Jean-Luc Peduzzi: au Mali, «il faudra que la justice passe»

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Soldats maliens dans les rues de Tombouctou. AFP
Soldats maliens dans les rues de Tombouctou.
AFP

Comment refermer les blessures entre Maliens du Nord et Maliens du Sud ? Dans le livre Je reviendrai à Tombouctou, paru aux éditions Ixelles, Shindouk, un chef touareg exilé au Canada témoigne et tente de trouver des solutions. L’un des co-auteurs de l’ouvrage, Jean-Luc Peduzzi, policier et diplomate français en poste en Afrique de l’Ouest,  répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

RFI : Vous prêtez votre plume à un chef touareg d’une cinquantaine d’années qui a quitté Tombouctou, il y a dix-huit mois, à l’arrivée des islamistes. Shindouk est un notable touareg, homme modéré. Il dit notamment que ce n’est pas la première fois que les gens de Bamako soupçonnent les Français d’être complices des rebelles touaregs du Nord. Cela daterait de l’OCRS ?

 

 

Jean-Luc Peduzzi : De l’Organisation commune des régions sahariennes, qui était une tentative de la France, à la fin de l’époque coloniale, de garder le Sahara sous souveraineté française. Au début des années 1950, on s’était rendu compte que le Sahara recelait du gaz et du pétrole dans le sud de l’Algérie. Et l’idée qu’avait eu la France à la fin de la période coloniale, c’était que si on parvenait à garder le Sahara sous souveraineté française, la France deviendrait la troisième puissance énergétique mondiale, derrière les Etats-Unis et l’URSS.

 

Dans ce livre écrit à quatre mains, Shindouk raconte sa vie au rythme des guerres et des réconciliations. En 1991, plusieurs de ses cousins sont assassinés à Tombouctou, et il a cette phrase : « A chaque fois qu’on a signé la paix, la méfiance est demeurée. »

Ce que veut dire Shindouk, c’est qu’en fait, la relation entre les nomades du Nord et les sédentaires du Sud est compliquée. Elle était assise traditionnellement sur un échange entre le sel du désert et les céréales de la zone du fleuve. Mais il y a tout le passif des razzias, ce qu’on appelle les rezzous. Et il y a une méfiance qui est entretenue par le fait que ces deux civilisations ne se connaissent pas. En fait, elles se côtoyaient sur le marché de la région du fleuve mais sans se connaître en profondeur.

 

 

Shindouk a aussi cette phrase : « Quand les Maliens du Sud parlent du Nord, on a l’impression qu’ils parlent d’un autre pays. » Pourquoi ?

Parce que les modes de vie sont extrêmement différents entre populations de culture nomade et populations de culture sédentaire.

 

 

Est-ce que, finalement, la langue, la culture du nord du Mali n’est pas plus proche de la Mauritanie que du sud du Mali ?

Bien sûr, les cultures maures et les cultures touarègues sont très proches au niveau du fonctionnement de la société, notamment ces sociétés qui sont des sociétés avec une hiérarchie très rigide.

 

 

En 1992, la signature de l’une des nombreuses paix est accompagnée d’un pacte sur le papier. C’est un document remarquable, dit Shindouk. Et pourtant, cela n’a pas marché. Pourquoi ?

Il s’agit du Pacte national de paix avec les Touaregs. Il sera évidemment nécessaire d’analyser, justement, les causes de l’échec du Pacte national de 1992, pour éviter de les reproduire dans la sortie de crise de 2013.

 

 

Quelles sont les erreurs de 1992 qu’il ne faut pas répéter ?

C’est ce que dit Shindouk et je pense qu’il a raison. Il faudrait que la décentralisation, et les mesures qui permettent aux citoyens de mieux être associés à la gestion des affaires publiques, ne soit pas cantonnée au Nord et qu’elle soit étendue à l’ensemble du pays. Il y a des problèmes partout, des problèmes d’équipements dans toutes les régions du Mali. Et ce qu’il ne faudrait pas donner aux gens du Sud l’impression que les populations du Nord sont traitées de façon privilégiée, ce qui reviendrait à donner une prime à la rébellion.

 

 

Du côté des Touaregs, Shindouk reconnaît que ses frères n’ont pas toujours fait ce qu’il fallait non plus pour la paix et que les divisions entre les gens du Nord n’ont rien arrangé ?

Il n’y a pas d’unité au Nord. C’est la raison pour laquelle Shindouk a raison quand il dit qu’il faudra que la justice passe sur les affaires les plus graves, parce que la réconciliation ne passera que par le règlement judiciaire des actes les plus graves et des contentieux les plus profonds.

 

 

L’un des actes les plus graves, c’est bien sûr Aguelhoc. C’est la dernière grande offensive rebelle en janvier 2012. Plusieurs dizaines de militaires maliens sont froidement assassinés par des assaillants à l’extrême nord du Mali. Et pour Shindouk, c’est visiblement une cassure. Est-ce qu’on pourra encore réconcilier les populations après ce drame ?

Il faut espérer que oui. L’affaire d’Aguelhoc est assez emblématique des affaires dans lesquelles il faudra clairement savoir qui a fait quoi. Parce que cette offensive – en tout cas, c’est que dit Shindouk – c’est une offensive des rebelles du MNLA. Mais il y avait également sur les lieux des gens d’Ansar Dine, c’est-à-dire des islamistes, Iyad Ag Ghali. Il y avait peut-être aussi des gens d’Aqmi, du Mujao. Tout le problème est de savoir qui a fait quoi ? Il faut que les responsabilités soient mises à plat.

 

 

Vous parlez de Iyad Ag Ghali, le chef d’Ansar Dine. Ce personnage revient plusieurs fois dans votre livre, puisque Shindouk l’a connu. Il a été bassiste dans un groupe de musique, il a été un fêtard, dit-il. Aujourd’hui son radicalisme, son jihadisme, est-ce une posture ou une vraie conviction ?

Il a été un grand chef de guerre dans la troisième rébellion touarègue, c’est-à-dire dans les années 1990. Il a su fédérer différentes factions touarègues. Il a un certain charisme auprès des populations du Nord, notamment des jeunes. En fait, c’est un personnage qui est extrêmement complexe et ambigu. Il est très difficile de savoir ce qui procède chez lui de la conviction et du calcul.

 

 

Il a disparu depuis six mois, est-il toujours vivant ?

Je n’ai aucune certitude à ce sujet. Mais j’ai tendance à croire que oui. J’ai tendance à croire également que s’il était mort, on en aurait entendu parler.

 

 

Revenons à cette histoire de vieille complicité entre Touaregs et Français qui remonterait même au XIXe siècle. Est-ce que par votre livre, vous ne risquez pas de l’alimenter, encore aujourd’hui, à Bamako et ailleurs ?

Je ne pense pas, justement grâce à la composition de l’équipe de rédaction de cet ouvrage. C’est pour cela que je me suis associé avec Laurence Aïda Ammour, chercheur qui enseigne à Sciences Po à Bordeaux. Je ne prends pas parti dans cette affaire d’ailleurs, je travaille beaucoup plus avec des populations sédentaires d’Afrique noire qu’avec des Maures ou des Touaregs. Ce qui était intéressant, c’est d’aborder le sujet au travers d’un témoignage et de pondérer ce témoignage, qui est forcément partial, par des approches sans complaisance à l’égard de toutes les parties, notamment des gens du Nord.

 

 

Par Christophe Boisbouvier / RFI

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3 COMMENTAIRES

  1. « Quand les Maliens du Sud parlent du Nord, on a l’impression qu’ils parlent d’un autre pays. » Et inversement Mr Shindouk. Cest tellement beau les “differences” qu’il y a au Mali. la solution serait de les ranger en “arc en ciel. ET QUE PLUS JAMAIS LES ARMES NE SOIENT PRISES COMME MOYEN DE RECLAMATION (putsh et rebellion compris).

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