« Plutôt que de rester en France pour émerger au SMIC ou au RSA, ce qui n’est pas en soi dévalorisant, certaines personnes gagneraient à retourner travailler dans le secteur agricole au Mali, qui reste un secteur porteur ».
C’est en marge de la 49ème édition du salon international de l’Agriculture de Paris (SIAL) que nous avons rencontré M. Abdoulaye Touré, coordinateur général du PAPAM (Projet d’Accroissement de la Productivité Agricole au Mali). L’entretien qu’il l’a accordé à Reflets Magazine a porté sur les problématiques agricoles et d’élevage au Mali et sur le rôle de la structure qu’il dirige. Découvrez son intégralité.
Originaire de la région de Kayes, au Mali MR Abdoulaye Touré est un homme de terrain qui a gravi les échelons au sein des structures en charge de la gestion du secteur agropastoral au Mali. Après des études d’agronomie, en 1978 il travaille dans l’arrondissement de Sofara, région de Mopti qui est la 5ème région administrative du Mali. L’ingénieur agronome de formation a occupé les fonctions de conseiller technique au Ministère de l’Agriculture en 1996, puis a été nommé secrétaire général du Ministère des zones arides et semi arides avec un rôle de vice- ministre avant d’être recruté dans le cabinet du Président de la République du Mali en 2001. Il a occupé le poste de Coordinateur du PASAOP (Programme D’Appui aux Services Agricoles et aux Organisations Paysannes) qu’il a dirigé jusqu’en 2009. Depuis 2009 à ce jour, il occupe les fonctions de coordinateur général du projet PAPAM, qu’il connait bien pour avoir activement participé à sa naissance.
R :Pouvez- nous parler des dernières évolutions observées dans la politique agricole en vigueur au Mali ?
Monsieur Touré : Le PAPAM est un programme phare qui a démarré en 2010 et qui a fait l’objet d’un accord relatif au crédit d’investissement sectoriel avec le financement des partenaires que sont : la banque mondiale qui nous accompagne avec un prêt de 70 millions de dollars, le fonds Mondial pour l’environnement avec 6,2 millions dollars et le FIDA (Fond de Développement Agricole) avec 32 millions de dollars. Nous bénéficions également d’une subvention de l’Union Européenne qui s’élève à 20 millions de dollars. Tous ces apports financiers font du PAPAM un programme important qui pèse environ 60 millions de dollars soit près de 80 milliards de CFA. Le programme va s’étendre sur six ans. Il a été conçu à la suite de deux précédents programmes : le PASAOP et le programme d’infrastructures rurales que le Mali avait mis en place toujours avec l’aide de nos partenaires. Dans le cadre du PAPA, on a eu la volonté de regrouper ces deux entités pour qu’il n’y ait pas des infrastructures d’un côté et de développement humain de l’autre. Tout cela est déployé dans le bassin versant du fleuve Niger qui est une région à fort potentiel, d’environ 1 milliard d’hectares qu’on peut utiliser de manière gravitaire. Dans le cadre de ce programme nous avons commencé à travailler sur 2 200 hectares, les travaux viennent d’être lancés. La PAPAM regroupe 300 personnes et nous mettons l’accent sur les nouvelles technologies de développement agricole. Ce programme est sectionné en trois composantes
1-L’innovation et les technologies, donc la recherche agricole : le transfert de technologie va permettre aux petits producteurs de profiter des avancées technologiques afin d’améliorer leur productivité
2-L’irrigation : nous sommes un pays sahélien et à ce titre avec l’appui du FIDA, nous réalisions de petits aménagements pour la sécurité des zones agricoles par l’irrigation pour assurer les récoltes des paysans.
3-L’environnement GDTE.
En matière de politique agricole au sens large, le Mali est un pays exportateur de coton, et pour les prochaines années, les challenges que nous nous sommes fixés, c’est de transfrtière première. C’est avec cet état d’esprit que nous sommes venus participer au salon de l’agriculture, nous y avons apporté des produits de première transformation.
Dans le cadre du PAPAM le mot d’ordre qui nous a été donné c’est de moderniser les exploitations agricoles par la mécanisation et la transformation et l’accès au marché, l’amélioration des itinéraires techniques, mais aussi la mise en relation des banques locales avec les producteurs pour les accompagner dans le financement d’une partie de leurs projets de développement.
R : Dans quelle situation la politique agricole maliennes se trouvait-elle avant la mise en place du PAPAM et quels sont les facteurs qui ont motivé son lancement ?
Monsieur Touré : Notre politique agricole est fortement influencée par le climat, de ce fait le premier axe de développement est basé sur la maîtrise de l’eau (l’aménagement hydro agricole). Le 2ème axe, résorber le sous équipement des agriculteurs, est aussi l’un des domaines sur lesquels nous avions précédemment travaillé. Les deux premiers projets précédemment évoqués ont travaillé sur ce problème. En ce qui concerne l’Office du Niger, depuis les indépendances, nous n’ avons même pas exploité 100 mille hectares, il y’a donc un vrai potentiel aménageable et exploitable estimé à 1000.000 ha.
L’autre question qui nous préoccupe, c’est l’organisation du monde rural, avec pour objectif de leur imprimer un fonctionnement démocratique et dynamique. Il faut faire sortir les agriculteurs et les éleveurs de l’isolement. C’est pourquoi sur le salon, nous avons emmené les producteurs de coton qui ont vu l’intérêt suscité par leurs produits et ils ont pris conscience de l’impact de leur production à l’extérieur. En ce qui concerne l’élevage, nous sommes le pays qui a le plus grand cheptel de la sous région, notre bétail est estimé à environ 14 millions de bovins, mais chaque année, nous importons l’équivalent de 15 à 20 milliards de F CFA en produits laitiers. C’est un paradoxe que d’avoir un aussi grand cheptel et d’être un gros importateur.
R : En dehors de l’intérêt pour les producteurs d’avoir une visibilité sur le marché international quel est pour vous l’intérêt d’être présent au Salon de l’Agriculture.
Monsieur Touré : Depuis 2007, nous avons un stand Mali. Nous y étions présents en ordre dispersé, chacun venait dans le cadre d’échange d’expériences individuelles, donc sans aucune coordination depuis le pays. Des dizaines de personnes venaient sur le salon, on venait juste s’enquérir de ce que faisaient les autres. La nouvelle politique c’est de dire que sur le stand du Mali on rentre dans la logique d’échanges en venant nous aussi proposer nos produits. Le f ait de voir les animaux performants des élevages Européens et le niveau de production de lait par jour, cela pousse à l’admiration et au questionnement. Comment font-ils pour en arriver là ?
On se remet en question et on a envie de faire comme les autres. J’ai emmené avec moi un éleveur qui a 1500 têtes de bœufs, mais qui ne produit même pas 100 litres de lait par jour. Au contact des autres, il s’est dit qu’il fait de l’élevage de prestige. Il se propose avec ses 1500 têtes de produire de la bonne viande et atteindre plus de 1000 litres de lait par jour.
Il faut que les gens rentrent dans une logique de production.
Ceux qui viennent sur le salon, s’ils se positionnent en leaders d’opinion, en changeant de comportement, cela aura un effet d’entrainement sur les autres éleveurs avec un fort impact sur leurs habitudes de production et d’exploitation.
La présence des produits transformés apporte une vraie valeur ajoutée à ce que nous avons présenté. Au Mali nous produisons plus de 15 mille tonnes de beurre de karité par an, la présence sur le salon de ces produits naturels et de très bonne qualité apporte un plus. Il faut être régulier dans cette vision pour intéresser et fidéliser les consommateurs du Nord en réduisant au minimum les intermédiaires. En ce qui concerne le coton par exemple, nous ne sommes qu’à 2% de transformation, le reste est vendu à l’état brut à l’extérieur. En venant sur le salon en discutant avec les autres on s’informe sur leur travail et essayons de capter les opportunités d’investissement et d’échange.
La transformation de première main donne non seulement de la valeur ajoutée, mais elle crée de l’activité sur place et de nouveaux métiers ? Pour revenir au beurre de karité, nous constatons que le produit vendu brut aux industriels français lorsqu’il revient au Mali transformé et conditionné sous forme de produits cosmétiques, il coûte très cher. Le cacao est un autre exemple, il est produit chez nous, mais transformé en occident pour revenir sous forme de chocolat très cher
La transformation de première main donne non seulement de la valeur ajoutée, mais elle crée de l’activité sur place et de nouveaux métiers
R : Lorsqu’on voit des documents sur le Mali on nous présente le travail artisanal de dames qui transforment le coton elles mêmes, le façonnent et créent des tissus, quelle proportion cela représente dans la filière ?
Monsieur Touré : Cette transformation est incluse dans les 2%évoqué, mais il s’agit d’un travail très distingué. Ce travail artisanal est reconnu et apprécié à sa juste valeur. Les tissus sont bien mis en valeur dans l’habillement et la décoration. Les ministres de l’artisanat et de la culture s’appuient beaucoup sur ces créneaux pour vendre l’image de notre pays et cela est très appréciable.
R : En dehors des cotonniers et des éleveurs quels sont les autres profits présents sur le salon ?
Monsieur Touré : Nous avons des producteurs de mangues, le Mali exportait environ 8 à 10 mille tonnes de mangues par an ce qui ne représente même pas 10% de notre production. Les mangues sont vendues à 25- 50 F cfa au Mali tandis qu’ici elles coutent environ 3 euros, le fait de les vendre à ce prix là nous- mêmes sur le salon c’est vraiment un plus et cela permet aux producteurs de valoriser leur travail. Nous avons également des transformateurs qui ont présenté et vendu des jus de fruits locaux, du beurre de karité, du savon etc,
Le stand est bien garni et cela est un bon indicateur non seulement de la qualité, mais aussi de la variété de notre production.
R : Quelle est la première culture au Mali ?
Monsieur Touré : Le riz est la première culture vivrière du Mali. Il s’agit d’un riz de très haute qualité, malheureusement inaccessible aux Maliens moyens. C’est du riz de luxe notamment la variété Gambiaka qui vient du bassin du Niger. Il coûte plus cher que le riz importé des pays asiatiques
R : Cette inaccessibilité du riz local n’est- ce pas là une anomalie ?
Monsieur Touré : Bien sûr que si. Le choix de faire un riz de luxe ne vient pas des pouvoirs publics, la qualité et la réputation se sont imposées au marché. Les pouvoirs publics ne pouvant pas consentir à voir les populations avoir faim, ont fait de leur mieux en détaxant le riz importé pour le rendre accessible.
R : Y’a-t-il d’autres structures identiques au PAPAM présentes sur ce salon ?
Monsieur Touré : Nous avons le salon de l’Office du Niger représenté par son président Directeur Général, ceci pour deux raisons d’abord pour attirer des investissements potentiels, mais encore pour attirer la diaspora malienne vers les métiers de l’agriculture au Mali. Il y’a de la place et de l’eau pour faciliter le travail agricole. Plutôt que de rester en France pour émarger au SMIC ou au RSA, ce qui n’est pas en soi dévalorisant, certaines personnes gagneraient à retourner travailler dans le secteur agricole au Mali, qui reste un secteur porteur. Il fau donc leur donner la bonne information. Lorsque nous avons organisé la journée du Mali, la salle était comble en présence du ministre de l’Agriculture et de l’ambassadeur du Mali, ainsi que le PDG de l’Office du Niger, nous avons constaté que les gens étaient très intéressés par les informations fournies pour qu’ils puissent projeter un retour au pays. Cela nous paraît un axe assez important. Le salon de l’agriculture de Paris est un salon international, à mon avis il ne faut pas être absent. Lorsque nous sommes venus la première fois en 2007, nous avons eu la visite des enfants Maliens nés en France, voir le drapeau du Mali sur le stand les a incités à ramener toute leur classe, histoire de montrer aux autres qu’eux aussi viennent de quelque part ? Cette image m’est restée.
R : Le Mali occupe-t-il une place de choix dans le bassin du Niger ?
Monsieur Touré : En matière d’agriculture et d’élevage oui. Sur le coton nous sommes les premiers, de temps en temps talonnés par le Burkina Faso et la Mauritanie. En céréales sèches nous approvisionnons des pays structurellement déficitaires comme la Mauritanie ou le Niger. Les Sénégalais principalement l’élite Sénégalais consomme du riz malien.
Nous produisons aussi du mil du mais et du sorgho (…) culture marginale, elle est surtout cultivée dans la région frontalière du Sénégal.
R Quels sont les moyens mis en place pour protéger le savoir-faire malien ?
AT : Il existe une agence de gestion de la propriété intellectuelle .Le pays a également légiféré sur la bio technologie .Les réflexions sont en cours pour sécuriser la particularité de nos produits.
R : Quels sont les moyens mis en place sur le terrain pour accompagner les paysans ?
AT: La responsabilisation des organisations paysannes a permis de mieux coordonner les actions des agriculteurs et des éleveurs. Dans le cadre du PAPAM cette responsabilisation s’est accrue avec la délégation de la gestion d’une composante du programme. La chambre de l’agriculture gère tout ce qui a attrait à l’appui au monde agricole rural, et organise l’action et l’activité en fonction des besoins réels sur terrain. Il n’achète que les services utiles et ne finance que des travaux de recherche qui vont réellement aider à résoudre un problème . Il s’agit d’une gestion directe qui permet de les responsabiliser.
Pour renforcer notre expertise, surtout en matière d’élevage des étudiants sont orientés en fonction des besoins du terrain, nous avons des vétérinaires en formation car c’est là où nous avons un déficit (…) Bien que nous ayons un cheptel important si nous voulons exporter notre viande la première question qui nous sera posée concernera la fiabilité de nos produits. Pour répondre à cela, des vétérinaires doivent être formés pour ne pas subir les arbitrages d’experts étrangers. Plutôt que de faire venir de l’expertise extérieure qui nous coûte chère et qui n’est pas toujours pertinente, autant former des jeunes maliens qui sauront y faire face.
R : Les Maliens consomment -ils fortement les produits locaux ?
AT : Oui ,tout ce que nous produisons est consommé par les maliens.
R :Qu’en est -il des produits halieutiques ?
AT :Nous avons du poisson d’eau douce au Mali issu de la pèche traditionnelle, nous produisons 100 mille tonnes de poissons par an pour 15 millions d’habitants ,c’est encore peu mais en progression. Nous pratiquons de plus en plus de la pisciculture. Nous consommons aussi du poison de la mer en provenance de Dakar ou de Nouakchott.
Le mot de la fin :
Je vous remercie pour l’intérêt porté à notre programme et à la politique agricole malienne en général et c’est avec plaisir que j’ai rencontré l’équipe de Reflets Magazine.
Source : (Reflets Magazine)