Ibrahima Tounkara, directeur national de l’administration pénitentiaire : « La prison doit être une affaire de tous » ; Vers le transfert des prisonniers de Kayes et de Mopti à Bamako

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Amélioration des conditions de détention, respect des droits de l’homme, lutte contre la corruption… Le Directeur national de l’Administration pénitentiaire et de l’éducation surveillée, Ibrahima Tounkara, revient sur toutes ces questions. L’ex juge d’instruction au Tribunal de grande instance de Mopti, puis avocat de l’Etat, est très connu pour son aisance à parler dans les medias. Dans cette interview exclusive, il nous parle de l’Administration pénitentiaire, de ses innovations apportées pour la moderniser, la rendre performante, dynamique et respectueuse des droits de l’homme. Aussi, les reformes innovantes initiées par le département de tutelle sont également évoquées. Il s’agit de l’Agence de recouvrement des avoirs criminels, le Pôle national économique et financier en lieu et place des trois pôles économiques et financiers existants et entre autres. Entretien.

Le Nouveau Courrier : Comment se porte aujourd’hui nos Centres de détention ?

Ibrahima Tounkara : Je peux le dire sans risque de me tromper, que la qualité de détention s’améliore de jour en jour au niveau de nos Centres de détention. L’Etat s’est engagé dans une dynamique d’amélioration de condition de détention. Il a compris que cette amélioration renforce forcement l’Etat de droit dans notre pays. Des efforts salutaires ont été déployés par les plus hautes autorités depuis un certain temps à travers la construction de nouvelles infrastructures. La nouvelle maison d’arrêt de Bamako à Kenieroba est une fierté nationale. C’est la consécration de l’engagement de l’Etat dans le sens de l’amélioration des conditions de détention. Au-delà, nous avons bénéficié de la réhabilitation de la presque totalité de nos Centres de détention à travers la construction de nouvelle cellule et des toilettes dans les cellules. Notre politique consiste à doter chaque cellule d’une toilette. Aussi, faire en sorte que les détenus puissent vivre dignement, dans les conditions décentes qui respectent la dignité humaine. Réaliser des travaux pour les murs de clôture afin de mieux sécuriser nos Centres de détention. Bref, tout un ensemble de travaux réalisés pour améliorer les conditions de détention. S’agissant de la prise en charge alimentaire, beaucoup d’efforts ont été faits. On peut dire que notre budget a été presque doublé pour que chaque détenu puisse manger trois fois par jour comme les citoyens en liberté. La prise en charge sanitaire, faire en sorte que l’accès au soin puisse être facilité, étant un droit constitutionnel reconnu et protégé. A ce niveau, l’Etat a mis à notre disposition 26 agents de santé pour assurer une prise en charge des détenus. Je crois que tout cela est inédit.  C’est du jamais vu dans l’histoire de l’Administration pénitentiaire.

La maison d’arrêt de Keniéroba illustre la politique de désengorgement de nos prisons. Quel est l’état des lieux de ce centre de haut niveau ?

La maison d’arrêt de Kenieroba est opérationnelle depuis 2 ans environ. Elle a déjà reçu des détenus. A ce jour, on a un nombre important des prisonniers qui s’y trouvent. Ce n’est plus une maison en chantier, mais totalement achevée et réceptionnée. Elle répond, bien entendu, à la politique de désengorgement, car la surpopulation carcérale est un défi majeur à l’Administration pénitentiaire. Il faut reconnaitre que le nombre de détenus a largement dépassé nos capacités d’accueil. Surtout, s’agissant de la Maison Centrale d’Arrêt de Bamako. Pour nous, la réponse à court terme demeure le transfèrement. C’est pourquoi couramment nous procédons au transfèrement des détenus pour désengorger Bamako, pour que ceux-là qui vont rester puissent avoir de l’espace. Je précise aussi que la surpopulation est très visible au niveau de quelques centres, seulement à Bamako et Kayes qui sont les plus grands du Mali. Sinon, au niveau des autres centres de détention, on peut dire que la surpopulation est très négligeable.

Que dire du respect des droits de l’homme dans nos Centres de détention ?

Les orientations éclairées du Garde de Sceaux sont relatives aux droits de l’homme. Chaque fois que nous recevons des instructions, c’est dans le sens du respect des droits de l’homme. Nous, c’est ça, notre mission. Répondre aux sollicitations essentielles des personnes privées de liberté. Nous pensons que c’est des droits qui ne sont pas méritoires, comme j’ai l’habitude de le dire. Le simple fait d’être humain suffit pour avoir ces droits-là. Nous plaçons au cœur de toutes nos activités le respect des droits de l’homme, le respect de la dignité humaine. Parce que nous avons la ferme conviction qu’un détenu, est juste privé de la liberté d’aller et de revenir. En dehors, tous les autres droits doivent être sauvegardés. Nous sommes engagés dans ce sens-là. Le droit à la visite, à l’alimentation, à la santé, à la communication, le droit de recevoir des visiteurs, de rester en contact avec la famille, tout ça est respecté. Quand nous prenons le cas de Bollé Femme où on reçoit des femmes détenues, ce centre a ses spécificités. Nous nous sommes engagés dans le respect de la dignité de la femme. C’est pour dire que nous mettons à disposition les kits de dignité, tout cela dénote à suffisance notre engagement, notre détermination pour respecter les droits de l’homme. Ma conviction est que, pour respecter les droits de l’homme, il faut les maintenir, c’est pourquoi nous avons décidé d’élaborer un manuel de formation sur les droits de l’homme en milieu carcéral. Le respect des droits de l’homme, c’est notre lot quotidien. Ce sont les cadres de notre Administration qui ont rédigé ce manuel, qui fait 203 pages environ, qui ne parle que des droits de l’homme en milieu carcéral. C’est un manuel de formation et nous avons déjà commencé la formation du personnel afin qu’il puisse les maitriser et respecter. Donc, la question des droits de l’homme est au cœur de toutes nos activités.

Vous avez tenu récemment une grande rencontre de l’Administration pénitentiaire à Ségou. De quoi s’agissait-il ?

Le management des prisons exige une très forte communication, une concertation, des instructions urgentes très fermes. C’est pourquoi nous avons compris qu’il était important de maintenir cette dynamique-là. Depuis 2017, nous avons initié ce qu’on a appelé la Conférence annuelle de l’Administration pénitentiaire, une fois par an. Tous les personnels, on se retrouve dans une localité pour parler de notre Administration pénitentiaire. Cela, parce que nous avons un objectif, de faire de cette administration une administration moderne, performante, dynamique, respectueuse des droits de l’homme. Pour atteindre cet objectif, il faut qu’on accepte de se retrouver autour d’une thématique pour échanger sur des difficultés, les perspectives et mettre en œuvre les voies et moyens afin d’améliorer davantage les conditions de détention. En Novembre dernier, on s’est retrouvé à Ségou dans le cadre d’une Conférence annuelle, autour de la thématique : « Pour une gestion efficiente  de l’Administration pénitentiaire ». C’est pour dire tout notre engagement à gérer de façon efficiente l’Administration pénitentiaire. La prison doit être une affaire de tous. Les gens sont réfracteurs souvent à la prison, moi je pense que chacun doit s’intéressé à la prison, chacun doit avoir un regard sur nos établissements pénitentiaires, parce que chacun est sollicité, chacun peut jouer un rôle, chacun peut donner ce qu’il a envie de donner dans le sens d’amélioration de condition de détention. Je le dis très souvent, on ne le souhaite pas, mais il ne faut attendre qu’on y soit pour demander de toi. Pendant qu’on a le temps, l’énergie, l’intelligence, les moyens, pensons à nos établissements pénitentiaires. Je pense que cela est vraiment un devoir citoyen.

Y’a-t-il eu des recommandations à l’issue de cette conférence annuelle de l’Administration pénitentiaire ?

Une grande rencontre exige toujours des recommandations fortes, parce qu’on fait un état des lieux, on fait la synthèse des difficultés, on revient sur les défis et on engage des gens. Pour ce faire, il faut naturellement des recommandations. La forte recommandation, c’est qu’on a demandé aux gens d’agir avec responsabilité et de faire tout pour respecter les droits des personnes privées de liberté afin de renforcer l’Etat de droit dans notre pays. Et surtout d’être regardant par rapport au dispositif sécuritaire.

En Mars dernier, vous avez participé à l’atelier national d’appropriation des reformes innovantes en matière de promotion des droits de l’homme et de lutte contre la corruption et la cybercriminalité. Que faut-il retenir dans le cadre de la lutte contre la corruption ?

La corruption est véritablement un frein au développement. Il faut réaliser la lutte contre ce fléau, qui est une vérité absolue. Tant qu’un pays est miné par la corruption, il ne connaitra jamais le développement. C’est pourquoi les plus hautes autorités sont engagées dans cette lutte-là. Cette lutte passe dans une grande mesure par l’implication du ministère de la justice. C’est vrai que chaque citoyen a un rôle à jouer dans le cadre de la lutte contre la corruption, ne ce reste que la dénonciation. Mais le rôle majeur revient au ministère de la justice. Dans ce sens, le ministère de la justice a initié beaucoup de reformes. Des reformes innovantes dans le cadre la corruption pour mettre à disposition un certain nombre d’outils. Nous saluons la création de l’Agence de recouvrement des avoirs criminels, une agence qui va permettre de gérer des biens issus de la corruption pour que le corrompu ne continue pas à profiter des produits de sa corruption. Cela est inédit au Mali ! C’est une première qu’une telle Agence voit le jour. Nous avons aussi parlé de la Direction nationale des droits de l’homme. Le Mali a été fortement interpelé à tort par toutes les organisations internationales, par rapport aux questions de droits de l’homme. On a beaucoup de structures qui œuvrent dans ce domaine-là, mais malheureusement, il n’y a pas de pendant institutionnel au niveau du ministère de la justice. Il n’a jamais existé une direction nationale de droit de l’homme, c’était un vide qu’il fallait combler. Désormais, ça sera vraiment un service qui va coordonner tout ce qui est en lien avec les droits de l’homme. Nous avons également parlé du Pôle national économique et financier. Avant, il existe trois Pôles économiques et financiers au Mali. A Bamako, à Kayes et à Mopti. Mais, on a compris que les procédures divergent, puis, il y a un manque d’efficacité. C’est dans ce sens-là que le besoin d’unir tous ces pôles en est seul appelé : Pôle national économique et financier. Il s’agit là d’être plus efficace dans la lutte contre la corruption. Ce pôle sera installé à Bamako pour lutter contre ceux-là qui s’adonneraient au détournement de fonds publics. La dernière activité a porté sur le Pôle national sur la cybercriminalité. Vous savez que cette nouvelle infraction ternit l’image de tout un pays. Aucun respect n’est dû aux personnalités, aux autorités, aux chefs traditionnels coutumiers religieux, bref aux citoyens lambda. Chacun s’adonne à des comportements déviants, des comportements qui n’honorent pas l’être humain. Il fallait mettre en place cette structure unique au niveau d’une seule juridiction pour agir dans l’efficacité afin de mener un combat implacable contre la cybercriminalité.

Des instruments de lutte contre la corruption sont créés. Est-ce à dire que le Ministère de la justice a les moyens de sa politique ?

Peut-être que je ne suis pas la personne bien indiquée pour aborder cette question, mais je dois assumer en tant que magistrat, en tant que directeur national au niveau du ministère de la justice. Alors, moi, j’ai une conviction, en fait, les gens parlent souvent de moyens, de ressources… A mon sens, la première ressource dans le cadre de cette lutte contre la corruption demeure la volonté. Il faut avoir la volonté de mener cette lutte. On a beau avoir les ressources humaines, les ressources financières, les meilleures structures, les meilleurs textes, mais tant que la volonté de lutter contre cette corruption n’est pas exprimée, on n’y arrivera jamais. Et, cette volonté est là, en tout cas, au niveau du ministère de la justice. Je pense qu’avec la création de l’Agence de recouvrement des avoirs criminels et le Pôle national économique et financier, on voit clairement que la volonté est affichée. Au-delà de cette volonté, il faut qu’on n’accepte cette lutte, comme l’a dit le Président de la transition Assimi Goita. Une lutte qui va concerner des frères, des épouses, des sœurs, mais ne prenons pas en compte les intérêts de ces frères et sœurs. Ayons à l’esprit l’intérêt supérieur de l’Etat du Mali. Je pense quand on a cette conviction, on va mener cette lutte sans état d’âme. C’est ce qu’il faut ! Le pays a tellement souffert de ce fléau qu’il est important de mener cette lutte sans état d’âme.

Les participants à l’Atelier ont parlé du transfèrement des détenus durant le 2e semestre 2023. Explication ?

C’est une activité de la feuille de route par rapport à l’opérationnalisation du Pôle national économique et financier. Il faut comprendre, nous avons trois pôles économiques et financiers, notamment à Bamako, à Kayes et Mopti. Maintenant, la tendance c’est déjà la création d’un pôle national économique et financier à Bamako. Alors, on s’interroge quel va être le sort des détenus qui sont sous mandat se trouvant à Kayes et à Mopti, au niveau de ces deux pôles économiques et financiers. Il faut nécessairement un  transfèrement de ces détenus, parce que désormais, il y aura un seul pôle qui va être installé à Bamako. Donc ses détenus ne peuvent rester au niveau de ces régions. Il faut qu’il soit transféré. Ce transfèrement se fera dès lors que le pôle unique va être fonctionnel. Et nous, administration pénitentiaire, on sera là pour faire venir ces détenus de Kayes et de Mopti vers Bamako. Nous sommes concernés, l’administration pénitentiaire jouera sa participation sans arrière-pensée.

Source: Le Nouveau Courrier

Propos recueillis par Ousmane Anouh Morba

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