un exemple à la jeunesse qu’elle peut vivre et rester chez elle sans être obligée de partir.

À l’époque, notre démarche au niveau de la France a été quand même quelque chose de très important. Nous avons contacté les quatre pays où l’immigration est forte, à savoir le Sénégal, le Mali, la Mauritanie et la Guinée. Et les ambassadeurs nous ont demandé d’écrire au ministère de l’agriculture de ces différents pays pour voir la possibilité d’octroi de surface.

À l’époque, il y avait un gouverneur à Kayes, feu Amara Denfaga, qui était un passionné de l’agriculture, un monsieur exceptionnel et un grand patriote qui s’est investi pour nous mettre à disposition 60 hectares. Donc nous (14 membres) avons pu pendant six mois faire une formation dans le domaine de l’Agriculture moderne.

Malgré les difficultés, la diaspora malienne a pu faire quelques réalisations ici à Kayes. Pouvez-vous nous en citer quelques-unes ?

Ce que je connais qui a été vraiment de taille et qui était en lien avec les producteurs, c’est la transformation du fonio avec Singalé Soumaré. Les conseils régionaux d’Île-de-France et de Nord Pas-de-Calais ont appuyé la construction de cette usine de transformation de sésame.

Je pense qu’au début, elle avait très bien marché mais avec la sécheresse, la production au niveau de Kenieba s’est ralentie et l’usine par difficulté d’approvisionnement s’est arrêtée momentanément. Sinon ils faisaient même de l’importation de fonio vers la diaspora, des partenaires qui faisaient des achats.

L’un des investissements qui pouvait être bénéfique, c’était cette coopération avec Île-de-France, Nord Pas-de-Calais, parce qu’il y avait de la compétence au niveau des Maliens et des Français. Dans le cadre du jumelage, il y avait beaucoup d’attente au niveau de Kayes qui pouvait être une expérience qui permettrait de booster le développement de la région de Kayes.

Mais par mal gouvernance, ce jumelage est en somnolence. C’est pourquoi il est important de choisir des hommes compétents, capables, soucieux du développement. Mais quand on choisit des hommes qui ne sont pas à hauteur de mission, ça périclite.

L’investissement individuel au niveau de la diaspora est dans le transport aussi. Aujourd’hui, on peut dire qu’on a moins de difficulté à se déplacer d’une zone à autre, grâce à l’achat de véhicules surtout des migrants qui ont beaucoup contribué à développer le transport malgré l’état des routes.

Au niveau de l’énergie solaire, les migrants ont fait beaucoup d’efforts pour avoir la lumière dans les villages à partir de l’énergie solaire. De passage, je tiens à dire qu’on a un potentiel énorme et l’avenir du Mali est dans l’énergie solaire.

Quelles leçons avez-vous à l’endroit des jeunes à propos d’une immigration qui contribue davantage au développement du pays ?

L’immigration a beaucoup apporté à la région de Kayes. N’eût été l’immigration, Kayes aurait connu la rébellion comme au nord, c’est clair, c’est évident ! Il est vrai que dans toute action humaine, il y a le revers de la médaille.

Je l’ai dit plusieurs fois, nous, notre génération de migrants, on appuyait les parents financièrement. Mais la génération actuelle, on compte surtout sur le savoir intellectuel, les compétences techniques pour appuyer les territoires, appuyer le développement de nos pays.

Contrairement à nous, on ne peut pas compter sur leurs ressources, leurs finances. Parce qu’on a cotisé pour aider nos parents car c’était dans notre culture, notre mode communautaire.

Les enfants qui sont nés en France n’ont pas cette culture. Mais ils ont la compétence, l’ingéniosité, le savoir-faire qui peuvent contribuer au développement de notre pays. Pour rappel, l’apport des migrants est plus important que l’aide publique au développement. Kayes doit s’en réjouir, s’en féliciter.

Que conseillez-vous aux autorités actuelles du pays ?

Jusqu’à présent, on est un peu dans le tâtonnement, dans le flou. Vous savez, quand on veut du changement, les mesures, ce n’est pas du tic au tac. On ne peut pas ménager la chèvre et le chou, c’est vraiment difficile.

Notre mode de gouvernance de l’indépendance à nos jours a été catastrophique. L’un des maux au niveau du Mali aujourd’hui c’est la corruption ; mais aussi la délinquance financière, la mauvaise gouvernance, la forte politisation de l’administration.

Que faire alors ?

Je crois qu’on ne peut pas se faire plaisir. On ne peut pas faire du neuf avec du vieux, soit on casse, on essaie de faire du nouveau ou on fait du rafistolage et c’est le petit train-train qui continue. Ce qui est sûr, la dernière chance du Mali est donnée à cette transition. Alors, il faut partir de zéro pour refonder ce pays et avoir une nouvelle mentalité. Il faut que la fibre patriotique soit quelque chose de réel et non un simple slogan.

Entretien réalisé par Abdrahamane Baba Kouyaté (UJRM) de retour de Kayes 

Le titre est de la Rédaction

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