Pouvez-vous nous parler des Maliens des USA ?
Kadiatou Traoré : Il y a environ 35 000 Maliennes et Maliens ici. La majeure partie se trouve à New York. Les autres vivent principalement à Philadelphie en Pennsylvanie, entre New York et Washington D.C., et à Atlanta en Géorgie, dans le sud, près de la Floride. Les Africains qui arrivent par avion, directement aux USA, ont un visa. Personne ne peut faire autrement. Ici, il y a beaucoup d’étudiants maliens. Leur visa est spécifique. Avant tout, ils doivent maîtriser l’anglais, et réussir des tests de langue. À la fin de leurs études, ils devraient retourner au pays, mais beaucoup ne le font pas. Les Maliens qui viennent pour une «vie meilleure» n’ont souvent qu’un simple visa de touriste, puis ils restent. Autrefois, un numéro d’identification était donné avec chaque visa. Avec ce numéro, on pouvait se débrouiller pour travailler. Le premier groupe de Maliens est venu à la fin des années 70, mais c’est après 1990 que le grand flux est arrivé. À cette époque-là, c’était assez facile. Par exemple, les femmes ouvraient des salons de coiffure et gagnaient beaucoup d’argent car les Afro-américaines adorent se tresser. Mais maintenant, à cause de la crise économique, les Afro-américaines consacrent beaucoup moins d’argent à leurs cheveux, et ces salons rencontrent de grandes difficultés. Le taux de chômage est élevé, donc ce n’est facile pour personne. Les employeurs sont pénalisés s’ils font travailler des immigrés illégaux. Quand on vit aux USA sans papiers, c’est très difficile d’être régularisé, mais si on respecte la loi, on est tranquille.
Les Maliens s’intègrent-ils facilement à la société américaine ?
Nous sommes francophones, et la barrière linguistique est notre grand problème. J’en suis la preuve. Mon mari avait travaillé au Mali pour USAID (United States Agency for International Développent) pendant 25 ans. Cela lui a permis de venir vivre aux USA et demander la nationalité américaine pour lui-même et toute sa famille. Quand nous sommes arrivés ici, les choses ont été extrêmement difficiles pour moi car je ne parlais pas anglais. Vous savez, quand on vient dans un pays pour y vivre, il faut s’intégrer, et pour ça, il faut travailler. Aux USA, il y a beaucoup de possibilités, plein de petits boulots, mais il faut savoir communiquer. Moi, je n’en étais pas capable, à cause de la langue. Au bout de 3 mois, je n’en pouvais plus. Je suis retournée seule au Mali. En 2006, après 3 ans d’aller-retour, je me suis décidée à retourner vivre auprès de mes enfants et mon mari et à apprendre l’anglais. Pour ça, je me suis inscrite dans un «community college». Ensuite, j’ai continué à étudier à l’université, et j’ai réussi un master en 2011. Je suis très fière d’avoir relevé ce défi. Quand j’ai eu l’occasion de travailler à la Voix de l’Amérique, cela m’a donné une indépendance financière et surtout une possibilité de m’insérer réellement dans la société.
Depuis le 9 août, jour de l’assassinat du jeune Michael Brown, à Ferguson, dans le Missouri, on reparle beaucoup du racisme subi par les Afro-américains. Les Africains en sont-ils victimes aussi ?
Nous ne sommes pas à l’abri, car nous avons la peau noire. Constitutionnellement, le racisme est strictement illégal et sévèrement puni, mais on se méfie beaucoup. En 1999, à New York, un jeune homme d’origine guinéenne a été tué par des policiers blancs. La «bavure policière» était incontestable, mais les policiers furent acquittés. En général, les Africains francophones font très attention à respecter la loi. Sur le continent, les gens ignorent souvent qu’ici, les relations entre les immigrés africains et les Afro-américains peuvent être très compliquées. Nous avons la même couleur de peau qu’eux, mais ils nous reconnaissent à cause de notre accent. Ils peuvent être arrogants avec nous car certains prétendent encore que nous avons vendu leurs ancêtres. Nous n’avons pas la même Histoire ! Ce qu’il faut savoir, c’est que la société américaine est structurée en communautés. Tous les gens se fréquentent selon leur appartenance culturelle et leur spécificité religieuse. Même les chrétiens vivent en sous-groupes. Les Maliens en font autant. C’est très particulier, mais ça donne assez de liberté. Il faut reconnaître que depuis les attentats du 11 septembre contre les tours de New York, c’est un peu délicat pour les musulmans, qu’ils soient Afro-américains ou immigrés. Comme beaucoup d’Occidentaux, les Américains confondent Islam et terrorisme. Ils ne peuvent pas agir ouvertement, sinon on peut porter plainte car la constitution protège la liberté de culte. Vous savez, ici, personne n’a le droit d’empêcher le port du voile dans les lieux publics, au bureau ou dans les écoles, nulle part. Le rejet de l’Islam est donc camouflé, mais il existe.
Début août, le président IBK était à Washington pour le Sommet US-Afrique. La diaspora malienne l’a rencontré, n’est-ce pas ?
C’était prévu. Les gens, venus d’autres villes, avaient pris l’avion pour ça, car les distances sont immenses ici. Ils voulaient échanger avec le président sur tout ce qui s’était passé depuis son élection, sur l’avion, sur le gel des fonds par la BM et le FMI, sur Kidal. Mais, le jour de la rencontre, il a été annoncé qu’il allait devoir repartir très vite, et qu’il n’y aurait pas de temps pour les questions. Les gens n’étaient pas contents, car ils avaient nourri l’espoir d’entendre le chef de l’Etat, lui-même, expliquer certaines choses. Il leur a très peu parlé. Annuler le temps des questions a été une maladresse. En démocratie, ceux qui soutiennent leur pays d’origine ont droit à ce temps d’échange. Cela a été une grande déception.
Juste avant le Sommet, la journée du 28 juillet a été consacrée aux Young African Leaders Initiative (YALI). Parlez-nous des jeunes Maliennes et Maliens qui avaient été sélectionnés ?
Les pays africains anglophones se sont taillé la part du lion. Par exemple, il y a eu 58 jeunes du Nigéria, 48 du Libéria, 48 du Kenya. Sur les 500 jeunes venus de toute l’Afrique, ils n’étaient que six du Mali. Trois filles, Dalada Bally, Bernadette-Mah Ippet, Aminata Sidibé Maïga, et trois garçons, Mahamodou Camara, Adama Kouyaté, Mohamed Diakité. Pour être sélectionné par le YALI, il faut participer au concours organisé par le centre culturel américain de l’ambassade des USA au pays. Les qualités de base exigées sont la maîtrise de l’anglais et le leadership. Les lauréats bénéficient ensuite d’une formation de 6 semaines dans une université américaine avant de converger sur Washington D.C. pour rencontrer le Président OBAMA et les leaders américains. Nos 6 jeunes lauréats maliens ont pour mission d’apporter beaucoup à leur pays. C’est ce que leur a dit le président. Je les ai reçus tous les 6 ici, à La Voix de l’Amérique. Ils m’ont dit qu’ils voulaient transmettre ce qu’ils avaient appris lors du programme YALI. L’ambassade des USA au Mali les y accompagnera. Il faudrait aussi que l’Etat malien s’appuie sur leurs jeunes compétences pour reconstruire le pays.
Est-ce que vous avez quelques mots pour conclure cet entretien ?
Je rends grâce au Bon Dieu. Je rends un hommage vibrant à mes parents, particulièrement à mon cher Papa, feu Boubacar Mahamane Traoré, journaliste. Lorsqu’il était directeur de l’Agence nationale d’Information du Mali (ANIM), l’actuelle AMAP, il fut l’un des piliers du lancement du quotidien en langues nationales au Mali, le journal «Kibaru». Je suis fière d’être une femme africaine francophone de la diaspora qui a réussi ici, aux USA. Je suis fière de mettre mes talents au service de mon pays d’origine, le Mali, grâce à mon travail à la Voix de l’Amérique. En ma qualité de femme malienne, j’en appelle au gouvernement du Mali. En effet, nous qui vivons loin du pays sommes fiers de servir notre chère patrie en mettant à sa disposition nos compétences. Nous avons eu le privilège de recevoir de solides formations, dans des domaines variés. Nous œuvrons dans de nombreuses structures, aussi bien celles du gouvernement fédéral que celles des Etats dans lesquels nous résidons. Nous y avons fait nos preuves dans maints domaines. C’est pourquoi, nous sommes, non seulement des «faiseurs de Western Union», mais aussi des moteurs du développement. Il serait donc important, voire impérieux, que l’Etat associe toutes les filles et tous les fils du pays à la prise des décisions et à la gestion de la chose publique. Pour son plein épanouissement, pour son devenir, le Mali a besoin de la conjugaison de toutes les forces vives de la nation, y compris celles de la diaspora.
Propos recueillis par Françoise WASSERVOGEL
Bon interview! Bon vent
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