Youssouf Coulibaly est le coordinateur des thésards du CHU Gabriel Touré. Les thésards, ce sont les étudiants qui ont fini avec les examens à la Faculté de médecine et qui font une thèse pour avoir leur diplôme de Doctorat. Ces thésards sont aux côtés de leurs encadreurs dans les différentes structures sanitaires. La coordination regroupe l’ensemble du collectif de tous les étudiants en année de thèse au CHU Gabriel Touré.
ZB : le constat est amer mais il faut le dire, rien ne va plus au CHU. Vous qui êtes les internes vous semblez en souffrir également. Pouvez-vous nous dire ce qui ne va pas vous concernant ?
Youssouf Coulibaly : Pour nous, c’est encore pire. Nous avons eu un grand problème. Parce que notre mouvement remonte à 2007. Si les uns et les autres se rappellent, nos jeunes frères du comité AEEM ont été incarcérés durant neuf mois, c’était à la suite de la demande d’une indemnité à l’endroit des thésards. Finalement cette indemnité a été octroyée et ce montant est de 500 FCFA par jour par thésard. Cette somme modique qui nous est octroyée n’est payée que par trimestre, soit 45.000 FCFA. Depuis 2007, cette indemnité est un acquis, il faut savoir qu’il ne vient pas d’une structure de santé quelconque mais du budget du ministère. Donc, des caisses de l’Etat.
Soulignons que la 1ère tranche soit celle du 1er trimestre a été payée le 24 avril 2010 ; la 2ème le 7 août mais à notre grande surprise lorsque nous avons été réclamés la 3ème le vendredi dernier (NDLR 5 octobre) qui devait être payée depuis le 1er octobre, le Directeur général de l’hôpital Dr Abdoulaye Néné Coulibaly nous l’a promis pour ce mardi (NDLR 9 octobre) avant de voyager. Lorsque nous sommes venus le mardi, l’agent comptable Issa Kouyaté a dit que l’argent a été débloqué et qu’il se trouve au niveau de l’agent payeur Adama Cheick Fané. Qui malheureusement, par coïncidence ou simple fait du hasard ou je ne sais quoi a pris un congé maladie de 15 jours à compter de ce même mardi.
Le DG étant absent qu’il est parti à la Mecque ou je ne sais où le dimanche, la tension est au comble au CHU Gabriel Touré. Car, nous sommes 289 à attendre nos 45.000 FCFA (NDLR la somme fait 13.005.000 FCFA).
En fait, c’est Issa Kouyaté qui nous a tout racontés. Alors, notre conclusion est simple. Issa dit qu’il a donné le chèque à Adama. Adama absent et injoignable, le DG absent, nous avons vu le DGA Sékou Dramé qui, nous pensons qu’il est le responsable approprié à l’absence du DG mais il nous dit ceci : «Je ne suis au courant de rien. Je n’ai aucune responsabilité et je n’y peux rien. Je n’ai aucun pouvoir.» Je suis vraiment désolé, à la fois sidéré. Vous l’imaginez, c’est très grave que le DGA dit qu’il n’a aucun pouvoir à l’absence de Abdoulaye Néné. Est-ce alors à dire que le CHU appartient à Abdoulaye Néné ou c’est quoi ? Je n’y comprends rien. Quand c’est un DGA qui dit qu’il n’a aucun pouvoir à l’absence du DG, cela veut dire qu’il ne sert à rien. C’est finalement une catastrophe l’hôpital Gabriel Touré.
ZB : Avez-vous tenté de joindre M. Fané ?
Youssouf : Je vous l’ai dit, en vain. Il a sur lui trois numéros qui ne répondent pas. Une délégation s’est rendue chez lui, il est introuvable. Pourtant, on nous dit qu’il est à Bamako. C’est vrai, nous savons qu’il est malade car il a des caillots au niveau de ses vaisseaux mais cela ne doit pas être un alibi de disparaître avec notre argent si réellement il a reçu le chèque. Parce que nous ne pouvons pas affirmer qu’il a reçu le chèque même s’il reste injoignable. Nous estimons que l’administration étant une continuité, nous ne devrions pas assister à cette scène de théâtre. Car, je ne le souhaite pas, Abdoulaye Néné peut mourir là-bas mais que l’hôpital soit bloqué à son absence et que tout le monde en fait les frais, je pense que c’est grave. D’ailleurs, ils nous disent qu’il n’y a pas d’argent alors que nous avons vu des documents attestant que l’argent est disponible. Notre conclusion, c’est que l’argent s’est dilapidé entre le DG Abdoulaye Néné Coulibaly, Issa Kouyaté et Adama Fané.
ZB : Que comptez-vous faire maintenant ?
Youssouf : Nous avons déjà franchi toutes les voies légales. Parce que nous sommes des intellos comme eux même s’ils sont plus âgés que nous. Nous pensons d’ailleurs que cela ne doit pas être un moyen pour nous divertir. Cependant, je vous dis que nous avons vu que le DG n’est pas joignable, le DGA fuit sa responsabilité, le surveillant général adjoint et le responsable du CME affirment tous qu’ils ne peuvent rien à l’absence de Abdoulaye Néné Coulibaly. Nous leurs avons dit que Abdoulaye Néné a affirmé que nous serons payés le mardi. Donc, nous sommes décidés à aller au charbon car nous sommes en retard de payement de plus de 40 jours. Parce qu’on devait nous payer depuis le 1er Octobre mais jusqu’à présent rien n’est fait. Nous sommes désolés de dire aux gens : alerte au CHU Gabriel Touré le lundi. Mais ce qui est sûr, le CHU sera une fournaise ce jour. Car, ce sera un camp militaire. Alors, s’ils ne veulent pas nous payer qu’ils ne payent plus de mouton car ils auront notre sang le jour de la fête. Ils n’auront pas à immoler car ils auront notre sang, celui de tous les étudiants pour accomplir leur devoir d’immolation le jour de la fête. Nous acceptons de mourir pour ses minables 500 FCFA par jour. Nous savons que notre argent a disparu quelque part sinon nous avons vu des documents attestant que le Secrétariat Général du ministère de la Santé a débloqué l’ensemble des fonds du Point G, de l’hôpital de Kati, de Gabriel Touré depuis le 20 mai 2010. Tous les trimestres ont été débloqués depuis cette date du 20 mai mais nous ne savons pas où se trouve notre argent. Pourtant, ils continuent à mentir aux autorités que nous avions perçus notre argent. Alors que la coordination mente mais que les 289 concernés disent qu’ils n’ont rien reçu, je pense qu’il n’y a rien à dire. N’oublions pas que cet argent est l’argent public et qu’il disparaisse sans qu’on sache où il est parti est inadmissible dans un pays pauvre comme le nôtre. Depuis, nous avons voulu agir mais nous avons fait des concessions. Le DG sans régler est parti je ne sais où. Le DGA dit qu’il n’est pas responsable et qu’il n’y peut rien. Chers lecteurs, comment voulez-vous que nous soyons ? Nous sommes désolés.
ZB : Etes-vous seuls ou avec les autres centres de santé ?
Youssouf : Allez-y voir ! Le Point G s’est acquitté le vendredi 5 novembre, Kati a été payé depuis Octobre. C’est seul le CHU Gabriel Touré qui n’a rien fait et nous ne savons pas où se trouve notre argent, avec qui ?
ZB : Quel appel au peuple ?
Youssouf : Ah ! Dire aux autorités que nous avons de la peine. Car, à savoir que nous nous sommes battus pour avoir 500 FCFA par jour et que nous ne le percevons pas, je suis en larmes, je suis sidéré, mon cœur est meurtri. J’ai un baccalauréat plus 7 c’est-à-dire 7 ans d’étude mais que je me batte encore pour ses miettes, je ne veux pas qu’on encourage la misère. Mes collègues d’autres pays moins nantis que le Mali perçoivent 10.000 FCFA par jour. Seulement, nous l’avons accepté parce que nous sommes tous des Maliens, nous avons vu les problèmes du pays. Mais, de grâce après plusieurs négociations et que nous ayons accepté cet argent qu’on nous le donne sans heurt, sans haine. Sachant bien que cela ne vaut même pas le salaire du manœuvre de l’hôpital, nous l’avons accepté. Pourtant, tout le monde connaît le rôle des internes au sein d’un hôpital notamment au Mali et particulièrement au CHU Gabriel Touré. Vous faites vous-même le constat, tous les médecins ont disparu, ils vaquent à leurs affaires laissant les malades entre nos mains. J’ai de la peine car je ne sais plus qui interpeller d’autant plus que tout le monde est fier de nous donner 500 FCFA par jour. Pour une anecdote, un moment un Secrétaire général du Ministre nous a dit ceci : «Moi, je peux payer tout votre argent à main levée dans le bureau de Abdoulaye Néné qui en était fier d’ailleurs». Mais ce jour là, tout le monde a pleuré. Parce que nous nous sommes posés d’énormes questions entre autres : quel avenir pour notre pays ? Est-ce à dire qu’ils font ce qu’ils veulent de notre argent ? Sont-ils indispensables, incontournables pour le développement de notre pays ? Qui cautionne cet état de fait, le Président de la République ou le Premier ministre ou encore le Peuple ?
Je vous dis, en ce moment on nous avait pas payé deux trimestres et pourtant le Segal a eu le courage de nous tenir de tels propos : «Je peux le payer à main levée sans me faire de souci.»
Aujourd’hui, je n’interpelle pas les autorités pas parce que je ne leur fais pas confiance mais je demande à nos parents qu’ils nous viennent au secours, qu’ils nous comprennent pour nos actions à venir. Qu’ils sachent que nous ne sommes pas des inhumains mais que chacun sache qu’après 7 ; 8 et 9 ans après le Bac, nous ne percevons que 15.000 FCFA par mois soit 45.000 FCFA par trimestre car il n’est donné que par trimestre. Malgré tout, nous sommes au regret de dire aujourd’hui que cet argent s’est volatilisé jusque là où nous sommes. (NDLR l’interview a été réalisée le mercredi 10 novembre et qu’au moment où nous mettions sous presse 15 h 30 jeudi, rien n’avait été fait encore). Alors, je demande à chaque Malienne, à chaque Malien, à notre place : que feriez-vous ?
Par Boubacar DABO
Afin d’en savoir toujours plus, nous avons tenté de joindre le principal accusé à savoir l’agent payeur M. Adama Fané. Après quelques tentatives, il décroche notre téléphone. C’était à 11h56 hier jeudi. A la question de savoir, pourquoi les internes n’ont pas été payés ? Il dit d’abord que l’argent n’est pas disponible et qu’il faut attendre le retour du DG Abdoulaye Néné Coulibaly. «Et puis je suis malade», a-t-il dit. Pourtant, malgré votre maladie vous avez payé les contractuels ainsi que les primes des autres ?
Alors, il dit qu’il est malade mais a payé cet argent. Nous lui avons dit que les traces sont au ministère affirmant que l’argent est à leur niveau. Finalement, il dit ceci : «Oui l’argent est au compte de l’hôpital au trésor mais nous ne pouvons l’avoir qu’au moment où il doit être utilisé». Pourtant, il a été décaissé, avons-nous affirmé. Alors, M. Fané d’affirmer : «Je vais prendre des dispositions pour qu’ils aient leur argent». Comment va-t-il gérer cette situation ?
Il nous est revenu, de sources bien informées, que Abdoulaye Néné Coulibaly, le roi sans souci, en vue de sauver sa tête, faute d’argent et pour éviter la grève des contractuels, aurait poussé M. Fané à utiliser l’argent des internes pour payer les contractuels et les primes des travailleurs. Alors, qu’entretemps, ils vont se grouiller pour avoir de l’argent avant la fin du mois et payer les internes. En attendant, ils auraient tenté de corrompre la coordination qui n’est pas tombée dans leur jeu. Aux dernières nouvelles, circulerait partout des tracts à l’hôpital pour dénoncer les abus, les malversations de Abdoulaye Néné et ses sbires. Nous y reviendrons.
En tout cas, si des dispositions ne sont pas prises avant lundi, il faut craindre le pire. Alors, Monsieur le Ministre Oumar Ibrahim Touré ; Monsieur le Premier ministre Modibo Sidibé, vous êtes interpellés devant l’histoire afin d’éviter le pire à cet hôpital d’urgence.
B D