Interview Exclusive De Christoph Boisbouvier : “‘Hollande l’Africain’ est un paradoxe”

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Venu pour le sommet de Bamako, Christoph Boisbouvier le journaliste de RFI et de Jeune Afrique a procédé à la dédicace de son livre titré Hollande l’Africain. Un titre qui divise les lecteurs et les poussent à savoir le message que l’auteur veut réellement véhiculer. Craint en même temps que sollicité par les chefs d’Etat, nous l’avons rencontré à Maison de la presse de Bamako le mercredi 11 janvier 2017 pour une interview.

IR : Pourquoi un livre titré Hollande l’Africain ?
Christophe Boisbouvier : Un homme comme François Hollande, avant son arrivée à l’Elysée en 2012 ne connaissait pas bien l’Afrique, il était allé très peu souvent, il avait cette formule dès les années 1990 quand il était premier secrétaire du parti socialiste “En Afrique, il n’y a que des coups à prendre”. C’est d’essayer de comprendre comment cet homme qui, à priori, n’avait pas d’appétence pour ce continent tout à coup a découvert un véritable intérêt pour l’Afrique et plus que cela il a pris en janvier 2013, il y a quatre ans jour pour jour, une décision qui a pesé dans l’Histoire du Mali, j’essaye de comprendre les mécanismes qui ont amené cet homme peu préparé à ce travail à devenir chef de guerre comme il l’a été au Mali.

IR : Le titre “Hollande l’Africain” n’est-il pas ironique ?
C. B. : C’est vrai que “Hollande l’Africain” est un paradoxe, pour la petite histoire pendant sa traversée du désert, il n’est plus secrétaire du Parti socialiste, il n’est pas encore président, il fait un livre, un journaliste africain l’interroge mais M. Hollande pourquoi vous n’allez pas en Afrique ? Il répond si si si, je vais. J’ai été au Sénégal, j’ai été en Côte d’Ivoire… J’ai cherché en fait au moment où il déclarait cela il n’avait jamais été en Côte d’Ivoire. Donc ça veut dire qu’il y avait un certain malaise de sa part de reconnaître qu’il ne connaissait pas bien l’Afrique et qu’en fait le titre “Hollande l’Africain” est un titre paradoxal. Cela dit, il faut reconnaître les choses pendant son quinquennat il a été un homme d’influence en Afrique et qu’on le veuille ou non, il a appris à connaître, il a travaillé, il s’y est mis. Il a été aidé surtout par Laurent Fabius qui était le ministre des Affaires étrangères qui connaissait le dossier, mais surtout par Yves Le Drian le ministre de la Défense qui est devenu d’une certaine façon le Monsieur Afrique du gouvernement français.

IR : Certains grands vous critiquent de ne pas traiter assez la question de Kidal. Qu’en dites-vous ?
C. B. : C’est vraiment important pour moi d’être venu à Bamako pour comprendre. Je n’avais pas saisi avant de revenir en janvier 2017 combien la question de Kidal était une blessure dans le sentiment national malien à ce point. C’est vrai que si ce livre était à réécrire peut être demain il faudrait-il que je fasse un deuxième travail sur peut être la fin de François Hollande et le travail à venir de son successeur ou la successeuse en ce moment-là, j’irai plus profondément sur la question de Kidal.
Je crois en réalité sur la question de Kidal il y a deux France : il y a la France de l’armée française, le ministère de la Défense en quelque sorte qui estime que Kidal comme les autres grandes villes du Nord-Mali doivent revenir à la souveraineté de l’Etat malien et vous avez la DGSE c’est-à-dire les services secrets Français qui pensent que ce qui est prioritaire c’est le maintien de contacts avec un certain mouvement armé du Mali ce qui fait que la question de souveraineté de Kidal reste secondaire. Je pense en fin une dernière chose : François Hollande est Français, il n’est pas Malien, il n’a pas conscience de la blessure de l’orgueil national malien. C’est pourquoi le retour de la souveraineté du Mali à Kidal n’est pas une priorité.

IR : Comment voyez-vous de la politique franco-malienne après Hollande ?
C. B. : la politique franco-malienne après Hollande dépendra beaucoup de qui gagnera la présidentielle française. Si vous avez un successeur proche des positions de François Hollande, je pense par exemple à Manuel Valls, Emmanuel Macron et même Reymond Tobour, je ne vois pas pour l’instant de grandes différences dans la politique africaine à venir. Manuel Valls, il ne faut pas l’oublier, a été quand même son Premier ministre ces deux dernières années, donc je pense à une continuité. Si c’est la droite par exemple, François Fillon est passé à Bamako. Et il a certifié, assuré à IBK s’il est élu que l’armée française sera maintenue au Mali. Donc là aussi je vois une continuité. Mais si c’est Jean-Luc Mélenchon ou Marine Le Pen là je ne maîtrise pas. Je pense qu’il aura des différences mais là encore on n’a pas tous les paramètres. On ne connait pas encore le programme de la candidate Le Pen. Pour l’Afrique et pour le Mali, il faut encore attendre.

IR : Ce Sommet représente certainement le dernier pour François Hollande. Quelle empreinte peut-il laisser ?
C. B. : Je pense que pour François Hollande ce sommet c’est une sorte de jubilé, c’est-à-dire qu’il revient quasiment quatre ans jour pour jour après le lancement de l’opération Serval. François Hollande, vous l’avez vu le 1er décembre, a renoncé à se présenter à la prochaine élection présidentielle Française. C’est dur pour lui de quitter la scène politique parce que c’est quelqu’un qui a consacré toute sa vie à la politique.
Je pense qu’il a à cœur quand il va quitter l’Elysée de laisser les clefs à son successeur ou successeuse avec un pays qui reste fort, important sur la scène internationale qui mérite toujours sa place de membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU avec droit de veto, et de ce point de vu le Mali est très important parce que l’opération Serval, pour lui, c’est une manifestation du rang de la France sur le plan international.
D’où cette fameuse petite phrase en février 2012 “Je viens sans doute de vivre la journée la plus importante de ma vie politique”. Donc, il vient ici je pense pour recevoir les félicitations de la part du président Ibrahim Boubacar Keita, et de ses pairs africains qui seront nombreux à priori à Bamako. Maintenant est-ce qu’il a fait la politique qu’il avait promise quand il était candidat en 2012 ?
Vous vous souvenez je romprais avec la France-Afrique, je ne laisserais pas faire les élections frauduleuses. Beaucoup vous dirons il n’a pas tenu parole, il a laissé beaucoup faire d’élections frauduleuses en Afrique et il n’a pas rempli le contrat. C’est toute l’ambivalence de l’homme politique François Hollande.

IR : Vous faites allusion à quelles élections frauduleuses où Hollande a fermé les yeux ?
C. B. : Vous avez une série d’élections très contestées depuis 18 mois notamment en l’Afrique centrale où un certain nombre de chefs d’Etat ont modifié leur Constitution soit pour briguer un troisième mandat soit pour être réélus dès le 1er tour. Il y a plusieurs exemples vous avez le Tchad, le Congo-Brazzaville, la Guinée équatoriale, Djibouti et le Gabon bien sûr. Dans tous ces pays, les élections font polémiques depuis 18 mois et où François a pris acte de la réélection des chefs d’Etats qui refusaient l’alternance. Ce n’est pas le François Hollande qui avait promis quand il était candidat qu’il s’opposerait à toute action, élection frauduleuse quand il sera président.

I.R : Pourquoi vous avez choisi le Mali pour dédicacer ce livre ?
C. B. : Le choix du Mali est naturel, pour deux raisons parce que c’est le pays où François Hollande a pris la décision la plus difficile de son quinquennat. C’était l’opération Serval en janvier 2013. Puis c’est plus personnel mais fondamental. C’est la terre où sont morts mes amis de RFI Gislain Dupond et Claude Verlon. J’ai été très marqué par la solidarité des confrères, consœurs et amis maliens. Je me rappelle le 4 décembre 2013, nous avons marché de la Maison de la presse jusqu’au Quartier du fleuve. Cette solidarité perdure. J’espère que le juge malien chargé de l’enquête va pouvoir rejoindre le pôle anti-terroriste du palais de la justice pour qu’un jour les assassins soient retrouvés et que justice soit rendue.
Réalisée par Zoumana Coulibaly

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