De passage à Bamako, le professeur Clément Dembélé, s’est exprimé à notre micro. L’école malienne en difficulté, la jeunesse en panne d’inspiration, ses ambitions pour le Mali, Clément dit tout. L’interview.
Delta news : Bonjour professeur Clément. Merci de nous accorder cette interview. Alors, nous allons droit au but pour notre première question qui porte sur vous personnellement. Qu’est ce qui se cache derrière ce qualificatif et nom de professeur Clément Dembélé ; autrement dit qui est l’homme ?
Clement Dembele : « Je m’appelle Clément DEMBELE, je suis le huitième enfant d’une fratrie de 15 frères et sœurs. J’ai grandi à Bamako avec mes douze sœurs et 2 frères dans la banlieue de Bamako, précisément le quartier de BanconiDjanguinébougou. Et c’est à l’école de Banconi Plateau que j’ai effectué mes études primaires, le lycée Bouillagui puis l’ENSUP. En 1999, je suis parti au Canada pour faire mon DEA puis mon doctorat en philosophie sur “L’histoire de la pensée politique et philosophique: D’Aristote à Jean Paul Sartres”, et après ma thèse de doctorat en littérature générale et comparée à l’université de Metz sur “La littérarité du Discours politique: Registre de représentation épique dans l’Histoire des Indépendances Africaines”, en même temps j’ai effectué un Master2 en Gestion Ressources Humaines à l’IAE (Institut de l’Administration des Entreprises/Ecole Supérieur de Management) de Metz, spécialité “Management des Hommes et des Organisations”.
Depuis 2010, j’ai été directeur général du Groupe SIRA, puis du Groupe EUROPA REALISATIONS qui intervient dans les domaines de ” Conseils et Communication politique, Développement Stratégique, Logiciel de Gestion stratégique, etc…. »
Deltanews : On dit aussi que Clément est spécialisé en analyste du discours et en stratégies politiques ; cela veut dire quoi ?
« En fait, j’ai toujours travaillé sur les effets du discours sur le mécanisme psychique, le cheminement des mots, leur impact, leur vit, bref mon travail dans les laboratoires et mes thèses de doctorat ont consisté à décortiquer le lien entre l’Homme politique, l’expressivité et l’affectivité discursives et le public. Il s’agit d’observer, en dehors des réalités sociologiques, comment “l’Homme politique agit pour faire agir”. A partir de là, j’analyse le lien entre le psyché du locuteur, le choix des mots et expressions, les récepteurs (public) pour analyser la ou les stratégies. Pour arriver à ce résultat, il faut tenir compte d’un certain nombre d’éléments substantiels sans lesquels le discours politiques ne tient pas son rôle:
- Celui qui lit et son énergie déployée (charisme, gestuels, intonation, ponctuation, etc….)
- Celui qui entoure (l’environnement, décor, positions spatial, contexte, effets spéciaux, sonorisation, animation, répartition de la masse, etc…)
- Celui ou ceux qui reçoivent (public et leur geste et capacité de réaction, etc…)
- Le choix des mots et expressions, leur lien et leur agencement ordonné et désordonné.
A partir d’une analyse spécifique de tous ces éléments, nous comprenons la teneur d’un discours, la vision structurale et la stratégie d’un homme politique face à son peuple. »
Tes récentes sorties au Mali, surtout avec les jeunes, montrent évidemment que tu as autre chose à proposer à cette jeunesse, surtout côté école. Peut – on savoir l’opinion de Clément sur l’école malienne et les grands projets qu’il prévoit pour la jeunesse malienne, précisément les élèves et étudiants ?
« Effectivement depuis un moment je consacre beaucoup de temps à échanger avec les jeunes sur plusieurs question, notamment l’école, l’emploi, l’entreprenariat, le développement économique du Mali et la situation actuelle du pays.
Vous savez, on ne pourra jamais rien développer au Mali, on ne pourra jamais réussir une équation de réforme dans ce pays sans passer par le vecteurjeunesse. Je dis cela, car je ne vois absolument pas par quel miracle on veut changer un pays sans mettre l’accent sur le développement de 77% de la population (les jeunes maliens de 18 à 35 ans). Le problème est qu’aujourd’hui la jeunesse malienne est profondément désorientée à cause d’une idéologie obscurantiste qui a consisté à déconstruire le lien entre les jeunes et les valeurs républicaines. C’est que les jeunes maliens ne font plus confiance à l’Etat ni à ses représentants, pire ils ne font plus confiance en eux-mêmes. Cela est du au fait que les jeunes ont été utilisés depuis des années comme des simples voies de contestation qui passent à côté de leur vrai cri de misère, de chômage, de manque d’éducation, d’avenir……
Du coup, le jeune malien lambda, va à l’école, étudie, obtient son diplôme sans savoir ce qu’il doit faire ou ce qu’il peut faire; le jeune malien d’aujourd’hui n’a aucun espoir en lui et pour lui; le jeune malien n’a aucune idée de sa potentialité, aucune perspective d’avenir même en court terme. Ce traumatisme profond et collectif vient de l’absence depuis 40 ans de politique d’accompagnement réel basé sur un rapport direct entre l’éducation, la formation et le marché d’emploi. Il faut donc cette adéquation entre le cadre pédagogique et le cadre d’emploi soutenue par une réelle volonté politique définie qui tient compte de l’évolution de la société et de la culture intellectuelle des populations concernées (les jeunes de 18 à 35 ans).
Mon travail est donc dans un premier temps de parler aux jeunes, de leur prendre conscience qu’ils sont plus intelligents, plus actifs, plus motivés et plus interactifs que toutes les générations passées. Cette vérité repose sur les constats suivants:
- la fin de l’imprimerie et l’ère du numérique,
- l’internet et les réseaux sociaux,
- La télévision et le multicanal de diffusion,
- la démographie et le multiculturalisme, etc….
La génération présente est donc celle qui peut réellement sauver le Mali si on l’accompagne sincèrement et cesser d’avoir peur d’elle en la cantonnant dans une méfiance clinique et puérile ».
Des clubs de soutien au professeur Clément Dembélé foisonnent un peu partout à Bamako. A quoi tout cela peut – il nous renvoyer dans un futur proche?
« D’abord je tiens à préciser que je n’étais pas au courant de la création de ces clubs, je l’ai appris quand je suis venu au Mali il y a deux mois. C’était lors de mon déplacement à Ségou pour animer une conférence sur “Jeunesse et leadership” qu’une délégation de jeunes m’a informé qu’ils ont décidé de mettre en place des clubs à mon nom. C’est un honneur pour moi, je les remercie ici pour cette considération.
Mais au-delà de ma personne, ce club prouve combien les jeunes maliens commencent à comprendre et à prendre conscience de l’essentiel qui réside dans leur unité et leur énergie autour d’un idéal commun. Car en réalité tous les jeunes maliens aspirent à une même chose, tous les jeunes maliens partagent donc un seul destin: le Mali d’avenir. Il faut donc cet élan patriotique, au-delà des mots et des différences apparentes, se retrouver, échanger, se former, sensibiliser, mobiliser pour résoudre enfin cette équation: Jeunesse –Education – Emploi- Sécurité -Développement. Et je crois fortement que cela est possible par les jeunes et pour les jeunes quand on cesse de croire que l’Etat est un employeur, qu’il faut donc impérativement être fonctionnaire, quand on cesse de croire qu’on n’a plus d’avenir alors qu’on peut encore tout faire, quand on ignore ceux qui pensent et disent que les jeunes ne savent rien faire alors que ce sont eux qui n’ont pas compris l’évolution socio-psychologique du 21 -ème siècle.
« La jeunesse au pouvoir », voilà un leitmotiv, devenu quasiment un slogan au regard des réalités actuelles, comme la victoire presque surprise du candidat Macron en France. Un effet Macron peut – il provoquer un effet Clément au Mali ?
« Rire”, vous savez je viens d’une grande famille et des parents modestes. Je crois à une victoire collective et non à un rayonnement individuel. J’ai toujours tout fait avec les autres, et je crois au résultat commun. Le Mali a besoin encore d’hommes d’état, de passionnés du pays, ceux qui ont le sens du “don de soi”.
Vous savez, nous sommes confrontés à de nombreux problèmes depuis l’avènement de la démocratie en 1990. Mais l’un des problèmes cristaux de ce pays est la question de la moralisation politique. Il faut une nouvelle école de pensée politique au Mali, basée sur l’éthique et l’engagement patriotique des hommes politiques. Cette bourgeoisie compradore qui occupe une bonne partie de la gestion de l’Etat, est aujourd’hui dépassée et prouve toute ses limites dans la capacité de bien gérer le pays tant sur le plan de la lutte contre le chômage, l’éducation, la santé, l’autosuffisance alimentaire, le développement des infrastructures, l’énergie renouvelable, etc…..
Il revient donc d’assainir la classe politique, impliquer clairement la société civile dans la gestion de l’Etat, tisser un lien de proximité avec les populations par une véritable stratégie de relation communicationnelle.
Vos derniers mots
« Je lance un appel au peuple malien, à tous les maliens qui que vous soyez, où vous vivez sachez que le Mali a besoin aujourd’hui de chacun de ses enfants. Ne vous désespérez pas, ne vous découragez pas, ne vous isolez pas. Le Mali n’est pas quelques hommes et femmes qui prospèrent dans le mensonge, la corruption, la magouille, l’obscurantisme; le Mali ce sont tous ses enfants dignes qui ne doivent plus se demander ce que ce pays peut leur apporter, mais ce que nous pouvons chacun donner à notre nation.
Aux jeunes maliens, je vous dis en toute vérité que vous êtes l’avenir et le devenir du Mali. N’écoutez plus ceux qui vous disent que vous n’êtes pas capables, que vous ne servez qu’à élire, qu’à faire des campagnes politiques; ne considérerez plus ceux qui vous mentent en disant que la possibilité de réussir c’est d’être fonctionnaire tout simplement. C’est faux!
Prenez conscience de votre courage, de votre intelligence, de votre force inébranlable, engagez-vous dans la construction du Mali, et soyez fiers d’être Malien!
ENSEMBLE POUR UN MALI D’AVENIR »
Propos recueillis par Seybou KEITA