Interview exclusive de Marie-Christine Saragosse : Bientot une redaction de rfi en mandingue à bamako

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Marie-Christine Saragosse
Marie-Christine Saragosse

Présente à Bamako dans le cadre de la première édition de la « Bourse Ghislain Dupont et Claude Verlon », Marie-Christine Saragosse, la présidente de directrice générale de France  Média  Monde dont fait partie RFI a accordé une interview à L’Essor.  Dans  cet entretien,  elle explique l’esprit et le contexte de la création de la Bourse et donne  un éclairage sur d’autres sujets importants comme le pont de l’enquête sur la mort de nos deux confrères tués il y a un an à Kidal, la présence de RFI au Mali, les projets de la « Radio mondiale », dans notre pays

Question : Marie-Christine Saragosse, vous êtes la présidente de France Médias Monde. Vous étiez à Bamako dans le cadre de la commémoration de l’assassinat de nos confrères de RFI Ghislaine Dupont et Claude Verlon à Kidal le 2 novembre 2013. Quel était le programme de votre visite ?

Réponse : Oui c’était le 2 novembre 2013, il y a tout juste un an. Ghislaine Dupont et Claude Verlon étaient sauvagement assassinés à Kidal. Nous n’oublierons jamais. Mais il nous fallait aussi construire l’avenir. C’est pourquoi nous avons souhaité créer une Bourse qui porte leur nom : « La Bourse Ghislaine Dupont et Claude Verlon pour les jeunes journalistes et techniciens en Afrique ». Il s’agit de poursuivre ce que ces deux passionnés de reportage et du continent africain aimaient à faire en transmettant leur savoir, et d’être ainsi fidèles à leur rôle de passeurs auprès des jeunes journalistes et techniciens qui les côtoyaient dans la rédaction de RFI ou sur le terrain. Cette première édition s’est déroulée ici, au Mali, un an jour pour jour après le drame. Cela ne pouvait être ailleurs. Puis chaque année, nous la remettrons dans un pays d’Afrique francophone différent. Ce voyage était aussi l’occasion d’avancer dans la mise en œuvre d’un projet qui nous tient à cœur : le lancement d’une rédaction de RFI en mandingue, dont les programmes seront diffusés dans toute la région, et qui sera implantée à Bamako. J’ai pu échanger autant sur la Bourse que sur le projet de rédaction avec le Président de la République du Mali, qui m’a accordé une audience, avec le Premier ministre et les ministres de la Justice et de la Communication. J’ai également vu plusieurs lieux possibles d’implantation de la rédaction. Tous ces rendez-vous ont été très constructifs et notre projet devrait voir le jour au premier semestre 2015.

Q : Vous avez lancé un concours pour célébrer la mémoire des deux confrères. Concrètement qu’est-ce qui est prévu pour les lauréats du concours ?

R : 10 candidats journalistes et 10 candidats techniciens avaient été sélectionnés sur dossier puis sur entretien après l’appel à candidature lancé sur nos antennes en septembre dernier, sur les 80 reçus au total. Ces 20 candidats ont tous bénéficié d’un stage de deux semaines à Bamako, dispensé par l’Académie France Médias Monde, en partenariat avec l’ORTM qui nous accompagne cette année. Parmi ces 20 candidats, un jury, que j’ai présidé, a désigné la journaliste Rachelle Tessougué et le technicien Sidi Mohamed Dicko qui se sont vus attribuer la Bourse Ghislaine Dupont et Claude Verlon. Ils sont tous les deux invités en mars prochain à Paris pour suivre une formation de perfectionnement, à la fois en immersion à RFI, et au sein de nos organismes partenaires, l’école de journalisme de Sciences Po pour le journaliste, et l’INA pour le technicien.

Q : RFI est très écoutée au Mali et dans le reste de l’Afrique. Pouvez-vous nous faire l’historique de votre présence au Mali et nous dire quelle est votre stratégie pour maintenir cette audience ?

Selon la dernière étude TNS Sofres Africascope, les Maliens ont un fort attachement à RFI, Avec 18,7% d’audience quotidienne, nous sommes la radio internationale la plus écoutée à Bamako, et en cinquième place de toutes les radios confondues. Auprès des cadres et dirigeants, RFI arrive en tête de tous les indicateurs d’audience avec 77,4% d’entre eux qui l’écoutent chaque jour. Dans la capitale malienne, RFI est connue par 89,8% de l’ensemble de la population et par 100% des cadres et dirigeants. 82,3% de ses auditeurs de considèrent qu’elle est la référence en matière d’information africaine. Je pense que ce succès s’explique par le fait que nous sommes à la fois une radio internationale et une radio de proximité. D’ailleurs, c’est en s’attachant à cela, en allant donner la parole aux Maliens du Nord pour qu’ils puissent s’exprimer comme les autres, que Ghislaine Dupont et Claude Verlon ont perdu la vie. Le lancement de notre rédaction en mandingue s’inscrit dans ce désir de proximité avec les auditeurs de la région, tout comme nous l’avons déjà fait en Afrique avec le swahili et l’hausa, et comme nous le faisons ailleurs, au Cambodge et en Roumanie, et en 12 autres langues que le français. Nous veillons enfin à être accessibles et disponibles sur tous les moyens d’écoute utilisés. Bien sûr la FM, mais aussi les ondes courtes pour celles et ceux qui nous écoutent en zone rurale, les radios partenaires qui nous reprennent, et bien sûr sur les nouveaux médias, avec des offres Internet et mobile adaptées aux usages et à la bande passante disponible sur le continent.
Q : RFI est un média public. Etes-vous la voix de la France ? De quelle marge de manœuvre disposez-vous pour garantir votre indépendance par rapport au gouvernement français ?

R : Il faut distinguer service public et média d’état. RFI est un média de service public, mais aucunement la « Voix de la France » au sens d’un média dirigé par l’Etat. Au contraire, le premier article de notre cahier des charges précise notre indépendance totale par rapport au pouvoir politique. Cette indépendance, nos journalistes l’ont chevillée au corps, et c’est cela qui contribue à notre crédibilité partout dans le monde, et particulièrement en Afrique. La nouvelle signature de RFI, « Les Voix du Monde », est un clin d’œil à ceux qui voudraient nous coller une étiquette inappropriée. Notre radio est riche de toutes les nationalités des journalistes qui composent les rédactions, son réseau de correspondants et riche aussi des voix de nos auditeurs qui nous appellent des cinq continents et par-dessus tout riche de son indépendance. Il en va de même pour France 24 et Monte Carlo Doualiya, les deux autres médias du groupe France Médias Monde.

Q : Nos deux confrères Ghislaine Dupont et Claude Verlon, ont été assassinés dans des circonstances non encore élucidées. Où en est  l’enquête ?

R : Notre groupe, France Médias Monde, s’est porté partie civile au côté des familles. Plusieurs services de la police française participent aux investigations et se sont rendus au Mali notamment juste après l’assassinat de nos deux reporters, Ghislaine et Claude. Les autorités maliennes apportent leur coopération à la justice française et ont désigné un juge d’instruction, tout comme la justice française. L’enquête est rendue difficile par le fait que Kidal est en ce moment inaccessible. Aujourd’hui la chronologie des évènements a pu être reconstituée même si des points doivent être encore éclairés. Les enquêteurs poursuivent plusieurs pistes, afin d’identifier les auteurs. Les juges d’instruction français ont récemment réuni l’ensemble des  parties civiles pour faire le point sur l’avancement de l’enquête. Maintenant, on ne peut qu’espérer des développements au cours des prochains mois. Chaque personne qui sait quelque chose et n’a encore rien dit, doit se sentir concernée car on ne construit rien dans l’injustice. Nous avons pour notre part confiance en la justice, et dans le fait qu’elle met tout en œuvre, ici comme en France, pour que les assassins de Ghislaine et Claude ne restent pas impunis.

Q : Certains reprochent aux journalistes de prendre trop de risques dans la couverture des zones de conflit. Qu’en pensez-vous ?

Ghislaine et Claude n’étaient aucunement des « têtes brûlées » et nous pensons tous à France Médias Monde qu’aucun reportage ne vaut une vie. Mais nous savons aussi que le risque zéro n’existe pas pour celles et ceux qui vont recueillir l’information au plus près, sur tous les terrains. Nous devons donc collectivement nous efforcer de réduire le plus possible les risques, car nous n’avons vocation ni à être des victimes, ni à être des héros. La question de la prévention et de la sécurité a toujours été au cœur des préoccupations du groupe France Médias Monde. Mais l’évolution du « statut » des équipes de terrain – devenues de plus en plus souvent des cibles -, la multiplication des zones de crises de toutes natures (politique, militaire, civile, sanitaire, naturelle…), la diversification des risques dont la forme change sans cesse, nous ont conduit à réfléchir à une formation spécifique, complémentaire de celles qui existent déjà, que nous avons mise en place, en lien avec notre Académie, à partir de la somme de connaissances dont le groupe dispose par son expérience du terrain. La dimension collective de notre démarche est pour nous essentielle. Elle fonde l’élaboration même de notre formation par nos équipes. Elle anime notre volonté de l’ouvrir au-delà de notre groupe, à toutes celles et ceux qui défendent la liberté d’informer et d’être informé, et refusent d’avoir à y renoncer pour se protéger. Nous étudions attentivement tout départ d’un journaliste vers une zone risquée, et vérifions que les conditions de sécurité sont réunies avant de l’y envoyer. Lorsque nous décidons de ne pas envoyer nos équipes, nous ne faisons pas plus appel à un pigiste qui partirait sur place et prendrait un risque à notre place.

Q : Les journalistes africains ont aujourd’hui un besoin crucial de formation alors que le continent  suscite de plus en plus d’intérêt de la part du reste du monde.  Quel apport peut-on attendre de l’Académie France Médias Monde pour résoudre en partie cette équation ?

R : L’Académie France Médias Monde forme chaque année des dizaines de journalistes sur tous les continents, et particulièrement en Afrique dans le cadre d’accords de coopération que nous avons avec de nombreux pays, et en concertation avec d’autres organismes de formation comme CFI ou l’INA. Nos professionnels offrent aux journalistes de se perfectionner aux métiers du journalisme radio, télévision et nouveaux médias, car nous avons la chance de réunir tous ces métiers à France Médias Monde, et en quatorze langues. Nous avons depuis toujours ce désir de coopérer et d’échanger avec les pays d’Afrique pour contribuer à la professionnalisation et au perfectionnement des journalistes africains, avec les meilleures connaissances et pratiques, et ainsi leur donner plus de force dans leur statut. L’installation d’une rédaction à Bamako sera l’occasion de nous investir plus encore dans cette mission aux côtés des journalistes et techniciens maliens.

Q : Il est aussi question d’éventuelles journées spéciales autour de l’impunité de crimes commis contre les journalistes dans l’exercice de leur fonction. De quoi s’agit-il précisément ?

En la mémoire de Ghislaine Dupont et Claude Verlon, la journée du 2 novembre a été décrétée par les Nations Unies « Journée internationale de lutte contre l’impunité des crimes commis contre les journalistes ». Tout particulièrement concerné, le groupe France Médias Monde s’est mobilisé à l’occasion de cette journée spéciale. Dans un monde où les zones de crises se multiplient et les journalistes deviennent des cibles, le 2 novembre, RFI, France 24 et Monte Carlo Doualiya ont proposé un fil rouge sur toutes leurs antennes et leurs sites Internet autour de la thématique « Que serait un monde sans info ? ». Nous souhaitions ainsi sensibiliser nos auditeurs, téléspectateurs et internautes du monde entier à l’enjeu démocratique essentiel que constitue le droit à l’information.

R : Avez-vous un message à l’endroit de vos confrères et auditeurs africains ?

A la mort de Ghislaine et Claude, ils ont eu un rôle capital pour nous aider à rester debout, pour nous dire de continuer dans la voie tracée par ces deux grands professionnels. Les courriers des auditeurs reçus par centaine les reportages de nos confrères des autres médias pendant ces terribles moments nous ont aidé à ne pas désespérer de l’humanité. Les Africains étaient l’autre famille de Ghislaine et Claude. Ils sont aussi la nôtre.
(Propos recueillis par M. KEITA)

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8 COMMENTAIRES

  1. Voila une tres bonne nouvelle pour la sous region et un beau clin d’oeil aux anciens empires mandingues!

    Seke bonjour, peux-tu nous dire d’ou vient l’ecriture N’ko??

  2. Pensez-vous que cette RFI fera la promotion d’une langue qui va concurrencer avec le Français?? Arrêtons de rêver un peu et prenons nous même les initiatives..

    • @ApemaMali.Pour ton info.RFI émet déjà en Vietnamien, en Cambodgien, en chinois, en arabe…Ce qui compte pour RFI, c’est l’AUDITORAT!Il existe bien sûr l’OIF (la francophonie qui s’occupe de la promotion de la langue française)et RFI un groupe, une société qui s’occupe de la radiodiffusion à travers le monde dans plusieurs langues.Tu as raison de dire que c’est nous mêmes qui devrions faire ça.Mais faute de moyens et de concordance de point de vue entre les Etats africains, tu sais bien comment ça se passe en Afrique! 😉

  3. a ké ni doumayé ba
    ah il faut aussi reconnaitre que au Mali il y a pas que des mandigue; mais cas même je trouve que c’est une bonne initiative

    • @maniga.Au Mali il n’y a pas que des maninka mais quand tu dis NKO, tout le monde comprend: de la Séné-Gambie au Niger en passant par la Sierra Leone, le Liberia, la Mauritanie, les Guinées,le Niger, le BF, la RCI et même le Nigéria!!C’est donc une opportunité à RFI de toucher un très grand nombre d’auditeurs et une occasion pour nous peuples d’Afrique de l’ouest de se retrouver autour d’une langue que nous avons en partage en plus des langues héritées de nos puissances coloniales. 😉

  4. Très belle initiative de RFI avec son projet d’émettre en langue Mandingue depuis Bamako!Cette langue avec ses variances(Bamanan-dioula-dafing-khassonké-dogono…)est parlée dans tous les pays d’Afrique occidentale.N’oubliez pas d’associer à votre projet (si ce n’est pas déjà fait)nos académiciens de l’écriture N’KO (Karamoko Bamba-Ismael Diabaté et les partenaires vivant en Guinée-Gambie-Sierra Léonne-Libéria-Tambacounda….) qui profitera en réalité à toutes populations établies sur le territoire de l’ex-empire du Mali à son apogée (sous Kankou Moussa). 😉

    • 🙄 Merci, Sambou, d’avoir souligné ce que l’académie Nko peut leur apporter pour le succès de cette initiative…

      En effet, le Nko est l’écriture qui englobe et transcrit fidèlement toutes les branches de la langue manding que tu viens citer. D’ailleurs, c’est l’absence d’écriture qui a favorisé l’émergence de ces différentes branches, tous dérivée du véritable Nko que parlait Makan Soundiata.

      Moi-même, je suis bambara de kolokani, mais c’est une erreur de penser que c’est le bamanankan qui est l’originale, jusqu’à croire que c’est les ressortissants de Ségou qui détiennent l’original de la langue manding, non. Cela s’explique simplement par le fait que l’officialisation la plus récente d’une branche du manding date de l’empire bambara de Ségou, qui était autrefois une province du grand Mandén. sinon la langue original des bambaras c’est le mignanka et le ninafo…(d’après notre grand Professeur et historien Nko, karamoko Mahamoud Bamba).

      Bref, c’est après avoir appris le Nko que je me suis rendu compte que le Bamanankan est la branche la plus pervertie, la plus aliénée (trop d’emprunts arabe) et la plus pauvre en vocabulaire authentique, que les autres branches ont conservé.

      S’ils veulent promouvoir le patois des rues de Bamako et de Ségou, la bamankan transcrit en latin fera leur affaire, mais ils végéteront dans la médiocrité. Mais, s’ils cherchent la langue académique exploitant avantageusement le vocabulaire authentique à travers un dictionnaire de plus de 30 000 mots et expressions et deux livres de grammaires, pour la maitrise correcte de cette langue, je les conseille d’approcher le Mouvement Nko ! 😉

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