Jean-Philippe Dedieu sur RFI : «Les Maliens de France ont assez peu confiance dans la démocratie malienne»

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Des Maliens de France devant un bureau de vote à Montreuil, en région parisienne le 28 juillet 2013. RFI
Des Maliens de France devant un bureau de vote à Montreuil, en région parisienne le 28 juillet 2013.
RFI

Un groupe de chercheurs français a suivi des électeurs maliens résidant en France lors de l’opération de vote pour l’élection présidentielle au Mali. Plus de 200 votants ont été interrogés le 28 juillet, date du premier tour de cette élection. Jean-Philippe Dedieu est historien, sociologue et chercheur à l’Ecole de hautes études en sciences sociales, et l’un des auteurs de cette enquête. Au micro d’Anthony Lattier, il nous parle de l’attente de ces Maliens dont l’influence et le poids électoral ne sont pas négligeables.

 

 

Bonjour Jean-Phillipe Dedieu. Au premier tour de cette élection présidentielle, on a beaucoup parlé de désorganisation, notamment en France. Comment les Maliens de France ont-ils vécu ce vote ? Etaient-ils satisfaits ?

 

De l’enquête, il ressort une profonde insatisfaction quant à l’organisation du scrutin. A la fois dans les retards occasionnés dans la délivrance des cartes biométriques d’électeurs, les fameuses cartes NINA, mais également un manque d’information quant aux lieux de vote, un non-respect du règlement électoral : des urnes non cadenassées, des bureaux de votes non-ouverts ou avec retards dans des bureaux de vote bien localisés.

 

Est-ce que certains se sont plaints que ces élections étaient organisées trop tôt ?

A vrai dire, je ne pense pas que ce soit le grief le plus important. La date des élections, qui avait été jugée trop précoce par de nombreux observateurs et certaines organisations est loin d’être la première raison invoquée. C’est plutôt des problèmes d’organisation.

 

Comment les Maliens de France qui ont voté perçoivent-ils le fonctionnement de la démocratie malienne ?

Il ressort de l’enquête que nous avons réalisée que les Maliens, à hauteur à peu près de 87% des votants, ont assez peu confiance dans la démocratie malienne. Un tiers d’entre eux considèrent même qu’avant le coup d’Etat, il ne s’agissait pas d’une démocratie, 26% qu’il s’agissait d’une démocratie avec des problèmes majeurs et 31% seulement, donc un peu moins d’un tiers, d’une pleine démocratie ou d’une démocratie avec des problèmes mineurs.

 

Et ceux que vous avez interrogés, là, en France, font-ils confiance à la classe politique malienne ?

Ils étaient particulièrement défiants de la classe politique malienne avant le coup d’Etat de mars 2012. En revanche, ils sont paradoxalement plus de la moitié, aujourd’hui, à faire confiance à la classe politique malienne, quand bien même n’a-t-elle été renouvelée qu’à la marge, comme le montre la liste des candidats à l’élection présidentielle.

 

Quels sont pour ces électeurs les grands défis qui attendent le président ?

Ils citent par ordre d’importance le maintien de la sécurité du territoire face aux menaces terroristes ou islamistes, le renforcement de l’intégrité du territoire face aux revendications séparatistes et loin, très loin, derrière ces deux premiers défis, on trouve la relance de l’activité économique et la réduction de la pauvreté. Autant de facteurs que l’on retrouve peut-être dans ce vote très important en faveur d’Ibrahim Boubacar Keïta.

 

Et quel regard portent-ils sur la crise que traverse le pays depuis le coup d’Etat de mars 2012 ? Quelles sont les raisons, à leurs yeux, qui expliquent cette crise ?

L’une des principales raisons, c’est bien sûr la corruption généralisée, l’incompétence de la classe politique et la question du terrorisme étranger ne vient qu’après.

 

Comment les électeurs de France, les électeurs maliens, ont-ils perçu l’intervention militaire française ?

L’intervention militaire française a été jugée très favorablement par à peu près 79% des votants que nous avons interrogés à la sortie des urnes, le 28 juillet dernier.

Votre enquête montre aussi que les électeurs qui ont voté pour la présidentielle malienne s’intéressent aussi à la vie politique française ?

Bien sûr, c’est aussi l’un des grands apports de cette enquête, c’est d’avoir montré combien les électeurs maliens, les Maliens qui sont impliqués dans la vie politique de leur pays d’origine, le sont aussi dans la vie politique de leur pays d’accueil qui est en l’occurrence la France.

56% de la population malienne votante déclare être intéressée par la vie politique malienne et on voit que 42% de ces électeurs affirment être très intéressés par la vie politique française. Et au sein de cette population, 82% des personnes qui sont dotées de la binationalité, sont inscrites sur les listes électorales françaises et 77% votent aux scrutins nationaux. C’est peut-être l’une des raisons pour lesquelles, le droit de vote aux «étrangers» devrait être accordé.

 

Et en quoi le vote des migrants de l’étranger est-il important pour le Mali ?

Non seulement le poids électoral des migrants a une importance en lui-même, puisqu’ils ont désormais la possibilité de voter, mais il y a aussi une importance indirecte : étant donné qu’ils financent des biens publics dans leur pays, région ou ville d’origine, et qu’ils procèdent à des transferts financiers, destinés à leur famille restée aux pays, ils ont une capacité d’influence qui est non-négligeable sur la population locale.

 

En dépit du fait qu’il s’agit d’un nombre relativement limité, leur apport est beaucoup plus important si on prend en considération cette capacité d’influence, et le transfert de consignes de vote. C’est ce que des enquêtes tendent à monter autant pour le Mali que pour le Sénégal.

 

Par rfi

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