C’est dans l’immeuble flambant neuf et futuriste qui abrite le siège du Conseil national du Patronat malien, inauguré par le chef de l’Etat, le 3 août dernier, que le président de cette organisation, Moussa Balla Coulibaly, nous a reçus pour une interview exclusive dans laquelle il fait part de son retrait très prochain de l’organisation, la préparation de sa succession et les perspectives du secteur privé aux niveaux national et sous-régional.
L’Indépendant : M. Le président, nous vous retrouvons aujourd’hui dans les nouveaux locaux flambant neufs et futuristes du CNPM, que vous venez de faire inaugurer. Que ressentez-vous après avoir réalisé ce projet grandiose?
Moussa Balla Coulibaly : Je dirai d’abord que c’est l’aboutissement de plusieurs années d’efforts car depuis la création de la Fédération Nationale des Employeurs du Mali (FNEM) jusqu’au Conseil National du Patronat du Mali (CNPM) sous sa forme actuelle, énormément de choses se sont passées. Aussi ai-je la satisfaction d’avoir accompli une mission qui m’a pris énormément de temps et d’efforts, avec un accompagnement de beaucoup de mes collègues avec qui j’ai conduit les premiers pas de cette organisation, mais qui ne sont, malheureusement, plus de ce monde.
Nous étions obligés nous-mêmes de subvenir à tous les besoins. A l’inauguration, j’ai eu à en citer certains dans mon discours. Mais je pense singulièrement à quelqu’un, sur qui j’insiste particulièrement. Il s’agit de Mamadou Sada Diallo, qui fut un compagnon de route très efficace. Je peux citer aussi Gérard Achkar qui fut un de mes très bons camarades. Je ne peux pas les nommer tous ici, mais il y a eu beaucoup de gens qui ont consacré beaucoup de temps et de moyens à l’organisation. Au regard de tout cela, je peux dire que le fait, aujourd’hui, de laisser à l’organisation un siège de cette envergure signifie que nous avons tous réussi, mes collègues et moi.
L’Indépendant : Justement, vous avez choisi le jour de l’inauguration de cette grande réalisation, donc du siège, pour déclarer que vous allez quitter la tête du CNPM. Est-ce que vos camarades vous laisseront partir à ce moment précis ?
Moussa Balla Coulibaly : Vous savez, depuis un bon moment, j’ai manifesté mon désir de quitter la tête de l’organisation. Lors des dernières élections du bureau du CNPM, j’ai réitéré cette volonté de partir. Mais les collègues m’ont maintenu, en me disant qu’avec la situation que vivait le secteur privé, me laisser partir était comme une condamnation à mort de l’organisation. Dans ces milieux des hommes d’affaires maliens, il y a de grands musulmans, qui sont allés jusqu’à me dire qu’en ce qui les concernent, la mission qu’ils m’ont confiée, c’est au nom de Dieu. Raison pour laquelle il faut que je la conduise jusqu’au bout. C’est sur cette base que je suis resté et, effectivement, cela m’a permis d’en arriver à la réalisation de cette infrastructure-là, qui place le CNPM au premier rang des conseils patronaux de la sous région. Si l’on considère les organisations patronales de la Guinée, du Sénégal, de la Côte d’Ivoire, du Burkina Faso, pour ne citer que les plus importantes de la sous-région, avec toute la modestie nécessaire et en rendant grâce à Dieu, nous savons qu’aucune de ces organisations n’a a son actif une telle réalisation.
Non seulement ce siège donne une présence réelle à l’organisation, mais, en même temps, ce que beaucoup ne comprennent pas, nous avons fait en sorte que le CNPM n’occupe que ce qui est nécessaire pour lui, le reste étant un immeuble de rapport pour lui assurer des ressources financières pérennes. C’est important car aucune organisation ne peut fonctionner sans ressources financières or, en général, les gens ne payent pas leurs cotisations. Par conséquent, il faut trouver une réponse adéquate à la question des ressources financières. Au terme de toutes ces dispositions, je me suis dit qu’il est temps, maintenant, que je me retire. Il faut que l’on trouve, mes camarades, mes amis et moi, des gens capables de se consacrer à la consolidation de tout ça.
L’Indépendant : La question de votre succession ne risquerait-elle pas de briser la stabilité doublée d’un élan unitaire qui caractérise aujourd’hui le CNPM ?
Moussa Balla Coulibaly : Effectivement, j’ai essayé de faire comprendre au milieu patronal qu’il faut qu’on évite de faire des élections patronales des joutes politiques, avec des tiraillements qui ne font que nous diviser et nous affaiblir. D’abord, il faut que tout le monde sache qu’être responsable, ici au CNPM, c’est se sacrifier. Il y a énormément de temps et d’efforts qu’on sacrifie, au détriment de ses propres affaires. Je sais de quoi je parle car en un moment donné mes affaires ont périclité parce que je ne m’occupais que des dossiers du CNPM. Heureusement pour moi, Dieu a récompensé mes efforts car lorsque mes enfants ont terminé leurs études, ils sont venus reprendre les affaires, ils les ont consolidées et maintenant, grâce à Dieu, les choses marchent. C’est pour dire que diriger l’organisation n’est pas une sinécure, si l’on veut le faire sérieusement. Cela demande beaucoup d’efforts et de disponibilité, mais cela crée aussi beaucoup d’inimitiés, surtout dans les milieux du pouvoir. Parce que quand on fait ce qu’on doit faire, notamment en défendant les entrepreneurs, on est obligé d’écorcher certains.
Tout cela constitue un ensemble de risques. C’est pourquoi j’ai dit au milieu patronal qu’il ne faudrait pas qu’on se livre en spectacle pour ces choses-là. Ce qu’il faut vraiment, c’est une équipe cohérente, des gens qui se respectent et qui n’ont pas besoin de ça pour vivre. Il y a donc un tas de critères que j’ai analysés et qui conduisent à prendre un ensemble de dispositions pour appeler les gens à faire des élections patronales dignes de ce nom, donc dignes du milieu. Normalement, les élections patronales, c’est comme les élections sénatoriales d’antan, de la troisième à la quatrième République française. Ce sont des notables qui se concertent, qui se mettent ensemble et qui décident de quelque chose, sans éclat, sans aucun bruit. C’est ce que je suis en train de faire avant de partir. Il faut que je mette en place une équipe qui est acceptée par tout le monde, qui ne fait donc pas l’objet de tiraillements. Ce jour-là, c’est-à-dire le jour de l’Assemblée générale, j’espère que nous y irons pour faire la formalité d’élire une équipe.
Autre disposition que nous avons eu à prendre, c’est que nos élections sont de liste majoritaire. Si quelqu’un veut être président, il faut qu’il parvienne à aligner sur une liste les gens qui vont l’accompagner. Il faut parvenir à s’entendre avec les 18 à 19 personnes qui seront dans le bureau. Cela restreint déjà les manœuvres. Mais moi, mon travail, c’est d’œuvrer en faveur d’élections apaisées et de partir tranquillement.
L’Indépendant : Quand, justement, cette élection se déroulera-t-elle ?
Moussa Balla Coulibaly : Je suis en train de finir la préparation. On a achevé le rapport d’activités, on est en train de mettre la dernière main au rapport financier. Je compte laisser un rapport financier avec le sceau d’un comptable assermenté qui certifie les comptes. Cela est important. Vous savez, moi, je suis issu d’une famille malienne et d’une ethnie où le nom compte beaucoup. La plus grande richesse que nous avons, c’est notre nom de famille. On nous l’a donné propre, il faut le rendre aux enfants très propre. Dès que les rapports précités seront tous prêts, je vais réunir le bureau pour présenter ces documents-là et, ensemble, nous allons décider d’une date de tenue de l’Assemblée générale. Je pense que dans un mois, un mois et demi maximum, on devrait finir tout ça.
L’Indépendant : Qu’est-ce qui vous a le plus marqué, durant votre long passage à la tête de l’organisation ?
Moussa Balla Coulibaly : C’est le respect et l’estime que les uns et les autres ont constamment eus pour moi. Vraiment, cela m’a marqué. Et c’est à grâce à cela que les pouvoirs publics m’ont respecté. Moi-même, par respect pour l’estime que mes collègues m’ont manifestée, je me suis donné comme ligne de conduite de défendre l’intérêt général de l’entreprise malienne et de tenir un langage clair en la matière. Pas autre chose. Le respect et l’estime que les gens m’ont accordés m’ont beaucoup marqué et me marqueront toute ma vie. Ce sont des gens qui n’ont pas besoin de quelqu’un pour vivre, qui ont des moyens, qui sont souvent très riches, mais tous se montrent disponibles à mon égard. Quand je leur demande de faire quelque chose, ils sont toujours disposés. C’est ça que j’emporte avec moi.
L’Indépendant : A présent, quel appel avez-vous à lancer au secteur privé malien ?
Moussa Balla Coulibaly : Il faut que les opérateurs économiques comprennent la nécessité de former de grandes entreprises, dans lesquelles les uns et les autres peuvent être des actionnaires. Entre être propriétaire de quelque chose qui ne rapporte rien et être actionnaire dans quelque chose qui en vaut la peine, je crois que le choix est vite fait. C’est une nécessité pour nous de constituer de grandes entreprises parce que tous les grands travaux de chez nous sont effectués par des entreprises étrangères. Que ça soit en matière de bâtiment, travaux publics, d’aménagement du fleuve, etc.
Prenez le cas des télécommunications. Aujourd’hui c’est un secteur qui rapporte des milliards de nos francs, mais des milliards qui vont chez d’autres. La Sotelma est maintenant pour les Marocains. Orange est venue d’abord sous l’enseigne Ikatel qui appartenait à la Sonatel du Sénégal. Aujourd’hui, nous sommes à la même enseigne que nos frères sénégalais car la Sonatel elle-même est aussi pour Orange. Les Etats ont quelques actions dans ces sociétés, mais elles ne représentent pas grand chose. Pendant ce temps, ces entreprises génèrent beaucoup d’argent qui échappe aux nationaux. C’est pourquoi, il faut que, de plus en plus, les Maliens se mettent à former de grandes sociétés pour pouvoir contrôler l’économie de notre pays. C’est mon souci et il faut qu’on y arrive.
Ce n’est pas parce que je vais quitter le CNPM que je ne vais pas m’intéresser à ces choses-là. D’ailleurs, je vais être maintenant beaucoup plus libre pour dire ce que j’ai à dire et inciter les gens à prendre un chemin qui, pour moi, correspond à l’intérêt réel du Mali. Non seulement du Mali, mais de la sous-région. L’unité africaine, on en parle et c’est bien. Mais je fais partie de ceux qui pensent que l’Afrique est multiple. L’Afrique qui nous intéresse, aujourd’hui, c’est l’UEMOA. Ce n’est pas pour rien que nous avons choisi le jour de l’inauguration de notre siège, pour regrouper ici nos frères africains, dans le cadre d’un forum sous-régional. Et j’ai dit qu’il faut amener nos frères Guinéens à rejoindre l’UEMOA. A partir de là, cela nous fera un espace économique avec près de 80 millions de consommateurs, avec des richesses immenses du point de vue agricole, minier, etc. C’est une sous-région qui, si tout se passe normalement, peut être émergente en peu de temps, surtout que nous avons énormément de cadres, des ressources humaines de qualité, dans cette sous-région. Je pense qu’en quittant le CNPM, j’aurai la possibilité de mener librement certaines de ces actions et réflexions. En toute conscience.
Réalisé par Amadou Baba NIANG
Extraits du discours prononcé par Moussa Balla lors de l’inauguration du nouveau siège du CNPM par le président ATT
" Un parcours contraignant et exaltant"
Le parcours du Conseil National du Patronat du Mali, disons de la Fédération Nationale des Employeurs du Mali, fut contraignant et exaltant.
Permettez-moi à cet égard Monsieur le Président, d’avoir une pensée pieuse à l’endroit de certains pionniers qui ont commencé avec nous il y a une trentaine d’année, et qui ne sont plus de ce monde. Ces pionniers qui ont décidé avec nous, en Janvier 1980, date de la création de la Fédération Nationale des Employeurs du Mali, devenue aujourd’hui Conseil National du Patronat du Mali, de prendre leur destinée en main. Ils ont tout simplement cru au secteur privé et à ce qui va avec, et qui a fait toutes les nations libres et modernes à savoir " la libre entreprise".
Je veux nommer ici Dossolo Traoré, Mamadou Sada Diallo, Bahabène Santara, Ousmane Daou, Siaka Diarra, Mamadou Macalou, Lat Gueye, Bakary Dossolo Traoré, Tidiani Tambadou et enfin Mahamane M’bodj Touré. Puisse Allah tout puissant les accueillir dans sa miséricorde.
Ils étaient là à l’époque des " sièges errants ", lorsque les uns et les autres étaient obligés de mettre constamment la main dans la poche, pour pouvoir assurer les simples charges de fonctionnement, afin que l’organisation puisse demeurer opérationnelle. Je voudrais avec votre permission, Monsieur le Président, que l’on observe une minute de silence en leur mémoire.
Aujourd’hui, le CNPM est une organisation en plein développement dont l’audience ne cesse de croitre de jour en jour ici même au Mali et ailleurs en Afrique et dans le monde.
La constance dans l’appui et l’accompagnement, tout au long de ces trente (30) années, de l’un de ses partenaires, suscite le respect et l’admiration. Il s’agit du Bureau International du Travail (BIT). Les projets et études réalisés par le CNPM, qui l’ont été grâce à l’appui du BIT, ne sont plus à dénombrer. Du projet productivité et compétitivité des entreprises, à la récente étude pour la réalisation d’une Bourse Nationale de Sous Traitance et de Partenariat, en passant entre autres, par le projet de développement de l’entreprenariat féminin, l’étude sur l’impact de la crise financière internationale, tout y est…
L’édifice que vous allez sous peu inaugurer, n’offrira pas seulement un cadre agréable de travail au personnel du CNPM et à ses membres, avec des bureaux spacieux et bien équipés. Mais il s’agit d’un haut lieu du secteur privé, comme nous l’avons dit lors de la pose de la première pierre. Le CNPM franchit là, le seuil de la modernité, avec une grande salle de conférence d’environ cent cinquante places, une salle de formation polyvalente, un centre de formation en informatique entièrement équipé, et un centre de documentation sur les questions sociales et économiques. L’on y trouvera toutes les informations sur les différents secteurs de l’activité économique.
Nous restons par ailleurs convaincus, que la bataille du futur sera économique. La seule qui vaille aujourd’hui. Qu’on le veuille ou pas. La meilleure façon d’y parvenir, est de mettre les principaux acteurs au coeur de l’action et de l’initiative.
Il s’agit en un mot, de mettre à la disposition des organisations d’employeurs, les outils de développement nécessaires.