Interview croisée

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Déclenchée il y a bientôt six mois (12 avril 2012), la transition politique au Mali peine à répondre aux aspirations des citoyens maliens. A savoir : l’occupation des deux tiers du territoire par des islamistes et narcotrafiquants armés, l’organisation d’élections crédibles et transparentes. Si pour la Communauté internationale, il  sied d’avoir d’abord d’institutions crédibles,  bon nombre de nos compatriotes estiment le contraire. Sur la question, notre interview croisée a touché  trois jeunes politiques maliens. Il s’agit de : N’tji Diawara, 3è vice-président de la jeunesse Adema (le parti du président intérimaire), représentant sa section parisienne, Kassoum Coulibaly, candidat à la présidentielle ratée de 2012 du mouvement Farafina Dembé et Me Tidiani Guindo, lui aussi candidat à la présidentielle de 2012, du parti Mali Dambé, basé en France.

Que pensez-vous de la situation politique du Mali depuis la mise en place du gouvernement de transition, en avril dernier ?

Me Tidiani Guindo :  « Tout d’abord, nous vous remercions pour cette question !

Nous n’avons pas de jugements personnels au sujet de la transition ou du Gouvernement de transition. Celles et ceux qui ont la responsabilité d’incarner les institutions doivent mesurer les défis auxquels ils font face et se mettre au travail avec l’amour et le courage nécessaires pour réussir leurs missions au service du bonheur de toutes les Maliennes et de tous les Maliens.

Au-delà, ces personnes sont responsables ; c’est tout le peuple qui est appelé à se mobiliser non pas pour des raisons occasionnelles mais pour l’union nationale, la paix durable et le bonheur de tous.

Cette phase de la vie de la nation est une opportunité pour méditer sur notre passé, dialoguer avec notre présent et bâtir notre avenir. La responsabilité de chacun et de tous est engagée ».

Kassoum Coulibaly :  « La transition a du mal à se dérouler convenablement à cause de la résistance et de la mauvaise foi de certains qui voient le pouvoir leur échapper et qui font tout pour occuper les devants de la scène. Ils supportent mal cette tentative d’instauration d’une nouvelle ère au Mali qui les écarte des responsabilités de l’Etat. Pendant 20 ans, on a créé une habitude de partage du gâteau Mali, malheureusement pour nos hommes politiques, cette fois, certains d’entre eux, et pas des moindres, ont du mal à trouver leur part. Du coup, ils sèment la zizanie et veulent saboter tout le processus ». 

 

N’tji Diawara, : « Sans parler au nom de la jeunesse ADEMA, mais à mon nom propre, en tant qu’un des responsables de la jeunesse ADEMA, je ne m’appesantirais pas sur la mise place du gouvernement d’union nationale. Mais plutôt sur la finalité de ce gouvernement, qui est de sauver la nation malienne et la démocratie. Il ne faut plus se leurrer. Les Maliens, surtout les jeunes que nous sommes, nous serons très exigeants et nous n’hésiterons pas à demander des comptes, si nécessaire ».

 

2 Bien que le gouvernement d’union nationale tant sollicitée soit mise en place, la question de la restauration de l’intégrité du territoire reste subalterne (au second plan). Avez-vous confiance à ce gouvernement pour sortir le pays de l’impasse ?

 

Me Tidiane Guindo : « Le problème et les préoccupations dépassent le cadre d’un gouvernement. En réalité, au niveau international comme au Mali, très peu de décideurs souhaitent une intervention militaire au nord du Mali. C’est pour cette raison que tout le monde met en avant la question de la protection des institutions par les éventuelles troupes de la CEDEAO avant la question de la reconquête du Nord. C’est un subterfuge pour nous distraire à Bamako et nous mettre dos à dos et déplacer ainsi le problème à Bamako histoire de retarder le plus possible la reconquête du Nord. Le plan à la clé c’est d’organiser des élections au Sud et consacrer la partition de fait du Mali. C’est aux Maliens d’arrêter de se diviser et de dire ensemble que la priorité c’est de donner les moyens militaires à notre armée pour qu’elle aille laver l’affront qu’elle a subi de la part des rebelles et des autres bandes armées ».

Kassoum Coulibaly :  « Nous ne pensons pas que la question de la restauration de l’intégrité du territoire soit subalterne pour qui que ce soit. Il est important de savoir qu’elle parait plus complexe qu’on ne l’imagine et il faudra un peu plus de patience et de lucidité pour bâtir une paix durable.

Nous ne jugeons pas non plus le Gouvernement car ses membres sont des citoyens d’abord et il appartient à chaque citoyen d’avoir confiance en soi et aux autres afin de réconcilier les Maliens entres eux et reconstruire durablement le pays.

A ce niveau, j’appelle à un engagement plus patriotique et civique de la jeunesse malienne pour affronter les vrais défis et continuer à renforcer ses propres capacités de réflexion et d’action ».

Ntji Diawara : « Pour le moment, nous ne voyons aucun signal qui nous rend optimiste pour la libération des régions occupées. Il ne faut pas se voiler la face, notre armée a besoin de se reconstruire. Elle a besoin de reprendre confiance et de se faire aider par la CEDEAO pour mener cette guerre implacable contre les ennemis du Mali. La situation reste complexe, parce que nous avons à faire à des mouvances djihadistes internationaux (ils sont prêts à tout). L’exécutif doit être plus cohérent et républicain si on veut que le Mali soit respecté par ses partenaires. Mais ce n’est pas avec l’hésitation et l’incohérence que nous aurons l’aide des partenaires pour aller délivrer nos frères qui sont dans la terreur au nord et rassurer tous les Maliens au Sud, qui se demandent quand-est les terroristes viendront à Bamako ».

3. Des élections, il en est question également et le sujet revient dans les débats. La Cedeao a fixé la durée de la Transition à un an, mais après cinq (5) mois , l’inertie du pouvoir intérimaire n’est plus à démontrer. Ne croyez-vous pas que l’exécutif (Président et PM) et le législatif (parlement) jouent au dilatoire pour s’éterniser au pouvoir ? Pensez-vous qu’il soit possible de tenir des élections dans ces conditions ?

Me Tidiane Guindo :

« C’est possible, mais la CEDEAO fait pareil, le but c’est empêcher la reconquête du Nord et organiser des élections au Sud pour nous forcer à admettre définitivement que nous avions perdu le Nord et dans ce cas négocier les modalités de cohabitation ».

Kassoum Coulibaly : « Tout d’abord en connaissant bien les processus et opérations de maintien de la paix de ces dernières années en Afrique, la durée de 12 mois n’est ni réaliste ni réalisable .

De plus, nous ne pouvons faire de procès d’intention à qui que ce soit à cette étape, le temps nous édifiera sur les points positifs et négatifs.

Avant la tenue des élections, nous pensons qu’il y a des préalables indispensables :

La mise en place d’une vaste opération de maintien de la paix et de la réconciliation nationale du peuple en nous inspirant de nos valeurs culturelles ;

L’élaboration d’une nouvelle Constitution plus fédératrice de nos communautés culturelles et religieuses et porteuses d’un développement territorial durable et harmonieux ;

Les choix de solutions d’identification des électeurs et de structures d’administration électorale permettant d’éviter toute crise postélectorale.

Enfin, nous appelons toutes les forces citoyennes afin de privilégier le dialogue en toute circonstance. »

Ntji Diawara : « Non, je ne pense pas qu’on puisse parler de dilatoire pour résumer la situation, l’Etat malien se trouve dans une situation très complexe mais nous sommes tous unanimes que la situation était déjà compliquée avant le coup d’Etat. Et, depuis le 22 mars, on est dans l’engrenage et on cherche à nous en sortir.
La tenue des élections n’est pas la priorité aujourd’hui et encore moins d’une conférence nationale. Franchement, je demande clairement à ceux d’entre nos compatriotes qui nous disaient il ya quelques mois « qu’on ne pouvait pas organiser de referendum parce qu’il y avait une rébellion au nord », et qui s’agitent aujourd’hui pour la tenue d’une conférence soi-disant nationale avec les 2/3 du Mali occupés que les Maliens sauront les juger.
Il faut ramener la cohésion entre les fils du Mali, rétablir l’intégrité territoriale et un Etat de droit pour parler d’élections ».

Réalisés par Amadou Salif Guindo

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