Issa Traore, Président du SAM : “Le magistrat malien est décrié alors qu’il n’est ni bien formé, ni bien payé”

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Alors que les magistrats  traversent une mauvaise passe, nous avons eu un entretien avec le président du Syndicat Autonome de la Magistrature, Issa Traoré, qui, sans langue de bois, dit ses quatre vérités aux autorités ainsi qu’à ses collègues. Quels sont les objectifs du Syndicat Autonome de la Magistrature (SAM) ?

 

 

 

Le Syndicat Autonome de la Magistrature a pour but, comme tout syndicat, la défense des intérêts matériels et moraux de ses militants en tous lieux et en toutes circonstances. Quand le bureau que je dirige  a été mis en place lors du dernier congrès, nous avons décidé d’ajouter à cet objectif général la réunification des deux syndicats de la magistrature: le SAM et le Syndicat Libre de la Magistrature (SYLIMA).

 

 

 

Quelles sont vos relations avec le pouvoir ?

 

Nos relations avec les pouvoirs publics sont des relations traditionnelles. Dans tous les pays du monde, il y a une lutte à mort entre le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire. L’exécutif est toujours tenté d’embrigader, d’instrumentaliser, de mettre sous l’éteignoir  le pouvoir judicaire. Très généralement, cet objectif se traduit par des actions tendant à museler les syndicats qui représente le pouvoir judiciaire.

 

 

 

Quelles sont vos différentes doléances en suspens?

 

Nous avons, pendant la Transition, été appelés par le premier Ministre Diango Sissoko à mettre en veilleuse nos revendications syndicales compte tenu de la situation du pays marquée par les conséquences du coup d’Etat du 22 mars. Par esprit de citoyenneté et de responsabilité, nous avons décidé de différer nos revendications en attendant que les choses rentrent dans l’ordre. Nous avions un cahier de doléances qui attendait depuis  très longtemps. A présent, nous sommes dans un premier en train de le peaufiner et nous comptons le déposer dans les jours à venir. C’est un cahier qui contient l’ensemble de nos revendications matérielles et financières.

 

 

 

Et les 55 magistrats qui attendent leur affectation depuis plus de deux ans?

 

Plusieurs fois, nous avons été saisis de ce problème. Il y a deux ou trois promotion qui attendent d’être déployées. Du temps du ministre Malick Coulibaly à nos jours, il n’y a pas eu de Conseil Supérieur de la Magistrature alors que c’est le Conseil qui règle ce genre de questions. L’actuel ministre de la justice a promis de prendre très rapidement en charge le problème; j’espère que lors de la prochaine réunion du Conseil Supérieur de la Magistrature, ce dossier sera prioritairement pris en compte.

 

 

 

Quelles sont vos revendications-phares  ?

 

Ce n’est un secret pour personne que la justice malienne est dans un état de délabrement total, à l’image du pays lui-même. Cela est dû peut-être à la mauvaise gouvernance. Pour moi, toute justice est à l’image du pays dans lequel elle s’exerce. Chaque pays ou chaque peuple n’a que la  justice qu’elle mérite. Aujourd’hui, la justice malienne est fortement décriée. Les politiciens n’ont même pas hésité à la désigner comme étant la principale cause de l’état d’effritement général du Mali. Mais dans ces discours politiciens, personne ne touche du doigt les problèmes auxquels la justice est confrontée. Personne n’en parle. Si on parle de la justice, c’est pour la jeter en pâture.

 

 

 

Cependant, nul n’ignore les problèmes auxquels elle est confrontée, tant sur le plan matériel, de la formation, que sur le plan financier. Le magistrat malien est le moins payé de la sous-région, contrairement à cette tendance qui veut faire croire que les magistrats sont les mieux payés. A titre d’exemple, au Sénégal, la prime de judicature atteint 800.000 FCFA. Au Niger, le salaire du magistrat débutant atteint 700. 000 CFA, un montant que le magistrat malien le plus ancien dans le grade le plus élevé ne gagne pas. Or, le Mali n’a rein à envier à ces pays du point de vue des ressources. Pourquoi cette différence de traitement ? Parce qu’on n’a jamais pris  en compte les difficultés auxquelles la justice est confrontée ! C’est vrai que la justice n’est pas sans reproche mais il est temps d’arrêter de la fustiger. Nous n’avons pas attendu l’arrivée des nouvelles autorités pour reconnaître nos torts. Nous avons, de notre propre initiative, signé une charte de la bonne conduite sans la pression de quiconque. Nous avons constaté nous mêmes qu’il y avait en notre sein des pratiques qu’il fallait arrêter. Mais cela ne peut pas aller sans que les conditions minimales de travail soient réunies. Rien n’explique le dénuement actuel de la justice. Beaucoup de travers constatés çà et là dans la justice sont plus dûs à un manque de formation qu’à une volonté affichée de nuire des magistrats. Le Mali est le seul pays au monde où le magistrat peut commencer et finir sa carrière sans bénéficier d’une formation digne de ce nom.Je ne parle des petits ateliers ou séminaires organisés pour justifier la dépense de certains fonds. Je n’appelle pas cela formation. Comment voulez-vous  qu’un magistrat, à l’heure de la mondialisation et de l’informatique, ne sache pas se servir d’un ordinateur et soit cependant  appelé à poursuivre la délinquance cybernétique ? Voilà des priorités qui doivent être prises en charge très rapidement par les autorités. C’est l’ensemble de ces problèmes qui fait l’objet de notre cahier de doléances.

 

 

 

Est-il vrai qu’il y a sur la table du Ministre Bathily au moins 15 dossiers de poursuites contre les magistrats  ?

 

Je ne gère pas les rumeurs. Vous parlez de 15 dossiers mais moi, j’ai appris qu’il y aurait 300 dossiers sur la table du Ministre. Dans tous les cas, ce qui est vérifiable, c’est que 7 magistrats sont poursuivis, dont 4 se trouvent en prison. Ces camarades bénéficient  de la présomption d’innocence jusqu’à ce que leur  culpabilité soit établie. Malheureusement, il y a certains commentaires qui frisent le parti pris de la part des médias. Il faut y mettre un terme. Dans un Etat de droit, ce n’est pas normal. Nos collègues sont peut-être en mauvaise posture mais jusqu’à ce que leur culpabilité soit établie, ils sont considérés comme innocents. Les condamner d’avance, c’est aller trop vite en besogne.

 

 

 

La procédure d’arrestation  de vos collègues a-t-elle été régulière ?

 

Depuis le 10 décembre 2013, 4 de nos collègues ont été sous mandat de dépôt suite à des plaintes déposés au niveau du procureur général. Nous sommes à pied d’œuvre pour leur venir en aide et nous ne sommes pas seuls. Nous travaillons avec le SYLIMA et le syndicat des greffiers et secrétaires de greffe. Nous tenons à avoir un œil sur la gestion de ces dossiers, à faire en sorte que la procédure soit diligente et que les droits des camarades poursuivis ou détenus soient préservés. Comme on se plait à le dire au Mali, nul n’est au-dessus de loi. Nous sommes les premiers à le savoir mais nul ne doit non plus être spolié de ses droits. Nous avons décidé de rester légalistes. Un moment, la rumeur a couru que les magistrats s’apprêtaient à marcher ou à aller en greve pour défendre leurs camarades arrêtés. C’est de l’intoxication. Nous nous sommes des responsables, des techniciens de droit, des légalistes: nous exigeons seulement un procès équitable pour nos camarades. Dans un premier temps,  nous avons déposé des demandes de mise en liberté qui furent refusées. Ce refus nous a étonnés. Le mandat de dépôt ne se justifiait pas, étant  donné que les magistrats en cause offraient de  solides garanties de représentation. on les a placé sous mandat. Après lmes interrogatoires au fond, des demandes de mise en liberté furent déposées sans succès. Ce fut un coup dur pour nous, surtout que les 7 juges viennent d’être suspendus par le ministre de la Justice. Nous attendons que les confrontations finissent pour redemander la mise en liberté des détenus.

 

 

 

Pensez-vous que les magistrats maliens sont en sécurité ?

 

Ce qui arrive à la magistrature est scandaleux. C’est la première fois que, dans ma petite carrière, je vois des magistrats interpellés sur des de simples délations. Certes, des  magistrats furent placés sous mandat de dépôt par le passé, mais c’est la première fois qu’il y a tant de tapage autour des mandats. On dirait qu’il y a une exploitation politique de l’affaire. C’est ce qui nous fait mal. Un ministre de la république, parlant à des Maliens de l’extérieur, s’est même permis de dire qu’ils peuvent retourner au bercail en toute quiétude car le pays commence à démarrer comme en témoigne l’arrestation de plusieurs magistrats. Comme si les magistrats étaient opposés au retour des nationaux dans leur pays! Cela est scandaleux ! Cela donne l’impression juste d’une campagne de dénigrement et de destruction de la magistrature. Or il y a des magistrats qui méritent les honneurs, mais personne ne parle d’eux. Nous reconnaissons qu’il y a de la mauvaise graine chez nous. Mais la grande corruption, celle qui fait mal à l’économie du Mali, on sait là où elle se passe. En lisant le rapport 2013 du Vérificateur Général, nulle part vous ne verrez le nom d’un magistrat. Les milliards détournés, qui les a volés et où se trouvent ces voleurs ? En tout, cas ils ne sont pas arrêtés ! D’accord pour l’assainissement des finances publiques; d’accord pour lutter contre la délinquance financière; d’accord pour lutter contre la corruption, mais ne mêlons pas les serviettes aux torchons !

 

 

 

Est-ce vrai que vos deux syndicats – SAM et SYLIMA- vont se fusionner ?

La fusion a été le mot d’ordre du dernier congrès du SAM. L’engagement a été pris devant les militants de mettre tout en œuvre pour la réunification des deux syndicats. Il y a un grand pas de franchi avec la  tenue d’une assemblée générale conjointe du SAM, du SYLIMA et du Syndicat des Greffiers dans le cadre de la gestion des dossiers de nos collègues poursuivis. Depuis, nous avons mis en place un cadre de concertation des 3 syndicats. Nous réfléchissons aux conditions de matérialiser l’unité syndicale. Nous avons reçu mandat de notre congrès d’y aller; les dirigeants du SYLIMA attendent de recevoir le même lors de sa convention.

 

 

 

Votre dernier mot ?

L’heure est grave pour les magistrats. La magistrature n’a jamais été fragilisée, démoralisée, dénigrée. Or nul ne peut parler de démocratie sans une justice indépendante. On ne peut non plus parler de lutte contre la corruption sans l’implication des magistrats. Qu’on veuille ou non, la magistrature reste incontournable. Nous sommes et resterons sereins. Nous invitons nos collègues à resserrer les rangs et à faire en sorte que les maux qu’on attribue à la magistrature passent pour de simples calomnies. Qu’ils fassent en sorte que nous méritions la confiance des citoyens dont nous sommes est le dernier espoir.

 

Interview réalisée par Abdoulaye Koné

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5 COMMENTAIRES

  1. Vous me décevez Monsieur le juge Issa TRAORE, si vous savez là où la grande corruption, celle qui fait mal à l’économie du Mali, se passe, alors nous ne vous demandons qu’à y mettre fin en jugeant les auteurs conformément au droit en vigueur en République du Mali. Mais au lieu de cela, qu’est ce que nous constatons, les magistrats se disent que comme les délinquants financiers sont entrain de piller le pays, il faudrait qu’eux aussi aient leur part. C’est pourquoi, les magistrats se sont mis à vendre les décisions de justice au lieu de dire le droit. Cette situation fait que le magistrat est devenu le complice du délinquant financier, tu voles, tu me donnes ma part et je te couvre. Voilà ce que nous vivons. Dans ces conditions le peuple ne peux pas vous respecter car le respect se mérite. Merci.

  2. Bien parlé petit Traoré. Je ne suis pas magistrat ni auxiliaire, mais je reconnais ici l’intello tel que je le conçois. Tu mérites l’estime de tes collègues. Gare à toi si tu devis. Pardonne moi petit mais il y a trop de beau parleur dans ce pays.

    • keefer tu connais très mal celui que tu qualifie d intello; je te prie de lire ses decisions; quelle carence!!!!! il fait la honte des magistrats; allez savoir en commune1;la seule facture a payer pour les décisions de justice c est une partie de jambe en l air. les greffières de son tribunal sont les premières victimes. bien forme ou encore bien paye ne constituent pas une bonne moralité.
      on a besoin des hommes justes et dignes pour la justice malienne.

  3. Felicitation monsieur le President pour cette intervention lucide
    bon vent pour la magistratiure dans notre Pays

    • Les magistrats ne doivent pas comparer leur salaire à celui de la sous-région car c’est pareil pour les autres catégories de fonctionnaires.
      Les maliens veulent qu’ils soient honnêtes et digne même dans la pauvreté car c’est possible.

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