Interview Exclusive de ATT – Le Nouvel Homme Fort du Mali Revèle… (1991) : « Pourquoi je ne veux pas le pouvoir »

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Un mois après avoir renversé Moussa TRAORÉ, le lieutenant-colonel Amadou Toumany Touré n’a toujours pas déménagé. Il continue de résider dans une petite maison vétuste de trois pièces. Située au (camp Paras) de Djikoroni, à l’ouest de Bamako. S’il ne tenait qu’à lui, à son épouse et à  leurs deux filles, ATT, comme l’appellent ses compatriotes, y resterait. Pour ne pas avoir la grosse tête  dans une résidence officielle. Mais, pour des raisons de sécurité, il devra s’installer ailleurs. En tout cas, pas au Palais de Koulouba, que le Président déchu avait aménagé.rn

Le Lieutenant Colonel a quelque difficulté à changer ses habitudes. Naguère, son logement servait de « vestiaire » à ses amis qui venaient disputer un match de foot au camp. Et, en dépit des appréhensions de sa femme, il va à son « grin » cercle où, par groupes d’amis, les Bamakois aiment se retrouver. Pour lui, une manière de rester en contact avec ce que pense « l’homme de la rue » alors qu’il s’est subitement trouvé propulsé à des responsabilités nationales.

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Mais il mesure à leur valeur les promesses qu’il a faites :l’armée retournera dans ses casernes après la période de neuf mois que lui, lieutenant-colonel Amadou Toumany TOURÉ, doit passer à la présidence du Comité de Transition pour le Salut du Peuple (CTSP) avec rang de Chef d’Etat.

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Pour la première fois, l’homme se livre dans les pages qui suivent. II s’explique, il explique sa  honte. Il raconte ce que fut « la plus belle journée » de sa vie. II renouvelle ses engagements, dit pourquoi il s’est enfin décidé à renverser le régime de Moussa TRAORÉ. Et pourquoi son ambition, « de taille », est de donner à ses concitoyens et aux autres l’image de militaires capables de tenir leur parole.

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Jeune-Afrique : Vous promettez la démocratie. Mais comment peut-on croire les promesses des militaires ?

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Amadou Toumany TOURÉ :  Etre soldat et démocrate n’est pas toujours contradictoire, l’armée est un des remparts de la démocratie. De plus, il existe aujourd’hui en Afrique une nouvelle génération de militaires qui, eux, savent ce  que démocratie veut dire. Après les changements en Europe de l’Est et surtout après la lutte que notre peuple a lui-même menée pour la démocratie, la mission de notre armée était connue : renverser le régime et instaurer la démocratie

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J.A. : Pourquoi avoir attendu qu’il y ait tant de morts pour agir ?

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A.T.T. : Il n’était pas facile de déterminer le moment opportun. Certains ici pensent que nous sommes intervenus trop tôt! Mais, franchement, c’est le vendredi 22 mars (jour des premières tueries, qui feront plus de trois cents morts, NDLR) que nous avons compris que Moussa avait atteint le point de non-retour et que nous devions intervenir.

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J.A : Vos parachutistes ont dû participer aux tueries…..

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A.T.T. : Non. J’affirme que non. Vous ne me croirez peut-être pas, mais, à l’heure où je vous parle, je ne le sais pas encore ! Tant que nous n’aurons pas déterminé les responsabilités, je ne peux rien dire. Moi-même j’étais hors circuit et je n’ai repris du service que deux jours avant le 22 mars. Depuis mon retour de l’Ecole de guerre [de Paris, NDLRI] en janvier 1991, j’étais au chômage !

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J.A.: Que faisiez-vous le vendredi 22 mars ?

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A.T.T. : J’étais dans mon lit…

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J.A. : Vous n’allez pas me faire croire que vous ressemblez à un certain officier devenu chef d’État, qui affirme qu’il dormait ou était malade chaque fois qu’il faisait un coup d’Etat ou faisait exécuter des adversaires !

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A.T.T. (scandalisé) : Je ne dormais pas. Ma conscience me rongeait. J’avais vraiment honte d’être un officier.

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J.A. : Je me suis laissé dire que vous vouliez renverser Moussa Traoré depuis long temps…

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A.T.T. : C’est vrai, je l’avoue. Depuis… au moins 1979 ou 1980. Je m’étais rendu compte que Moussa ne servait plus les intérêts du pays. C’était l’affairisme, le népotisme intégral, les louanges, les grands boubous [petit rire]. Je n’ai rien les grands boubous, mais il ne pensait plus qu’à ça.

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J.A. : Et vous avez attendu dix ans…

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A.T.T. : Je reconnais que j’ai mis du temps pour me décider. C’est bien la cause de ma honte. Mais il fallait prendre les contacts, ne pas se trahir… Car même dans l’armée régnaient suspicion et délation. Je me suis dit que le jour où le peuple comprendrait l’ampleur du mal, il bougerait et nous l’aiderions.

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J.A. : Vous étiez commandant de la garde présidentielle…

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A.T.T. : Je l’ai été pendant une bonne partie de ma carrière [huit ans, NDLR].

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J.A. : Vous avez trahi Moussa TRAORE, après avoir été son complice !…

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A.T.T. : (très calmement et me regardant dans les yeux) : je ne me vois ni complice ni traître ! J’ai prêté serment au Président de la République et non à Moussa. Parmi les missions de l’armée, nous avons celle de sauvegarder la dignité de notre pays, son intégrité territoriale et morale, que lui, Moussa, était en train de bafouer.

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J.A. : Quand exactement avez-vous décidé d’agir et selon quel plan ?

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A.T.T. : A partir du 22 mars, quand les gosses ont exposé leurs poitrines aux balles, suivis de leurs mères – nos sœurs, nos femmes -, on ne pouvait plus hésiter. J’avais prévu deux solutions. D’abord prendre le risque de convaincre des camarades officiers que Moussa ne pouvait plus rester et qu’il fallait le renverser.

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Ensuite et en cas d’échec dans cette tâche, j’aurais conduit le bataillon de parachutistes pour nous mettre aux côtés du peuple.

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J.A. : Comment pouviez-vous être sûr que les paras allaient vous suivre ?

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A.T.T : Ils m’auraient suivi ! Ils n’attendaient qu’un signe. Et puis nous avions déjà pris contact avec certaines organisations civiles, [en particulier, avec Me Demba Diallo, président de l’Association des Droits de l’Homme, et le Secrétaire général de l’Union nationale des travailleurs, Bakary KARAMBÉ, qui seront les premiers informés du succès de l’opération, NDLR].

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J.A. : Quand avez-vous commencé à entrer en contact avec les organisations démocratiques ?

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A.T.T. : (souriant) : Oh ! Bien avant le 25 mars [jour de l’arrestation de Moussa Traoré, NDLR]. Je crois même que c’était le 22 janvier [veille de la grande marche à Bamako, organisée par toutes les organisations démocratiques, NDLR].

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J.A. : Comment avez-vous pu convaincre des officiers proches de Moussa ?

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A.T.T. : En leur expliquant que c’était la seule manière de limiter les dégâts…De fait, il n’y eut point d’effusion de sang. Mon idée était de s’emparer  de Moussa et de son épouse pour les livrer à la justice. De quoi aurais-je eu l’air si Moussa et son épouse avaient été gravement blessés ?

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J.A : Les considérez-vous déjà comme coupables ?

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A.T.T. : Je pense que ce n’est pas un homme qui doit être jugé, mais un système à travers un homme.

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J.A. : Considérez-vous que vous avez fait un coup d’État à proprement parler ?

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A.T.T. : (après réflexion) : Assurément, dans la mesure où cela a été exécuté par des militaires pour changer le régime en place.

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J.A. : Dites-moi la vérité : vous vous êtes arrangé avec des proches de Moussa Traoré, pour le soustraire à la colère du peuple ?

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A.T.T. (souriant) : Certains ont pensé que nous avions arrêté Moussa pour avant de lui permettre de quitter le Mali. Mais ce n’est pas vrai. Les faits sont là : nous l’avons arrêté, nous le gardons et il ne partira pas. Il reviendra à la justice de se prononcer sur son sort.

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J.A. : Comment les organisations démocratiques ont-elles jugé votre action après tout bien tardive ?

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A.T.T. : Je l’ai dit et je le répète: l’action de l’armée n’a fait que couronner celle de la population, des jeunes, des femmes, des organisations démocratiques. Nous avons fait ce qui restait à faire : capturer Moussa. Mais cette capture a réconcilié l’armée avec le peuple.

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J.A. : Comment s’est passée votre première rencontre avec la population ?

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A.T.T. : De la manière la plus simple mais la plus chaleureuse. Dix heures après l’arrestation de Moussa, nous étions à la Bourse du travail [place où se tenaient les réunions publiques, NDLR] avec la coordination des organisations démocratiques pour serrer la main de nos aînés, les remercier et leur demander de pouvoir travailler avec eux. J’étais vraiment heureux.

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J.A. : Ce premier bain de foule peut vous monter à la tête et vous faire croire que vous êtes populaire !

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A.T.T : Non. Je ne crois pas que le pouvoir puisse me monter à la tête. On en reparlera en tout cas quand nous aurons terminé nos neuf mois [le régime transitoire doit se terminer fin 1991, NDLR].

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J.A : Les gens ne veulent plus de l’armée au pouvoir. Ils n’ont cessé de le dire. Les avez-vous entendus ?

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A.T.T : Il faut reconnaître que l’armée avait essuyé des insultes avant le 25 mars. Le peuple était là, se battait, mourait, et l’armée tardait à intervenir. Cette attitude a été considérée comme une certaine complicité des militaires avec le régime. Il faut accepter ce jugement du peuple. Mais le jour où l’armée à pris ses responsabilités, montrant qu’elle ne servait pas Moussa TRAORÉ, le peuple a compris et reconnu qu’elle était avec lui.

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J.A. : Les militaires qui ont fait un coup d’État ont prétendu l’avoir fait avec et pour le peuple, avant de se révéler être des dictateurs…

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A.T.T. : Dès le départ, j’ai dit ceci à mes camarades: « Nous n’avons pas pris le pouvoir pour le pouvoir, nous l’avons pris pour le peuple, qui s’est battu avant nous. Rendons hommage à la bravoure de notre jeunesse et des organisations démocratiques ». Nous n’avons fait que parachever une œuvre qui avait commencé sans nous.

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J.A. : Il empêche, c’est maintenant vous qui êtes au pouvoir !

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A.T.T : Ah non ! J’ai tenu à mettre tout le monde en garde. Nous avons promis à nos partenaires parmi les organisations que nous rentrerions chez nous, dans nos casernes. Et j’ai précisé devant mes camarades que nous le ferions en janvier 1992, en ajoutant que ceux qui veulent faire de la politique n’ont qu’à ôter leurs galons et adhérer à un parti.

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J.A. : Vous-même, quelles sont vos intentions : ôter vos galons ou retourner à la caserne ?

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A.T.T : Pour le moment, j’ai l’intention de retourner à la caserne. Après, on verra bien.

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J.A. : Votre « pour le moment » laisse entendre que vous pourriez être tenté de vous mettre en réserve de la République...

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A.T.T. : Ah non ! Je n’entends pas du tout faire de la politique. Je n’y ai pas pensé.

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J.A. : Mais, une fois de plus, comment croire en la parole de militaires dans un pays où l’on a déjà entendu les mêmes promesses ?

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A.T.T. : C’est justement parce que nous avons souffert d’un régime militaire, avec le CMLN de sinistre mémoire [Comité militaire de libération nationale, pré5 Moussa TRAORÉ, qui avait renversé le régime de Modibo KÉITA en novembre 1968, NDLR], que nous n’avons nullement l’intention de rééditer la même expérience..

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J.A. : Des militaires pourraient être tentés par un coup d’État avec ou contre vous …

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A.T.T. : Contre moi ? Pourquoi donc ? Je m’en vais à la fin de l’année! J’espère bien que nos militaires seront capables de tenir leur parole et respecter les règles démocratiques. Le peuple malien a tellement souffert que ce serait là un beau cadeau que nous pourrions lui offrir : qu’il soit fier de son armée.

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J.A. : Vous n’avez donc pas d’ambition ?

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A.T.T. : Bien sûr que si ! Et elle est de taille : réussir ma mission de neuf mois pour mettre en place les bases de la démocratie, organiser la conférence nationale en juin, faire en sorte que le Mali ait une constitution démocratique, organiser les élections dans la transparence et la dignité. Puis, pour couronner le tout, défiler le 20 janvier 1992, anniversaire de l’armée, devant un Président de la République régulièrement et dignement élu, avant de retourner à la caserne.

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Interview recueillie à Bamako, par Sennen ANDRIAMIRADO

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Source : jeune Afrique n°1583  du 1er  au 7 mai 1991, p. 18

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