Laurent Gbagbo pourrait bénéficier d’une remise en liberté sans condition, à l’issue d’une audience prévue le 6 février à La Haye. Pour Ahoua Don Mello, son porte-parole, la libération de l’ancien Président ivoirien est un préalable pour mettre fin aux divisions en Côte d’Ivoire. Entretien.
Le 7 octobre 2019, les avocats de Laurent Gbagbo ont demandé que soit ordonnée sa remise en liberté immédiate et sans condition, ce sur quoi la chambre d’appel de la Cour pénale internationale (CPI) doit se prononcer le 6 février.
Lever les restrictions à la liberté de l’ex-Président, en attendant la fin de la procédure devant la CPI, le rendrait libre de tout mouvement, y compris de regagner son pays, la Côte d’Ivoire.
Mais, les avocats de l’État ivoirien ont d’ores et déjà exprimé leur opposition à cette décision éventuelle, estimant le régime de semi-liberté de Laurent Gbagbo, «en l’état de la procédure, sage et équilibré».
Actuellement en liberté conditionnelle à Bruxelles, Laurent Gbagbo, qui fait profil bas, n’a pas fait part d’un quelconque désir de se présenter à la présidentielle d’octobre 2020.Et si plusieurs observateurs, voire des proches, lui prêtent cette ambition, la candidature de l’ancien Président, encore aux prises avec la CPI et condamné à 20 ans de prison à Abidjan, demeure pour l’heure peu probable.
Une chose est certaine, au Front populaire ivoirien, le parti fondé par Laurent Gbagbo, on se met en ordre de bataille en vue de la présidentielle. En témoignent notamment les retrouvailles, début janvier à Bruxelles, entre Laurent Gbagbo et son ancien Premier ministre Pascal Affi Nguessan, après des années de brouille.
Joint par Sputnik, Ahoua Don Mello, ministre de l’Équipement et porte-parole dans le dernier gouvernement de Laurent Gbagbo, en exil depuis la crise postélectorale de 2010-2011, a accepté de commenter la situation sociopolitique en Côte d’Ivoire.
Ce fidèle collaborateur de Laurent Gbagbo est par ailleurs depuis 2017 le conseiller spécial en charge des infrastructures du Président guinéen Alpha Condé.
Sputnik: Malgré son acquittement en janvier 2019, Laurent Gbagbo demeure entre les mains de la CPI. Une situation que vous n’avez de cesse de dénoncer depuis. À votre avis, pourquoi la procédure perdure-t-elle?
Ahoua Don Mello: «Le timing de la procédure épouse les contours du calendrier électoral en Côte d’Ivoire. Éloigner Laurent Gbagbo pour sa grande popularité est davantage un argument politique que juridique. Or, c’est ce qui est avancé pour ne pas rendre la liberté à une personne acquittée après plusieurs années de procès.»
Sputnik: Comme vous, plusieurs centaines de proches ou partisans de Laurent Gbagbo demeurent en exil depuis la fin de la crise postélectorale de 2010-2011 et n’envisagent pas dans l’immédiat un retour au pays. Estimez-vous que le Président Alassane Ouattara a échoué à réconcilier les Ivoiriens?
Ahoua Don Mello: «La bataille que nous menons pour restaurer la démocratie contre un régime liberticide doit donc se mener en interne comme en externe. Ceux qui le peuvent continuent à l’extérieur.
La réconciliation commence par la libération de l’un des protagonistes de la crise ivoirienne, à savoir Laurent Gbagbo qui était face à Ouattara pendant la crise postélectorale. Sa détention hors de la Côte d’Ivoire ne fait qu’accentuer la division et éloigner les deux rives de la réconciliation.»
Sputnik: Depuis 2011, le FPI est en proie à des luttes intestines. Faut-il voir dans la rencontre entre Laurent Gbagbo et Affi Nguessan la fin des dissensions internes qui ont longtemps affecté le fonctionnement du parti?
Ahoua Don Mello: «Le plus difficile est fait. Il s’agit de faire tomber le mur qui sépare Laurent Gbagbo d’Affi Nguessan et donc le mur qui sépare les deux clans. En ouvrant le canal de la communication, tout devient possible et la raison de l’unité prendra le pas sur la logique de la division. La fin des dissensions est proche.»
Sputnik: Que penser du rapprochement amorcé depuis juillet 2019 entre le FPI de Laurent Gbagbo et le PDCI d’Henri Konan Bédié dont, au passage, certains observateurs doutent de la sincérité?Ahoua Don Mello: «La Côte d’Ivoire vit un rétropédalage du processus démocratique et les Ivoiriens sont divisés en deux. Il y a d’un côté ceux qui sont proches de Ouattara et qui possèdent tous les droits, y compris le droit à l’impunité des crimes humains et économiques qu’ils commettent chaque jour. Et de l’autre, ceux qui n’ont plus de droits y compris le droit d’avoir des revenus, le droit d’être électeur ou éligible.
La bataille pour la restauration de l’égalité des citoyens et des libertés démocratiques concerne donc le FPI comme le PDCI. Les deux formations politiques ont tout intérêt à être ensemble pour restaurer les droits et libertés démocratiques. C’est donc un rapprochement de raison.»
Sputnik: Quel regard portez-vous sur la situation sociopolitique qui prévaut en Côte d’Ivoire, notamment sur le conflit ouvert entre Alassane Ouattara et son désormais ex-allié Guillaume Soro?
Ahoua Don Mello: «C’est une guerre d’héritage entre les chefs de la rébellion. Cela contribue à l’inversion des rapports de forces entre le camp des exclus du régime et le camp du régime liberticide qui dirige la Côte d’Ivoire.»
Sputnik: Doit-on craindre, à la faveur de la présidentielle de 2020, une crise majeure en Côte d’Ivoire comme celle qui a éclaté à l’issue de la présidentielle de 2010 ?
Ahoua Don Mello: «L’élection de 2020 sera le temple de tous les dangers, s’il n’y pas de réconciliation et des conditions d’élections justes et transparentes.»