Interview du maire de la Commune II : «Si les députés ignorent leurs prérogatives, ils ont été élus pour eux-mêmes»

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Youssouf Coulibaly est le 1er maire Adéma de la commune II. Après avoir servi sous le drapeau pendant 30 ans où il en sort avec le grade d’Adjudant Chef, il appuie un ami dans l’atteinte de ses objectifs politiques. Un des premiers militants du parti en commune II, son fief est Bagadadji. Modeste et d’un esprit très ouvert, il pose des actes très salutaires depuis son élection à la tête de la mairie de sa commune. Il s’est prêté volontiers à nos questions.

Le Zénith Balé : Après plus de deux ans de gestion, quel est votre état d’âme à la tête de la mairie ?
Youssouf Coulibaly : Merci beaucoup pour cette belle question et embarrassante. Après deux ans de gestion, mon état d’âme, je peux vous dire qu’il est un peu mitigé. Parce que quand je vois l’état dans lequel j’ai trouvé la commune, sinon la situation que j’ai héritée n’était pas du tout fort aisée. Le constat était très amer voire négatif. C’était une mairie sans administration, sans feuille de route, en un mot sans existence. Il a fallu que nous venions. Alors, après constat, analyse, concertation, affectivement réflexion nous nous sommes donnés une feuille de route. Comment faire pour rehausser ou réparer toutes ces insuffisances qui minent la commune ?
Alors, nous avons mis l’administration en place. Les gens vont s’étonner certainement en se demandant comment sans administration, une mairie peut travailler. Parce que si je dis sans administration, en venant auparavant à la mairie on ne savait pas qui fait quoi. Un exemple, on ne savait même pas où déposer un courrier, comment les adjoints travaillent, quelles sont leurs prérogatives, etc. Donc, nous avons pu, grâce à Dieu et à notre persévérance, redresser l’administration. En quoi faisant ? D’abord en insérant un cahier administratif qui s’appelle courrier arrivée – départ. Vérifier l’effectif de la mairie, la ponctualité des agents entre autres. Parce qu’avant, certains ne venaient qu’au moment de la paye. Ainsi, nous avons pris des engagements en mettant des enjeux pour ceux-là qui pourront se corriger et accepter prendre notre allure, ils seront sanctionnés par des motivations et des certificats de félicitation.

Donc, l’un dans l’autre, il n’a pas été facile, car l’habitude qui s’était installée pendant des années, ce n’était pas évident de changer cette mentalité au bout de six mois. Le redressement de l’administration nous a pris à peu près un an.

Il fallait ensuite redresser les finances. Les finances, pourquoi ? Tout simplement, l’argent est le nerf de la guerre et sans argent il n’y a pas de développement. Parce que la commune II est la 1ère de Bamako, commune des familles fondatrices. Où le jour, tout Bamako se converge. Alors, nous avons à peu près un effectif d’un million de personnes journalièrement dans notre commune. Hors, la population de la commune II elle-même ne dépasse pas 208.000 personnes. Donc quand tu gères 8 millions de personnes de façon temporaire et de façon continuelle pendant des années et journalièrement, ce n’est pas sans désagrément. Alors, comment faire pour parer à tout ça ? Comment faire pour que nous puissions effectivement faire face à toutes les obligations qui sont là avec ces créations d’opportunités de charges ?

La C.II qui est la commune centrale n’a pas d’équipements marchands dignes de ce nom. Parce que nous avons pas mal d’équipements marchands mais quand tu les regardes sur le territoire de la C.II, tu as l’impression qu’elle est aisée et qu’elle a tout. Mais, au fond nous ne bénéficions rien de tout ceci. Je m’explique. Le marché de Médine qui est un marché potentiel de Bamako qui draine à peu près 500.000 personnes par jour appartient au district. Le recouvrement est entièrement fait par le district. Donc, notre commune n’a aucune ristourne de ces recouvrements. Ensuite, la zone industrielle où il y a les grandes entreprises, là-bas également nous ne bénéficions rien. Pourtant, c’est nous qui ramassons les désagréments avec les produits chimiques, les déchets entre autres. En plus de cela, il y a un marché non moins important appelé marché des bananes derrière l’hôtel de l’Amitié. C’est un marché qui génère des fonds et a une activité d’environ 5000 personnes par jour. Là aussi, nous ne tirons aucun profit. Nous avons un autre secteur économique à Niaréla appelé Bounbocononi, en face de GGB, il est aussi au compte du district. Au moment de l’Udpm aussi, le régime en place a eu à changer les limites territoriales, le grand marché qui faisait partie de la C.II est basculé dans la C.III. Donc, l’un dans l’autre la C.II peine parce que les ressources que nous devons avoir pour faire face à nos obligations manquent. Mais, l’attente de la population est très très grandissante. Que faire ?

Nous avons innové. Nous avons dit qu’il faut voir les miettes que nous avions et d’y faire face. Alors, il faut essayer de les motiver, les mobiliser pour voir ce que l’on peut faire. C’est là où nous avons eu à faire des changements, des permutations de certains cadres pour voir comment on peut mettre qui, où, afin d’avoir un résultat. Ceci a été fait et Dieu faisant les choses, ma commune n’avait jamais pu recouvrir plus de 90 millions par an. A notre venue, déjà à la 1ère année, nous étions à plus de 220 millions de recouvrement. Cette somme avec une masse salariale de 23 millions, ce qui veut dire déjà que nous avions pu recouvrir le salaire de l’année. Ayant pu dégager le salaire de l’année, il fallait être regardant pour autres choses notamment les infrastructures, l’assainissement. Nous avons motivé le personnel et on s’est demandé qu’est-ce qu’il faut faire. Il faut améliorer le cadre de vie en essayant de donner une image de propreté et d’hygiène à nos citoyens. Ainsi, nous nous sommes mis dans une opération de curage des caniveaux, de balayage des rues et des recouvrements, des accotements des rues et des artères bitumées qui sont en cours. Nous nous sommes dits aussi qu’il faut changer de stratégie. Alors, nous avons dit que nous travaillons avec les impôts, ils ont des agents qui peuvent faire des recouvrements par rapport aux patentes et licences. Mais, ils nous ont dit qu’ils n’ont pas de moyens. Nous avons dit si nous vous donnons les moyens, pourriez-vous nous donner la contrepartie. Ils ont accepté de nous la donner en espèce. Et puis nous avons demandé leurs besoins, 5 motos. Sans détour, je leur ai promis 10 motos Jakarta que nous avions payées pour eux. Pour améliorer le recouvrement à ce niveau. C’est clair, pour avoir de l’argent, il faut accepter d’investir.

Et depuis notre 1ère année, sachant la précarité, nous avons cherché des moyens de financement. Dieu faisant les choses, il y a eu la visite de Alain Joyandé, en son temps ministre de la Coopération française, dans notre commune. Il est venu voir les investissements de l’agence française de développement (AFD) dans notre commune, il a été épaté par notre sérieux. Et nous lui avons dit ce dont nous avons besoin en matière d’assainissement, de mobilité urbaine, de lutte contre la pauvreté, d’amélioration des conditions de vie. Nous avons eu un débat très sincère et fructueux avec lui et au bout du rouleau, il nous a demandé de préparer un document et de l’envoyer à l’AFD, qu’il verra ce qu’il peut faire. Lorsque nous l’avons fait, l’AFD a fait déplacer le vice-président du conseil d’administration pour venir nous notifier que nous sommes éligibles à leur programme à la fourchette de 17 milliards de FCFA pour 5 ans.

Voilà un peu ce que nous avons entrepris. Mon état d’âme après ces 2 ans de gestion est que je suis un peu fier de mon équipe, de tout ce qu’on a eu à améliorer au niveau de la commune, mais je reste tout a fait réservé et modeste en disant que je ne suis pas totalement satisfait parce que cette commune pouvait encore mieux faire si réellement nous étions appuyés, compris, à nos côtés certains responsables de notre commune pour améliorer les conditions de vie de la population. Je pense que dans les années à venir, nous pouvons être plus à l’aise et fiers parce que notre ambition, c’est de faire en sorte que cette commune soit une commune pilote. Parce que c’est un mérite. Nous ne pouvions pas être fondateurs d’une capitale et ne pas voir cette capitale rayonnante. Mon ambition est que j’ai un devoir de pacte vis-à-vis de ma commune, je veux que tous les enfants de la commune se placent dans ce contexte et qu’ils se battent qu’on arrive à la rehausser.

ZB : M. le maire, les populations de la C.II ne sentent pas leurs députés. Qu’en est-il pour vous en tant que 1er responsable de la mairie ?
Le maire : Merci bien. Je n’ai vraiment rien contre qui que ce soit. J’ai un devoir moral de dire la vérité. Un député pour moi est un élu comme un maire, un conseiller municipal. Et les élus, pour moi, doivent travailler en synergie pour le mieux être des populations ou de leurs électeurs, au minimum. Or, le député il est à un niveau supérieur, un niveau d’écoute assez important. A mon avis, c’est le député qui devait être là pour l’ouverture des voies, des chemins, des opportunités et que les élus municipaux profitent de ces ouvertures pour consolider sinon fructifier les acquis de la commune. Mais quand il n’y a pas ce tandem donc les élus municipaux se trouvent laissés pour compte parce qu’ils n’ont pas les voix aux chapitres comme un député. Je vous dis que depuis que nous sommes là, certains de nos députés n’ont jamais mis pied ici même pas une fois. Alors que c’est ici qui doit être leur point focal pour au moins atteindre la population cible afin de pouvoir exécuter les programmes communaux que les élus municipaux ont en vue sous la houlette des députés. Si les députés ignorent leurs prérogatives, leurs propres forces, leur puissance, pour moi, ils ont été élus pour eux-mêmes. Et ces indemnités, ces avantages qu’ils bénéficient, en toute honnêteté ne sont pas quelque part compensés dans les actes ou à l’endroit des populations. Donc, je peux vous dire que mes députés, nos députés, en toute honnêteté, sans méchanceté, sans animosité ne nous ont pas du tout accompagnés dans l’exécution de notre mission et on ne les sent pas. Mais, nous aurions souhaité vraiment les sentir.

Pourtant, nous les avons approchés. Un exemple, lorsque nous avons eu des problèmes avec le gouverneur par rapport à la gestion des rails, nous les avons touchés. Et à ce niveau, il faut saluer honnêtement Hady Niangado qui a fait des démarches très salutaires pour essayer de nous concilier, pour essayer que l’on ne soit pas piétiné à ce niveau parce qu’il connaissait nos réalités. Parce que n’eut été ses interventions, on allait être piétiné par les autorités de tutelle en son temps. Mais Dieu merci, grâce à lui, le truc a été aplani. Qu’à cela ne tienne, le maire a eu une lettre d’explication parce qu’on a tout porté sur son dos, des déformations, on a colporté les choses qui n’avaient aucune vraisemblance. Ce n’est pas grave car il faut avoir le dos large. L’important, si on est conscient, qu’on n’est pas sur du mauvais chemin et qu’on n’a rien contre qui que ce soit, je pense qu’on peut être à l’aise. On s’en tient au code de la décentralisation, aux lois du pays pour évoluer. Si quelqu’un n’est pas content parce que la loi s’applique, ça n’engage que lui mais en ton fort intérieur, tu es tranquille.

ZB : Quel est l’état des lieux aujourd’hui de la maire ?
Le maire : Dieu merci, la commune se sent bien. Parce que nous sommes en train d’évoluer de façon sûre, lentement mais positivement. Aujourd’hui, nous ne sommes dépendants de qui que ce soit par rapport aux engins d’assainissement ou de cuirassement. Nous avons pu nous les octroyer depuis le début de notre mandat. Et encore, nous travaillons avec des ONG qui nous font confiance et qui ont réitéré leur confiance. Je peux vous dire qu’avec l’EDM, nous avons pu combler l’insuffisance qu’on avait en matière de ravitaillement en eau potable en construisant un surpresseur de haut niveau au niveau de l’Hippodrome pour mettre fin au calvaire de ravitaillement en eau potable de ces populations paisibles. Mieux encore, cette année, nous allons injecter à peu près 40 millions sur fonds propres pour le curage des caniveaux au niveau de la commune. A cet effet, nous sommes passés dans les quartiers en assemblée générale en demandant aux jeunes de se regrouper en GIE et qu’au moment opportun nous allons leur donner du boulot, mais je vous dis qu’à la date d’aujourd’hui (NDLR : le samedi 25 juin), nous n’avons même pas une cinquantaine. Il y a donc plus de travail que de GIE mais on aurait souhaité qu’il y ait plus de GIE que de travail. Malheureusement, c’est le contraire qui se produit. On veut distribuer les caniveaux aux GIE avec au moins un caniveau par GIE, au moment où nous parlons, nous sommes obligés de donner 2, 3, 4 ou plus à un seul GIE. S’il n’est pas performant, les travaux ne vont pas rapidement comme nous le souhaitons. Et si la jeunesse s’était mobilisée, ce vide allait être comblé. Pourtant, ils ont été avertis que nous n’avons pas à vous distribuer de l’argent mais nous allons vous donner du travail à monnayer. Ce travail est là, cette opportunité est ouverte, il n’y a pas de jeunes. C’est marrant dans une commune comme la nôtre où on dit qu’il n’y a pas de boulot. La mairie s’est débrouillée à chercher de l’argent, à créer des boulots, le constat est écoeurant. Je ne suis pas parfait mais je veux être correct. Je veux que chaque fois qu’il y a quelque chose, que je sois tranquille avec ma propre conscience. Honnêtement !

Je profite de l’occasion pour saluer mon secrétaire général qui est au four et au moulin, qui fait en sorte que tous les programmes soient exécutés. Mais hélas, sans appui, on ne peut pas avancer, je peux dire qu’il est presque seul.
Par Boubacar DABO

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