Dans le cadre de la célébration de la Journée internationale des femmes, le 8 mars, la rédaction du journal Mali Tribune a rencontré Kadidiatou Coulibaly dite Katoucha, secrétaire générale adjointe de l’Union malienne des associations et comités des femmes handicapées (UMAPH). Elle nous parle de la célébration de la journée par les femmes vivant avec un handicap ainsi que les difficultés majeures auxquelles elles sont confrontées dans leur vie quotidienne.
Mali Tribune : Pouvez-vous nous parler de l’UMAPH ?
Kadidiatou Coulibaly : L’UMAPH est une union composée de plusieurs associations et comités de femmes vivant avec un handicap. Les organisations membres de la Fédération malienne des associations des personnes handicapées physiques (Femaph) sont au nombre de 19 associations. Et toutes ces associations ont en leur sein un comité de femmes. Et c’est ce comité de femmes qui compose l’UMAPH, plus d’autres organisations féminines, mais uniquement des femmes vivant avec un handicap.
Mali Tribune : Que pensez-vous du 8 mars ?
K. C. : Le 8 mars est la Journée internationale de la promotion des droits des femmes. Je dirais ça ainsi parce que certaines femmes ne comprennent même pas cela. Elles pensent peut-être que porter la tenue du 8 mars seulement et faire la fête, c’est ça le sens du 8 mars alors que ça n’a rien à voir. Le 8 mars c’est vraiment un jour spécial pour nous les femmes, un jour où nous devons réclamer nos droits, l’autonomisation des femmes, le leadership féminin, l’épanouissement des femmes… Donc le 8 mars c’est vraiment la promotion des droits des femmes.
Mali Tribune : Comment vous célébrez cette fête ? Etes-vous prise en compte ici au Mali dans la célébration de cette fête ?
K. C. : Oui, je peux dire que maintenant, avec le changement des mentalités, surtout avec la venue des autorités de la Transition. Sincèrement, depuis leur arrivée, les personnes vivant avec un handicap sont considérées dans la prise des décisions. La preuve est qu’il y a déjà quatre de nos frères et sœurs au Conseil national de transition (CNT).
Et du coup, la célébration se fait le 8, le jour J, mais nous les femmes vivant avec un handicap, nous avons choisi un autre jour, qui est le 9 mars. Et chaque année, l’UMAPH célèbre la journée à sa manière. Nous invitons toutes les autorités de ce pays et beaucoup sont présentes durant cette activité et nous la célébrons en tant que femmes, en tant que femmes vivant avec un handicap. Bien que nous mettions en avant notre spécificité qui est le handicap, il s’agit de démontrer aussi au monde entier que nous sommes des femmes et que nous réclamons nos droits, l’autonomisation des femmes, le leadership féminin, l’épanouissement des femmes. Tout y est. Donc le 8 mars, c’est réellement la promotion des droits des femmes.
Mali Tribune : Pouvez-vous nous dire quelles sont les activités phares que vous menez lors de cette célébration ?
K. C. : C’est vrai que d’abord depuis 8 ans, on le célèbre ensemble parce que nous sommes invitées comme toutes les autres femmes. Et généralement nous sommes toujours présentes. Mais à notre manière aussi, à travers l’art surtout. Parce qu’il y a des artistes vivant avec un handicap qui ne sont pas du tout connus. Ces artistes sont invités pour qu’à travers les chants, les danses, les sketchs et la poésie, ils expriment également ce que nous ressentons et surtout ce que nous vivons en tant que femmes vivant avec un handicap. Et là aussi, comme je l’ai dit à travers l’art, à travers les discours qui sont vraiment innovants. Ces messages sont bien exposés en langue française comme en langue bamanakan.
Mali Tribune : Quelles sont les difficultés auxquelles vous, femmes vivant avec handicaps, faites face ?
K. C. : Toutes les femmes vivant avec un handicap traversent des difficultés majeures. Parce qu’être femme, c’est déjà un problème dans notre pays. Et avoir encore un handicap, on peut dire souvent que c’est deux choses très difficiles. Donc, nous traversons des problèmes, des difficultés très, très sérieuses. Mais bon, ce n’est pas facile, comme on a l’habitude de le dire. Mais c’est nous-mêmes qui devons vraiment être fortes.
Si les autres doivent faire une chose pour arriver là où elles veulent, nous les autres femmes vivant avec un handicap, devons déployer au moins deux ou trois jusqu’à dix efforts pour y arriver. Donc, c’est un combat de tous les jours. Nous subissons surtout des violences. Quand on parle de VBG, les femmes vivant avec un handicap sont les plus marginalisées dans la société, au sein de leur foyer si elles ont la chance d’être mariées.
Dans la communauté ou même au sein de leur propre famille, nous sommes souvent discriminées, marginalisées à cause de notre handicap. Donc, ce sont des problèmes quotidiens que nous traversons. Nous subissons toutes sortes de violences. Que ce soit verbale ou physique, mais surtout verbales parce que déjà on nous dénigre avec notre handicap et là c’est une violence verbale que les gens entendent à longueur de journée.
Toujours avec les violences, les femmes vivant avec handicap sont battues même par leurs propres maris, frères et sœurs. Elles sont aussi souvent victimes de viols. Ce sont des difficultés majeures que nous rencontrons à longueur de journée en plus de cela celles qui ont eu également la chance d’avoir du travail, souvent elles subissent des violences et sont souvent même exclues au sein de leur service à cause de leur handicap.
Mali Tribune : Que faut-il, à votre avis, pour réduire les difficultés auxquelles vous êtes confrontées ?
K. C. : Je dirais aux femmes d’abord, surtout les femmes vivant avec un handicap, d’avoir l’estime de soi, d’avoir confiance en elles. C’est deux choses très importantes chez l’être humain en tant que tel, a fortiori chez nous les femmes vivant avec un handicap. Comme je l’ai si bien dit, être femme c’est difficile, vivre avec un handicap c’est pire. Et avec tout ça, s’il faut que nous-mêmes nous arrêtions d’être introverties, on risque de souffrir. Il faut que nous ayons confiance en nous. Et après la confiance en soi, que nous cherchons à faire des formations, chercher, même s’il faut s’auto-former, pourquoi pas.
Connaître l’actualité, s’intéresser à tout ce qui se passe dans ce pays. Il y a des personnalités, des organisations qui sont là pour nous. Il y a les autorités aussi qui se battent pour nous. Mais, en réalité, souvent, quand tu ne demandes rien, c’est que tu es consentant. Donc il faut parler, il faut exprimer ce que nous avons sur le cœur. Il ne faut pas se sous-estimer. Si tu n’as pas ces deux choses-là, ce serait très difficile. Il est important de hausser la voix, de demander, de réclamer surtout ses droits.
À ceux et celles qui nous dénigrent et nous marginalisent, je leur dis que nous sommes tous potentiellement handicapés. On peut devenir handicapé à tout moment. On voit qu’il y a des accidents atroces qui se produisent. Nous voyons également des maladies handicapantes. Du coup, il faut mettre en tête qu’on peut être handicapé à tout moment. Et aussi de ne pas regarder uniquement le handicap chez une personne. Parce que c’est ça aussi le problème. Quand on voit une personne vivant avec un handicap, c’est le handicap que nous mettons en avant. Alors que la personne est un être humain d’abord. Donc il faut regarder, voir l’être humain avant de voir le handicap. Et en ce moment-là, on va comprendre beaucoup de choses.
Nous ne sommes pas des personnes à part. Nous avons tous les mêmes droits. Il n’y a pas de droits spécifiques pour les personnes vivant avec un handicap. Non, les droits sont les mêmes. Et nous sommes tous des êtres humains. Et quand on pense aussi qu’on peut devenir une personne vivant avec un handicap à tout moment, je pense qu’il y a beaucoup de pratiques qui vont s’arrêter.
Propos recueillis par
Siguéta Salimata Dembélé
(stagiaire)