L’ancien ministre français de l’écologie Jean-Louis Borloo a présenté son plan pour l’électrification du continent africain. Il prône la création d’une agence dotée de 4 millards de dollars de subventions par an.
Vous êtes à Libreville pour défendre votre projet d’électrification du continent africain, pourquoi ce projet, conçu il y a quelques années déjà avec le président éthiopien Meles Zenawi, décédé depuis ?
C’est un genre de plan Marshall de l’énergie pour l’Afrique, la seule grande cause qui existe aujourd’hui ! Le constat est simple. Il y a aujourd’hui 480 millions d’Européens, dans vingt ans, nous serons 380 millions. En Afrique, ce sont un milliard d’habitants, deux dans vingt ans, dont seulement 25 % ont aujourd’hui accès à l’électricité. Penser que si l’on ne fait rien permettra d’éviter la confrontation est une erreur.
Il faut prendre conscience que l’Afrique est le théâtre d’un exode vers les centres urbains, comme, ni l’Europe ni la Chine n’en ont jamais connu. Cet appel de la lumière est une évidence, il nourrit un exode synonyme de déstabilisation, de perte de repères. On passe de l’animisme ou de monothéismes traditionnels plutôt modérés à des systèmes radicaux beaucoup plus dangereux.
Or, la bataille entre la croissance démographique et la production de kilowatts supplémentaires nécessaires est aujourd’hui perdue. Ce sont chaque année dix millions de nouvelles personnes sans électricité.
Au-delà de l’aspect sécuritaire, quel est l’intérêt économique pour l’Europe de soutenir un tel projet ?
Électrifier l’Afrique constitue un vrai relais de croissance pour l’Europe. 100 % d’électrification du continent en Afrique signifie entre 10 et 15 % de croissance pendant 15 ans, contre 5 % de croissance à l’heure actuelle, et 3 % de croissance supplémentaire pour l’Europe sur la même période.
Comment atteindre votre objectif ?
L’électricité n’est pas un sujet comme les autres, c’est un sujet en amont de tous les autres. L’électricité, cela veut dire l’accès à l’eau. C’est aussi la réduction de la déforestation, le développement de l’agriculture, la santé, l’éducation… Le rapport de productivité est de 50 à 1 avec ou sans électricité. Bref, cette histoire est une anomalie pour la planète.
Cela s’explique par plein de raisons. L’électricité c’est « l’enfant des vieilles nations » parce que cela suppose une administration publique, une ingénierie publique de haut niveau et des financements publics gratuits au départ.
Penser que l’on peut équiper l’Afrique uniquement avec des financements privés ou des emprunts publics est un mensonge. Personne, nulle part au monde ne l’a fait ainsi.
Comment surmonter ce problème ?
L’idée est de créer une agence spécialisée dédiée à cette question. Elle devra bénéficier de quatre milliards de dollars par an sur une dizaine d’années sous forme de subventions, non conditionnelles qui par effet de levier ou grâce à des financements classiques permettront de réunir 250 milliards de dollars. Quatre milliards par an pour tout le continent, à l’échelle de la planète, c’est une somme dérisoire pour un impact colossal.
Pourquoi insistez-vous sur le fait que ces quatre milliards par an doivent être réunis sous forme de subventions ?
En allant de pays en pays, j’entends les dirigeants africains me dire qu’ils n’ont pas à disposition la masse critique d’ingénierie de haut niveau et qu’il leur manque toujours 25 % des fonds pour faire aboutir leurs projets. On sait que le coût de distribution électrique est plus cher dans les régions les moins denses. Mais aujourd’hui, nous disposons de technologies meilleur marché et plus robustes pour produire de l’énergie décentralisée ou modulaire. La production d’énergie renouvelable en Afrique est la moins chère du monde.
En fait, il n’y a pas de problème technique, seulement des questions d’organisation et de méthode à surmonter. Cette agence pour l’Afrique serait pilotée par les Africains : Chaque sous-région décidera de la nature de l’énergie à produire. Ce n’est pas tant un projet qu’un changement de méthode.
Quels pays africains vous soutiennent ?
Tous les 31 chefs d’Etat africains que j’ai rencontré, la Banque africaine de développement aussi, soutiennent ce projet. Ouvrons les yeux. Nous avons à faire à de petits États pauvres qui ont supporté un choc démographique d’une ampleur inouïe. Si la France avait connu la même croissance démographique que la Côte d’Ivoire depuis 1960, nous serions 240 millions de Français. Avec ce que cela signifie en termes de construction d’hôpitaux, d’écoles, de routes, d’infrastructures…
Tant qu’il n’y aura pas une agence centralisée, on ne fera pas aboutir un projet aussi ciblé. On demande aux États africains de faire des efforts comme s’il s’agissait d’un simple programme de transition énergétique. L’électricité c’est compliqué, ce n’est pas comme donner un permis d’exploitation pétrolière.
Ne craignez-vous pas que les questions de souveraineté entre les différents États contrarient ce projet ?
Ce n’est pas le discours que j’entends. Les dirigeants africains sont inquiets. Il y a 25 ans il y avait une seule ville de plus d’un million d’habitants. Aujourd’hui il y en a 28… Et toujours pas d’électricité.
Quel est votre calendrier ?
L’idéal serait que soit décidé avant l’été, le principe que l’électricité est la priorité des priorités et qu’il faut mutualiser les moyens.
Ce qui sert mon discours, c’est l’inquiétude en Europe. L’économie européenne est atone. L’Afrique est le seul relais de croissance pour l’Europe. Et puis il y a des Européens qui ont peur de voir débarquer des personnes radicalisées par la misère et que d’une certaine façon on aille à la guerre. C’est donc un extraordinaire défi à relever.
Source: Le Monde