22 Septembre : Nous avons fêté le Cinquantenaire à l’Office du Niger, en présence de tous vos prédécesseurs. En tout cas, avec tous ceux qui vivent encore. Comment doit-on comprendre cela?
Kassoum Denon: De mon point de vue, on ne peut rien construire sans l’entente. L’Office du Niger était arrivé à un niveau tel qu’il fallait obligatoirement créer un climat de cohésion entre tous les travailleurs. Nouveaux comme anciens. Je reconnais que j’ai succédé à de hauts cadres de l’Etat, qui ont fait des efforts énormes pour l’Office et pour notre pays. Il fallait donc, pour fêter le Cinquantenaire, leur faire appel. Eux, qui sont mes aînés, sont les mieux placés pour faire le bilan avec moi, pour me montrer l’orientation à prendre, le chemin à choisir, pour que l’Office reste, à jamais, le fleuron de la production rizicole malienne. Dès que je suis arrivé à la direction, en mars, j’ai réuni mes collègues pour penser comment fêter ce Cinquantenaire. Nous avons décidé que le côté festif ne dominerait pas. Pour cela, nous avons aussi jugé nécessaire de faire appel aux historiens, pour qu’ils nous disent, pour qu’ils révèlent à la jeune génération ce qu’était l’Office, bien avant l’accession du Mali à la souveraineté internationale.
Vous avez remarqué dans la salle de conférences, à Markala, qu’il y avait beaucoup de personnes qui ont joué un rôle important dans la vie de cette structure. Je crois qu’avec les acquis qu’ils ont laissés, qu’ils nous ont légués, nous pouvons continuer à travailler, à mettre en œuvre notre vision et notre perspective de développement.
Justement, depuis votre arrivée à la direction, vous avez entamé un vaste chantier pour relooker l’Office du Niger. Où en est-on actuellement?
Vous le savez comme moi, l’administration, c’est une succession. C’est aussi une continuité. Mais les visions ne sont pas toujours les mêmes. Quand nous sommes arrivés, en tant que PDG j’ai reçu une lettre de mission avec des objectifs très clairs. Cependant, je me suis rapidement rendu compte que la réalité sur le terrain était tout autre. Il fallait donc adopter une autre stratégie pour soigner l’organisation interne de l’Office. Nous avons commencé par la gouvernance, sans laquelle rien ne peut marcher. L’homme étant au début et à la fin de tout le processus, nous avons œuvré pour créer un cadre convivial entre les travailleurs de l’Office, les producteurs, les syndicats et les partenaires techniques et financiers.
Cette tâche achevée, je pouvais passer aux missions qu’on m’avait confiées: accroître les aménagements, résoudre le problème d’eau, lutter contre les plantes aquatiques nuisibles et la réhabilitation de certains canaux.
Un autre point que je tiens à souligner est la création de cinq directions au lieu de deux. J’ai constaté qu’on avait donné beaucoup de baux et de lettres d’attributions. C’est pourquoi j’ai créé une direction qui s’occupe uniquement du foncier. Pour accélérer les aménagements, il faut connaître le potentiel de terres dont nous disposons. Le problème d’eau était toujours posé et l’on devait en trouver une solution. On a même voulu limiter le Mali dans ses ambitions d’aménagement, en affirmant que nous n’avions pas suffisamment d’eau. Ceux qui le disaient oubliaient certainement que le barrage de Markala a été conçu pour irriguer plus d’un million de terres aménageables en haute saison. La culture de contre-saison a tout juste débuté en 1986. J’ai donc mis en place une direction qui contrôlera la gestion de l’eau. Sans oublier le Conseil rural, qui est une entité importante de l’Office du Niger. Nous en avons besoin aujourd’hui. Mais il faut reconnaître que ceux qui nous aident n’ont pas la même façon de voir les choses que nous. En tant que professionnel de l’agriculture, je me base surtout sur la vulgarisation agricole. Je suis aussi convaincu que, sans elle, on ne peut accroître nos rendements. On ne peut aucunement produire suffisamment. Il ne faut pas se le cacher: le paysan cultive, mais il ne connaît pas l’agriculture. Le producteur doit être bien encadré pour qu’il connaisse les nouvelles variétés et les nouveaux engrais. Cette composante est aujourd’hui gérée par une direction chargée de la vulgarisation.
En arrivant ici, j’ai aussi constaté qu’il y avait plus de 3 500 organisations paysannes. On ne peut pas travailler dans ces conditions. J’ai nommé des hommes et des femmes qui s’occuperont désormais de regrouper tout ce beau monde, afin qu’il y ait un travail en synergie.
La direction de la planification et du suivi, la quatrième, se chargera de contrôler les données et les prévisions faites sur tout travail de l’Office. La direction administrative reste en place, avec, tout de même, un léger lifting. Aujourd’hui, tout ce changement a produit ses effets. Le cadre et le producteur ne se regardent plus en chien de faïence et nous avons de très bonnes relations avec les partenaires techniques et financiers grâce au remarquable travail de notre ministre. Le taux de réalisation, au moment où je vous parle, est de 95%, alors que l’année dernière à la même période, il n’était que de 67%. Les plantes aquatiques nuisibles sont quasiment enlevées, avec la méthode HIMO (Haute intensité de main d’œuvre) de l’APEJ.
Il y a quelques mois, les 100 000 ha d’Alou Tomota ont suscité des réactions négatives de la part de certains producteurs et habitants de l’Office du Niger. Qu’en est-il exactement?
Le bail d’Alou Tomota n’est pas encore signé. Je ne signe pas les baux n’importe comment. Il est dans le Kareri et ses dossiers sont à l’étude à la Direction des aménagements. Ce que tous le Maliens doivent comprendre, c’est que quand on vous donne des hectares, il faut faire une série d’études avant de commencer l’exploitation. S’il fait des choses sur le terrain, c’est en essai. Je suis formel, je n’ai pas signé de bail pour Alou Tomota, pour le moment.
Et GDCM…
Je suis au regret de vous dire que beaucoup a été dit sur cette affaire, mais que rares sont ceux qui sont venus me demander ce qui s’est réellement passé. Modibo Kéïta a reçu une lettre d’intention depuis 2007. Ce n’est pas là le problème. Je dois reconnaître que le projet de Modibo est noble et ambitieux. Il cultivera du blé, du riz, il fera de l’élevage… C’est au départ qu’il y a eu un couac. Après la lettre d’intention, il a fait le bornage et les paysans se sont révoltés. Déjà, avec mon prédécesseur, il y a eu toutes sortes de réunions et de pourparlers. Sans solution. Je suis, moi-même, allé sur le terrain pour rencontrer les autochtones. Le projet de GDCM a même construit une route qui mène au village, il a construit un centre de santé. Nous avons même voulu débourser plus de 300 millions pour délocaliser le village. A un moment, les villageois étaient d’accord. Mais nous avons l’impression que ce sont les ressortissants vivant à Bamako qui tirent les ficelles de cette révolte. Les paysans sont allés jusqu’à vouloir porter la main sur le Préfet. Il faut que les choses soient claires. Les terres de l’Office appartiennent à l’Etat. S’il faut que l’administration sévisse, elle le fera. A tous ceux qui ne croient pas à la volonté de l’Etat de développer ce pays, nous leur disons que le projet sera lancé le 30 octobre, Incha Allah.
S’agissant de la nouvelle sucrerie…
Je tiens à souligner qu’il y a deux sociétés, N Sukala et Sosumar. Et que c’est Sosumar qui défraie actuellement la chronique. C’est une entreprise qui comprend deux parties: l’une agricole et l’autre sucrière. Je me suis rendu à Tunis, en compagnie des ministres de l’Industrie et de l’Economie, afin de convaincre les bailleurs de fonds d’adhérer au projet. Les partenaires ont manifesté leur intérêt pour accompagner notre pays dans sa mise en œuvre. Le financement pour la partie sucrerie est pratiquement bouclé. Le volet agricole attend encore quelques bailleurs, qui ne tarderont pas, j’en suis convaincu, à se manifester.
Paul Mben